La psychothérapie s’appuie sur la dynamique des relations entre un thérapeute et son patient. Elle n’en est pas moins active sur les mécanismes cérébraux déréglés par la maladie.
La psychothérapie est une méthode de traitement des troubles psychiques fondée sur la dynamique des relations entre un thérapeute et son patient. Tout en se distinguant des autres moyens d’intervention utilisés pour le traitement des maladies mentales, tels que les moyens pharmacologiques (médicaments psychotropes) ou physiques (chirurgie, électrochocs), elle n’en est pas moins active, au même titre que les autres moyens de traitement, sur les mécanismes cérébraux déréglés par la maladie.

Aux origines de la psychothérapie

La psychothérapie a déjà une longue histoire. Elle tire son origine de ce que Philippe Pinel, à la fin du XVIIIe siècle, appelait le « traitement moral ». Pour Pinel, l’opposition existe déjà entre le traitement moral, méthode « psychique », et les méthodes « organiques » (contention, stimulation, médication) utilisées à l’époque. Le médecin doit, selon lui, entrer dans le délire du malade dans le but de le ramener à la raison. A ses débuts le traitement moral se caractérise avant tout par sa nature empirique, sa seule ambition étant de susciter chez le malade aliéné des passions contraires à celles qui ont provoqué son aliénation : si l’aliénation a été causée par des passions, son traitement ne peut consister qu’à intervenir sur ces mêmes passions.
Pendant la seconde moitié du XIXe siècle, l’intérêt porté par Charcot aux troubles mentaux, et en particulier à l’hystérie, donne lieu à l’éclosion d’une nouvelle symptomatologie, celle de la « demi-folie ». Ce concept vague englobe une zone intermédiaire entre folie et raison, où voisinent des états nerveux plus ou moins bien définis comme la surexcitation nerveuse, le nervosisme, les névropathies, la neurasthénie, la névrose, formes mineures de l’aliénation, mais justiciables d’une thérapeutique adaptée. Ainsi prend naissance une sorte de « direction morale » issue d’une vision humaniste de la folie et des rapports entre le fou et son thérapeute, voisine de ce que préconisaient les promoteurs du traitement moral. Plus tard, vers 1930, Karl Jaspers définit la psychothérapie comme un ensemble de méthodes de traitement qui agissent sur l’âme et le corps par des moyens s’adressant au psychisme. « Toutes exigent que le malade collabore et veuille guérir. La psychothérapie a son champ d’action dans la majorité des psychopathies et des troubles mentaux légers, chez tous ceux qui se sentent malades et souffrent de leur état psychique… » (1). La relation entre le médecin et son malade, insistait-il, doit s’établir à un niveau existentiel, entre deux personnes libres. C’est alors que le malade devient transparent à ses propres yeux et c’est dans la communication existentielle qu’il éprouve pleinement cette révélation et qu’il (re)découvre son autonomie.

Où et comment agit la psychothérapie ?
Avant d’aborder la question du mode d’action de la psychothérapie, il est nécessaire de franchir plusieurs étapes. Il faut d’abord admettre qu’elle représente une thérapeutique efficace pour un certain nombre d’affections psychiatriques ; ensuite, que ces effets bénéfiques sont la conséquence d’une modification du fonctionnement psychique du patient ; que la cause première de cette modification bénéfique est l’interaction qui se crée au cours de la cure entre le patient et son psychothérapeute ; et enfin, que l’action du thérapeute agit sur les mécanismes neurologiques qui contrôlent le psychisme du patient.
Le modèle le plus généralement admis pour rendre compte des effets d’une intervention extérieure sur le système nerveux est celui proposé par Donald Hebb à la fin des années 1940. La thèse de Hebb est que l’activité d’une synapse est renforcée lorsque le circuit auquel elle appartient est sollicité de manière répétée. Dès le début du XXe siècle, le grand histologiste Ramon y Cajal avait émis l’hypothèse que le passage itératif du courant nerveux dans un réseau de neurones peut créer l’hypertrophie de ces neurones et l’augmentation de leurs ramifications. Le modèle de Hebb a depuis été développé par Eric Kandel, qui a apporté une démonstration directe de ce mécanisme de plasticité synaptique (use-induced plasticity) chez un animal marin, l’aplysie, au cours d’expériences d’apprentissage par conditionnement. Ce que montre Kandel, c’est que la stimulation répétée d’une synapse augmente l’expression du gène responsable de la fabrication du neurotransmetteur de cette synapse, et donc la rend plus perméable (2). Chez l’Homme, chez qui l’activité de chaque région du cortex cérébral peut être mesurée au moyen de la neuro-imagerie, on peut observer les effets de l’utilisation intensive de circuits synaptiques : ainsi, la zone du cortex moteur contrôlant les mouvements des doigts chez des violonistes professionnels est près de deux fois plus étendue que chez un musicien débutant. On a montré plus récemment que le cortex moteur peut augmenter son activité au cours d’une activité purement mentale, chez des sujets qui s’entraînent à une tâche d’action simulée. En imaginant serrer un objet de plus en plus fort (mais sans contracter leurs muscles), les sujets de cette expérience parvenaient à augmenter considérablement le métabolisme de leur cortex moteur : ils devaient disposer pour cela d’un indice sur leur activité corticale (une sorte de neuro-feedback) qui leur était donné sur un écran d’ordinateur. Si ce qui est possible avec le cortex moteur l’était aussi avec d’autres structures nerveuses contrôlant des processus psychiques, on pourrait envisager d’utiliser cette méthode pour des modifications ciblées de l’activité nerveuse à des fins thérapeutiques (3).

