Plus qu’une biographie, « Charlotte », le nouvel Opus de David Foenkinos, est un hommage vibrant à la vie, à l’art et à ce que le génie doit à la tragédie

Dans un livre qui s’insinue dans la mémoire, David Foenkinos livre sa totale fascination pour Charlotte Salomon qu’il ambitionne de transmettre afin qui sait, qu’on en soit épris autant que lui, par contagion littéraire. Rencontre avec un auteur transcendé par son héroïne, assassinée à Auschwitz à l’âge de 26 ans alors qu’elle était enceinte, et l’œuvre picturale majeure et inspirée qu’elle a laissée.

Votre livre provoque un véritable engouement pour Charlotte et son œuvre. Mission accomplie ?

Ça me fait plaisir d’apprendre que les lecteurs ont envie d’aller à la découverte de l’œuvre de Charlotte après avoir lu le livre. Je suis très content d’avoir motivé pas mal de monde ; le musée juif d’Amsterdam, le musée de Berlin mettent en ligne son œuvre, « Vie ou théâtre », tableaux et texte. Il va y avoir une exposition à Villefranche sur Mer, une autre à Nice à la saison prochaine. Sur tous les lieux où elle a vécu il va y avoir des plaques commémoratives. Pour moi c’est important, car c’est la région où elle était en exil, où elle a peint. J’étais à Yad Vashem quand le livre partait à l’impression. Et dans ce lieu, j’ai eu le sentiment que je pouvais encore retravailler et j’ai appelé Gallimard. Je ne voulais surtout pas rater ce livre là et l’occasion de la faire connaître.

Pourquoi ne pas avoir mis de photos de ses œuvres en illustration

C’est le choix de Gallimard. C’est un livre qui sortait en pleine rentrée littéraire et mettre des photos des œuvres, déplaçait le livre vers le document. Mais comme il est plébiscité par les libraires, en lice pour le Goncourt et le Renaudot et vu son succès important, les éditions Gallimard vont sortir dans quelques mois une édition du livre avec les dessins de Charlotte et j’en suis très heureux.

Pourquoi aussi le récit de votre quête sur les traces du personnage

C’était très important pour moi d’être présent dans le livre. Je voulais faire partager mes émotions pour Charlotte et qu’elles soient contagieuses. La meilleure façon de présenter une personne qu’on admire et qui nous émeut, c’est d’expliquer aussi ce pourquoi elle nous touche. Ma première émotion a été purement artistique. J’ai été foudroyé par son inventivité. Mais la particularité de Charlotte Salomon, c’est que son œuvre est liée à sa propre vie qui est autobiographique. On est à la fois émerveillé  par son talent, surtout quand on voit les conditions dans lesquelles elle a composé cette œuvre de jeunesse, à 23 ans avec très peu de moyens, 3 couleurs seulement. Et on est forcément bouleversé par l’histoire qu’elle raconte ; émotionnellement c’est très très fort.

Cette rencontre avec Charlotte a tout du coup de coup de foudre

Il y a des émotions qui ne sont pas rationnelles avec Charlotte en ce qui me concerne. C’est ce qu’on ressent parfois en amour quand on l’impression de se connaitre depuis toujours au moment de la rencontre. Et depuis elle me hante et ce n’est pas une émotion passagère. Mais je n’aime pas mette des mots sur des troubles de cet ordre-là. Elle me touche aussi pour des raisons assez personnelles. De l’ordre des références communes. Elle était tout ce que j’aimais. J’ai toujours été attiré par cette époque, cette génération allemande, culturellement intellectuellement, génération qui va être broyée. Et quelque part, elle est issue de quelque chose qui m’a toujours attiré aussi ; j’adorais aller dans son quartier avant même de savoir qu’elle y avait vécu. Il y a par petites touches dans le livre l’idée que je crois en la mémoire des lieux. Sans être excessif dans le mysticisme on a tous parfois le sentiment qu’un endroit peut nous parler, l’impression d’être déjà venu.

N’est-ce pas aussi pour pénétrer cette alchimie mystérieuse à l’origine de la naissance de cette œuvre qui exerce sur vous une totale fascination qui vous a précipité sur les lieux où elle a vécu

Je fonctionne surtout comme un admirateur. A vrai dire, ce qui me fascine chez elle, c’est le niveau absolu de la création. La création comme nécessité totale pour survivre. C’est ce qui est très beau chez elle ; comment, alors qu’elle est au bord du désespoir, de la folie, du délabrement, elle va être capable d’aller puiser en elle une source de beauté et de lumière. Elle est un exemple.

Comme vous, Charlotte a eu une enfance « qui repose sur une absence d’orientation juive ». Avez-vous été rattrapé par votre judéité par personnage interposé ?

Je n’ai pas été séduit par sa judéité. En revanche, j’ai toujours été attiré par l’idée qu’on ne parlait pas assez de l’extermination. Je voulais aussi insister sur le fait qu’il y en avait qui avaient étés rattrapés par leurs origines juives alors qu’ils aimaient l’Allemagne plus que tout. C’est pourquoi je cite Kafka. Comme lui, je suis convaincu qu’on est attaché à son origine quoi qu’on fasse et qu’on y est ramené à un moment donné quand un « d’où je viens » devient un impératif. On fait partie d’une histoire, parfois celle que nous n’avons pas écrite nous-même, et par petite touches je raconte aussi ça.

« Existent-ils ces mots qui atténuent la haine des autres », question sans réponse dans votre livre

Je ne suis pas sûr qu’on puisse calmer la haine avec des mots. Ce livre est avant tout un travail de mémoire, lié au contexte de la guerre. Je vais intervenir dans les lycées, mais c’est difficile de parler de la déportation, il faut incarner l’histoire par des personnages. Pour autant, mon ambition, mon message, au-delà de la tragédie de son histoire, c’est de rendre à cette femme sa dimension humaine et universelle de force et de courage.

« J’étais tous les personnages de ma pièce. J’ai appris à emprunter tous les chemins. Et ainsi je suis devenue moi-même », faites-vous dire à Charlotte. En cheminant avec votre héroïne qu’avez- vous découvert de vous ?

Je suis heureux et apaisé pour la première fois de ma vie. D’habitude quand je sors un livre, j’ai la tête ailleurs. Là pas du tout. C’est le livre que je voulais faire depuis toujours, ça m’a complété.  On peut ramener un artiste à la vie, c’est le but de mon livre. Il s’agit d’elle avant tout.

Foenkinos est présent dans son livre aux côtés de Charlotte, de par les émotions qu’elle lui inspire et qu’il confie, mais aussi en creux, à son insu peut-être, entre les lignes, de par la façon dont il la fait parler, penser, rêver ; il lui donne chair en lui insufflant une âme. Il s’efface avec humilité, tout entier au service de son personnage et de son propos, sans rechercher les effets de plume. Il a trouvé les mots pour la dire et la respiration du personnage qui s’incarne dans une prose poétique, épurée mais inspirée et un verbe traversé de fulgurances. « On devient artiste en s’accoutumant de la folie des autres », dit-il. Il semblerait qu’avec ces dix années d’intimité avec Charlotte Salomon pendant la gestation puis l’écriture de ce livre, sa propre voix ait gagné en densité, pour devenir de l’étoffe de celles qui se propagent « comme du sang dans l’eau ».

 Kathie Krieger

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