C’est le scandale de la semaine. Et, étrangement, personne n’en parle.
L’Unesco avait programmé, à Paris, de longue date, une exposition intitulée « Les gens, le Livre, la Terre : la relation de 3 500 ans du peuple juif avec la Terre sainte ».

Cette exposition était parrainée par le Centre Simon-Wiesenthal ainsi que par un certain nombre d’États, au nombre desquels le Canada.
Elle avait reçu l’appui de sommités archéologiques et se conformait à toutes les règles scientifiques requises.
Or voici qu’à moins d’une semaine de son inauguration elle est brutalement suspendue, pour ne pas dire annulée, par simple communiqué de la direction de l’agence obtempérant à une lettre de 22 pays arabes « préoccupés » – sic – par le « possible impact négatif » de l’événement sur « le processus de paix et les négociations en cours au Proche-Orient ».

Passons sur l’insulte faite au prestigieux Centre Simon-Wiesenthal, qui se voit transformé en repaire de boutefeux et de saboteurs de paix.
> Passons sur le raisonnement grotesque selon lequel une exposition savante, mobilisant des érudits venus du monde entier, serait, dès lors qu’il y est question d’Israël, un obstacle à la « négociation » et à la « paix ».
Et ne nous attardons pas non plus sur l’aveuglement d’une Ligue arabe qui, confrontée à la menace nucléaire iranienne, à la glaciation peu négociée de la révolution égyptienne, à l’écrasement guère pacifique des velléités démocratiques à Bahreïn ou dans les Émirats et, last but not least, au massacre de 130 000 Syriens par l’aimable Bachar el-Assad, ne voit qu’une menace sérieuse planer sur la région : Israël, toujours Israël, le tout petit Israël, dès lors qu’il a la prétention de se pencher, comme tous les peuples du monde, sur son histoire, ses récits fondateurs ou l’ancienneté de sa présence sur la terre où il est établi.
Le plus dramatique dans cette affaire, c’est l’image pitoyable que donne d’elle-même une agence des Nations unies se couchant – il n’y a pas d’autre mot – devant le diktat.
C’est le sentiment d’être revenu aux temps, il y a presque quarante ans, où la même agence voyait dans le sionisme une forme de racisme – et encore ! au moins les grandes consciences de l’époque, Sartre et Foucault en tête, s’élevèrent-elles contre cette « ignominie » ! alors que personne, encore une fois, ne paraît, aujourd’hui, s’en inquiéter ni presque s’en aviser !
C’est la façon dont un vrai débat, qui a l’âge de la philosophie et dont les anciens Grecs faisaient de beaux « paradoxes » (paradoxe d’Épicharme, puis d’Aristote : qu’est-ce qui reste d’une « identité », qu’est-ce qui fait que l’on peut continuer de dire « les » Grecs », ou « les » juifs, lors même que le passage du temps, la succession des générations, la disparition des premiers porteurs du nom rendent les ensembles d’aujourd’hui et d’hier radicalement différents), est en train d’être détourné par un quarteron de faux historiens que vient aujourd’hui conforter, avec sa honteuse palinodie, cette grande institution qu’est, en principe, l’Unesco (« il n’y a jamais eu de Temple à Jérusalem », disait l’un… « le peuple juif est une invention récente », écrivait l’autre… « peut-être existe-t-il, assénait le troisième, mais comme un peuple violent, originairement cruel, pour ne pas dire génocidaire… » – eh bien, ce torrent d’imbécillités négationnistes qu’il nous était donné de subir, depuis un certain nombre d’années, à longueur de colonnes et de programmes, c’est dans son sillage que s’inscrit, qu’elle le veuille ou non, cette décision de l’Unesco).
Ce qui est dramatique encore, c’est la quasi-certitude, en écrivant ces lignes, de provoquer un déferlement de commentaires où l’on verra, comme à l’accoutumée, se renverser les rôles de l’insulteur et de l’insulté et celui-ci payer pour les provocations incendiaires de celui-là : « marre d’Israël ! marre du sionisme ! on se fiche de savoir qui, dans cette querelle, a tort ou raison – nous en avons juste assez, et de la querelle, et des juifs qui en sont l’objet ».
Et puis ce qui est dramatique, enfin, c’est la conviction que la paix, la vraie, c’est-à-dire la réconciliation tant attendue entre les deux peuples frères qui se disputent la même terre, passe par une double reconnaissance, une double entrée dans les raisons de l’autre et de ses narrations constitutives – pas par cette intolérance, ce refus, cette diabolisation, cette négation historique et métaphysique à quoi encourage aujourd’hui une Unesco durbanisée.
Un dernier mot qui n’étonnera pas les lecteurs du Bloc-notes mais qui rafraîchira la mémoire des auteurs de ce communiqué indigne.
C’était il y a cinq ans, au moment de l’élection du nouveau directeur de l’Unesco.
Un prévaricateur égyptien, Farouk Hosni, affidé du dictateur Moubarak, tenait solidement la corde.
Et c’est à une campagne d’opinion lancée par Elie Wiesel, Claude Lanzmann et l’auteur de ces lignes que Mme Irina Bokova dut, pour une large part, d’être propulsée dans la course et, par défaut, de l’emporter.
Ceci est-il lié à cela ?
Mme Bokova souffrirait-elle du complexe de M. Perrichon ?
La présence d’un Elie Wiesel dans le comité de parrainage de l’exposition était-elle, comme chez Labiche, plus qu’elle ne pouvait supporter ?
Ou a-t-elle juste abusé son monde et dissimulé, depuis le début, la vérité d’un personnage chez qui l’amour de la culture et de la paix était aussi une comédie ?
Ou s’agit-il d’un malentendu : mais, dans ce cas, qu’on le dise – et vite.

Par Bernard-Henri Lévy – L’Unesco et les juifs : ignominie  (Le Point – Publié le 23/01/2014)

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