Le dualisme n’est plus tenable
Au-delà de cette extrapolation qui reste pour l’instant du domaine de la science-fiction, revenons au point central de notre discussion, à savoir celui du mode d’action, sur le système nerveux, de l’interaction entre patient et thérapeute, facteur commun à l’ensemble des psychothérapies. Disons d’abord que l’efficacité de ces techniques semble de mieux en mieux démontrée (4). Ainsi, une revue récente (5) des résultats obtenus chez des patients traités par psychothérapie montre que l’activité de certaines de leurs structures cérébrales se modifie à la suite du traitement : diminution de l’activité du noyau caudé chez des patients obsessionnels, diminution de l’activité de la région préfrontale chez des patients déprimés. Les effets obtenus sont comparables en intensité à ceux obtenus à l’aide de traitements par les drogues psychotropes. De plus, en comparant les effets de la psychothérapie et de la médication chimique, on s’aperçoit que les cibles des deux types de traitement sont différentes : la psychothérapie modifie l’activité du cortex frontal paramédian et du cortex cingulaire, tandis que les médicaments agissent sur l’activité de régions limbiques et sous-corticales. Sur la base de ces résultats, la distinction dualiste entre des thérapies somatiques agissant sur le cerveau et des thérapies psychologiques ayant des effets purement subjectifs, n’est plus tenable. Une complémentarité des deux approches est nécessaire, les médicaments pour cibler les symptômes de fond (impulsivité, instabilité affective), et la psychothérapie pour modifier les modalités relationnelles, les attitudes et le comportement du patient.
Il existe plusieurs méthodes psychothérapiques, qui n’opèrent pas toutes au même niveau du système nerveux. Les méthodes cognitivo-comportementales, qui sont les plus proches du modèle de Hebb et de Kandel, agissent essentiellement sur les apprentissages automatiques qui se sont constitués au cours de la petite enfance, et qui ont permis l’acquisition de « schémas » utilisés ensuite lors d’interactions avec d’autres individus. Ces schémas émotionnels et gestuels, qui font normalement partie d’un répertoire commun à tous les individus d’un groupe, se fixent dans une mémoire dite « procédurale » : leur réactivation permet ensuite une compréhension mutuelle immédiate et favorise l’établissement des relations interindividuelles. A l’inverse lorsque, du fait de conditions de développement perturbées, les schémas qui se sont fixés ne correspondent pas à ceux du répertoire commun, l’interaction avec d’autres individus devient conflictuelle, voire impossible. Des travaux datant des années 1990 ont découvert l’existence, chez le singe, d’un système de neurones qui pourraient expliquer ce mécanisme d’interaction. Ces neurones « miroirs » ont un caractère biface : ils s’activent aussi bien lorsque l’animal exécute une action, que lorsqu’il observe la même action exécutée par un autre individu. Les neurones miroirs, dont l’existence est maintenant prouvée chez l’Homme, constituent en somme, à l’intérieur du cerveau de l’observateur, une image des actions, du comportement, des expressions émotionnelles de l’autre. La psychothérapie pourrait trouver là un point d’impact pour modifier, par désapprentissage, les connexions responsables d’images faussées, génératrices d’incompréhension et de conflits.

