En général il y a deux manières de ne pas régler un problème : ne pas le poser, ne pas en chercher la solution.

L’observation vaut pour le problème de la âlya en France, posé depuis les décennies de l’antisémitisme à visage découvert. On a beau se retrancher derrière les stéréotypes de la France, patrie des droits de l’Homme et qui en a vu d’autres, l’on ne peut empêcher que la communauté juive française ne soit constituée comme elle l’est : notamment par deux ensembles humains traumatisés en son histoire récente.

Le premier est constitué par les Juifs originaires d’Europe centrale ou de plus loin encore à l’Est; l’autre par les Juifs déracinés des pays arabes.

Dans les deux configurations, la blessure reste à vif et chacun craint qu’en se rouvrant elle ne devienne irrémédiable. Ajoutons qu’il arrive parfois, du fait des mariages, que ces traumatismes se rejoignent et se cumulent.

Depuis plusieurs décennies déjà, la question antisémite se pose donc en France et chacun croit devoir la résoudre à sa façon: par un engagement partisan encore plus prononcé, à gauche ou à droite;  par le retrait sur soi, par l’émigration hors de France, ou par la âlya spécifique vers Israël. Dans tous les cas, il faut disposer des moyens intellectuels et matériels pour décider de la meilleure option. Cependant, comment agir lorsque ces moyens-là viennent à manquer, et cruellement?

Il faut sans doute faire partie de la « communauté d’en-haut » pour ignorer les difficultés de la « communauté d’en-bas » dont les membres continuent de vivre dans des quartiers particulièrement sensibles, parfois dans des rues dangereuses, exposés au prosélytisme religieux et aux trafics de la « hot money », comme disent les sociologues de la ville.

Imagine t-on que pour  ceux et celles qui émargent à l’Appel national pour la Tsédaka, il aille de soi de quitter un quartier devenu irrespirable vers un autre, situé dans un bon arrondissement de Paris, de Marseille ou de Strasbourg, pratiquement satellitaire au regard des effondrements de la France du chômage et de la précarité ? Comment un «  précaire », un chômeur de longue durée ou même un smicard, pourraient-ils acquitter les loyers qui y sont en vigueur, sans parler même de la possibilité d’y acheter le moindre mètre carré? Et sans aller non plus jusqu’à cette partie du spectre  sociologique de la communauté juive, suffirait-il d’un claquement de doigt pour un jeune couple qui démarre dans la vie, qui s’est endetté pour l’achat d’un cabinet ou d’une licence commerciale, de tout « bazarder » et de s’en aller avec bagages et enfants par le premier vol d’El Al ou de tout autre compagnie? Que dire du pays d’accueil?

S’agissant d’Israël, il faut réaliser que ce pays, unique dans le cœur des Juifs, s’est engagé depuis le début des années 90 dans l’économie la plus libérale et la plus financiarisée qui puisse se concevoir, Etats Unis compris. En Israël aussi, si l’on n’y prenait garde, le clivage entre « l’en- haut » et « l’en bas » deviendra de plus en plus voyant et de plus en plus antagoniste.

Imagine t-on encore que pour un cadre moyen, avec trois ou quatre enfants à scolariser, il suffise de frotter la lampe magique d’Aladin pour se loger à Jérusalem ou à Tel-Aviv parce que des amis ou que d’autres membres de la famille y sont déjà installés, comme avaient su partir d’Algérie ceux qui avait percé à jour les discours duplices du général de Gaulle dès le printemps 1958?

Ces réalités doivent désormais être abordées en pleine lucidité à la fois par les responsables de l’Etat dés lors qu’ils sont convaincus que l’antisémitisme n’est pas un mal « ordinaire » mais d’une contagiosité terrible; par les leaders de la communauté juive qui doivent faire taire leurs petites différences devant cette tâche d’importance historique; et bien sûr par les responsables de l’Agence juive et des ministères israéliens concernés lesquels ne peuvent ignorer quel type de société et quelle sorte d’économie rebutent des décisions de âlya dans l’Israël de 2014.

Enfin, on commettrait une grave erreur si ces décisions  ultimes, avec leurs incidences politiques et  financières, ne bénéficiaient  pas d’un accompagnement  spirituel digne de ce nom, débarrassé de la plaie du clientélisme.

Une âlya n’est pas une fuite. Elle implique un choix de société, d’histoire, de vie et un remaniement profond des habitudes. Malgré les apparences, Tel-Aviv n’est pas Miami ni Jérusalem New York. Emigrer est un des droits de l’homme les plus fondamentaux. La âlya requiert qu’en plus que cet homme ait une âme vaillante car en 2014, dans toutes les difficultés du moment, le peuple d’Israël reste un peuple en chantier.

source : Raphaël Draï pour Actu J – 20 Février 2014

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