Le plus préoccupant dans les manifestations d’antisémitisme qui ont marqué les 15 et 16 février derniers est bien le lien qui les relie et qui n’apparaît pas au premier regard. La tuerie de Copenhague démontre en effet qu’il n’y a de sécurité réelle nulle part en Europe pour les communautés juives qui y vivent ou qui y survivent. Quant au saccage profanateur du cimetière juif de Sarre-Union et aux déclarations de Roland Dumas concernant « les influences juives » qui s’exerceraient sur le Premier ministre du fait de son mariage, ces forfaits matériels ou verbaux sont bien sûr graves en eux mêmes mais ils le sont également par la sombre transversale qu’ils font apercevoir entre les générations. Car, si l’on suit les commencements de l’enquête concernant le cimetière de Sarre-Union, cette profanation serait imputable à des lycéens, à des adolescents dont on se demande ce qu’ils savent vraiment de la vie en général et de la vie juive en particulier. Le plus frappant est la quasi-concomitance dans le temps, du dimanche soir au lundi matin suivant, d’une part de ces actes insensés dont on se demande toujours quel est le mobile psychique réel, et d’autre part des déclarations de Roland Dumas.

D’un côté, des jeunes à peine engagés sur les chemins de la vie et qui choisissent les pires de ces voies, de l’autre un nonagénaire qui use du vocable de « juif » ou de « juive » dans l’esprit, si l’on peut dire des années 30, et comme s’il s’agissait d’une tare contagieuse.

Certes, la réaction des pouvoirs publics n’a pas tardé, et si elle a été sans équivoque elle ne saurait empêcher que se pose une nouvelle fois, et serait-ce au corps défendant des intéressés, la question qui fâche ou qui dérange: où est la véritable place des Juifs de France? En France même? En Israël? A Shangaï? A Montréal? A Miami? Chacun est tenté d’y aller de sa profession de foi, y compris parfois au sein du rabbinat. Existentiellement parlant, une « place » ne se définit pas dans l’abstrait mais au regard des réelles conditions de vie des êtres de chair et de sang qui l’occupent. La communauté juive est traversée sur ce sujet décisif par des mouvements divers mais au bout du compte les décisions à prendre et qui engagent les générations à venir relèvent de la seule responsabilité individuelle. Je me souviens d’une discussion qui opposait en pleine guerre d’Algérie des membres actifs de la communauté juive de ma ville natale. C’était en 1956 et l’un d’entre eux avait fait part de sa décision longuement mûrie de quitter cette ville. Ce qui entraîna cette réaction de l’auditoire: « Vous êtes fous de partir ». A quoi il répliqua « Vous êtes fous de rester ». A coup sûr les années 50 ne doivent pas être confondues avec les années 2010. Pourtant les tempêtes sous les crânes ne sont pas moins tumultueuses. Car à constater comment procède le terrorisme physique, moral ou verbal; à constater aussi comment vit désormais la communauté juive de France: pratiquement en état de siège, qui peut actuellement se porter garant de la vie d’autrui au point de lui assigner sa place obligée dans l’espace et dans l’Histoire? Plutôt que de se limiter en ce domaine à des déclarations péremptoires, le plus sage n’est-il pas de nourrir les débats en cours et d’informer autant que possible ceux et celles qui s’interrogent à présent et légitimement sur les chemins de leur avenir?

Raphaël Draï, Radio J, 23 février 2015.

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