Toute thérapie est neuronale
La psychothérapie d’inspiration psychanalytique met en jeu la plasticité neuronale. La méthode psychanalytique offre en effet toutes les possibilités pour la constitution, au cours de la cure, d’une relation interpersonnelle active, en continuité avec le traitement moral des auteurs classiques. Le psychanalyste intervient dans des conditions bien définies, comme interprète et comme élément de stabilité, de confiance, de dialogue. La relation thérapeutique devient alors un cadre d’interaction où s’élaborent le réaménagement, la reconstruction par le patient de ses propres modes de représentation de soi et de l’autre. Dans un cadre renouvelé, celui de la « neuro-psychanalyse » en vogue dans les pays de langue anglaise (6), on peut maintenant envisager des systèmes neuronaux dont la modification plastique pourrait constituer la base d’intervention de la psychothérapie psychanalytique. Là encore, les neurones miroirs pourraient jouer un rôle en facilitant l’empathie entre le patient et son analyste (et réciproquement) (7), et en rendant possible le travail qui permet à l’analyste d’accéder au niveau du fonctionnement cognitif explicite de son patient. Une réorganisation s’opère alors sur le contenu du compartiment conscient de la mémoire (la mémoire autobiographique). Le patient, avec l’aide de son thérapeute, réinvente une narration de son passé.
La relation dans le cadre de la psychothérapie psychanalytique est compréhensive et subjective : elle fait appel à la volonté consciente du patient. Dans les thérapies cognitivo-comportementales, la relation est objective et collaborative : la « réparation » s’opère à un niveau connu du seul thérapeute. Mais dans les deux cas, la relation se construit et joue son rôle pour le réarrangement et la reconfiguration des réseaux neuronaux ; dans les deux cas, la psychothérapie ne peut être que « neuronale ».
La prise en considération de la dimension neuronale de la psychothérapie change la donne de la relation entre le thérapeute et son patient. Le thérapeute, de son côté, en se confrontant à la réalité neurobiologique de son patient, acquiert sur lui de nouvelles possibilités. Il sait qu’il peut agir sur le fonctionnement cérébral du patient par le seul biais du langage et de la dynamique interpersonnelle ; en un mot, il sait qu’en agissant sur les réseaux nerveux du patient, il modifie ses affects (8). Quant au patient, il peut prendre conscience de son fonctionnement cérébral intime et vivre ses conflits et ses symptômes comme des ressources ou des points d’attaque pour une réorganisation des ses propres réseaux, plutôt que comme des manifestations négatives et des signes pathologiques. Cette approche rejoint la vision idéale du traitement moral où la maladie (et le cerveau malade) deviennent des objets d’étude communs au patient et à son thérapeute.

http://www.therapienligne.com/ Yehouda Guenassia
NOTES:
(1) K. Jaspers, K., De la psychothérapie. Etude critique, Presses Universitaires de France, 1956
(2) Kandel, E.R. (1999) Biology and the future of psychoanalysis: a new intellectual framework for psychiatry revisited. American Journal of Psychiatry, 156, 505-524.
(3) DeCharms, R. C., Christoff, K., Glover, G. H., Pauly, J. M., Whitfield, S., & Gabrieli, J. D. E. (2004). Learned regulation of spatially localized brain activation during real-time fMRI. NeuroImage, 21, 436-443.
(4) Expertise collective (2004) Psychothérapie. Trois approches évaluées. Paris, Editions INSERM.
(5) Fuchs, Th. (2004) Neurobiology and psychotherapy: an emerging dialogue. Current Opinions in Psychiatry, 17, 479-485.
(6) Roth, A. & Fonagy, P. (2004) What works for whom. A critical review of psychotherapy research. New York, Guilford.
(7) Gallese, V. & Goldman, A. (1998) Mirror neurons and the simulation theory of mind reading. Trends in Cognitive Science, 2, 493-501.
(8) Folensbee, R.W. (2007) The neuroscience of psychological therapies. Cambridge, Cambridge University Press.

Cet Article est extrait du site Le Cercle Psy Sciences Humaines

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