L’augmentation du nombre de Français diplômés qui vendent leurs talents à l’étranger relève moins d’une redoutable « fuite des cerveaux » que d’un mouvement européen et mondial, et reste compensé par l’attractivité de la France.

La croissance française atone en 2013, à 0,3% du PIB selon l’Insee, et des perspectives moroses pour 2014 entretiennent l’idée d’une crise qui inciterait beaucoup de diplômés à partir.

Une étude dévoilée mercredi par la Chambre de commerce et d’industrie de Paris Ile-de-France (CCIP) dit ainsi que « cadres dirigeants de grands groupes, grandes fortunes ou entrepreneurs s’inquiètent de ce qui pourrait s’apparenter à une hémorragie ».

Le phénomène se traduit par une hausse continue du nombre de Français qui émigrent, de l’ordre de 3% à 4% par an depuis dix ans, pour atteindre 1,61 million d’expatriés selon le ministère des Affaires étrangères, plus quelque 500.000 non déclarés.

Mais si elle s’accélère, l’émigration française reste faible par rapport à celle de voisins pourtant en meilleure santé : l’Allemagne compte, elle, 4,28 millions d’expatriés.

Surtout, la hausse des départs n’est pas une problématique française. Entre 2003 et 2013, le nombre d’Allemands vivant en Suisse est passé, selon Eurostat, de 126.000 à 284.000. En Espagne, il a augmenté de 43% ; en Grande-Bretagne de 68%.

Le fait qu’une majorité des expatriés français ait un diplôme de niveau Bac+5 ou plus, selon le ministère des Affaires étrangères, pourrait expliquer l’inquiétude patronale, mais ils sont aussi surreprésentés dans d’autres pays européens.

Quant au baromètre Deloitte sur l’humeur des jeunes diplômés, qui penseraient de plus en plus à faire toute leur carrière à l’étranger (28% contre 17% l’an passé selon le Quai d’Orsay), il est un indicateur peu fiable selon Simon Robert, consultant qui a travaillé sur l’enquête de la CCIP.

« Il ne faut pas s’alarmer selon moi des intentions de retour qui semblent être quelque chose de flou, » dit-il à Reuters.

« C’est du déclaratif. Si l’économie reprend, il n’y a pas de raison que les séjours ne raccourcissent pas », ajoute-t-il, précisant que le remplacement des missions d’expatriés par des contrats locaux à durée indéterminée entretient l’incertitude.

L’EUROPE AU CŒUR DE LA MOBILITÉ

Pour les experts, la France n’est donc pas un pays que l’on chercherait à fuir à tout prix.

Les diplômés y sont simplement animés, comme ailleurs, d’une volonté de développement de compétences internationales, encouragés en cela par les pouvoirs publics, les entreprises et l’ouverture des frontières européennes, notamment par le biais du programme d’échange d’étudiants Erasmus.

« Il n’y a pas de phénomène dramatique. On passe dans une ère plus mobile, avec Erasmus, le volontariat international en entreprise, une politique de fond », dit Simon Robert.

L’Union européenne a voulu doper la mobilité et y parvient. Entre 2004 et 2013, le nombre de Français résidant dans l’UE ou en Suisse est passé de 414.000 à 718.000. Les Français s’expatrient surtout près de chez eux.

La France est en outre un des moteurs d’Erasmus, qui permet d’étudier dans un autre pays de l’UE. Elle figure dans le Top 3 en nombre d’étudiants partis comme en nombre d’étudiants reçus.

« On construit une identité européenne neuve », juge ainsi Antoine Godbert, directeur de l’Agence Europe Education Formation France, chargée dans l’Hexagone du programme Erasmus+ qui va étendre le dispositif initial à la formation continue.

Les pouvoirs publics ont précédé des envies d’ailleurs devenues un besoin : « Faire une mobilité, c’est aussi acquérir un avantage comparatif parce qu’on a été habitué à travailler dans un autre pays. Or le monde d’aujourd’hui est un monde de l’adaptabilité. »

DES FLUX DE DIPLÔMÉS POSITIFS

Que les Français partent plus est donc positif, selon Jean-Christophe Dumont, directeur de la division migrations internationales à l’Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE), qui y voit même un rattrapage.

« Le fait que la France, qui avait très peu d’expatriés comparé aux autres pays de l’OCDE, observe une augmentation assez nette, d’une certaine manière c’est plutôt rassurant parce que ça fait partie d’un mouvement global. Ça augmente partout. »

« Ce pourrait être inquiétant si les gens ne revenaient pas ou si ce n’était pas compensé par une mobilité entrante. »

Or, au-delà même de l’Europe, la France est un des principaux pays d’accueil d’étudiants et diplômés du supérieur au monde, et en voit arriver plus qu’elle ne voit partir de Français – selon l’OCDE, elle était en 2006 le quatrième plus grand bénéficiaire de ces flux, et premier pays européen.

En 2010/11, 600.000 diplômés du supérieur nés en France résidaient dans un autre pays de l’OCDE alors que 1,6 million d’immigrés diplômés du supérieur vivaient en France. Ce chiffre pourrait encore progresser si le gouvernement vise juste.

Dans le cadre de son initiative pour l’attractivité de la France, il va lancer en 2015 le « Passeport Talents », série de mesures visant à séduire des migrants qualifiés plus nombreux et à même de remplacer les cerveaux qui font des chemins inverses.

(Edité par Yves Clarisse)
© 2014 Reuters – Tous droits de reproduction réservés par Reuters.

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