En juin 1967, Israël menacé de destruction par les Etats de la ligue arabe, bénéficie en France d’un soutien unanime de l’opinion publique, de l’extrême droite à l’extrême gauche, de François Mauriac à Jean Paul Sartre. Pourtant la guerre de Six Jours (5-10 juin 1967) va entraîner la déchirure entre Israël et la France. Pendant un mois, qui précède l’affrontement, les juifs français sont étreints par une effroyable angoisse, ils craignent que d’autres juifs soient exterminées, le syndrome de la Shoah remonte à la surface. Vont-ils assister à une nouvelle Shoah sans intervenir ?

Adam Loss, alors directeur du FSJU écrit :  « Je n’avais jamais ressenti pareille déchirure. De vieilles dames accouraient au bureau et me suppliaient de bien vouloir prendre les derniers bijoux, de les faire partir en Israël. Tous les juifs français étaient désespérés. »

Le philosophe Vladimir Jankelevitch, lui aussi, laisse cette formule : « Si Israël meurt, il ne nous reste que la honte éternelle d’avoir laissé mourir les survivants d’Auschwitz. »

Une fois la victoire acquise, l’angoisse qui précède la guerre fait place à une libération extrême. Selon Jean Daniel, directeur du Nouvel Observateur : « Ce sont les juifs extérieurs à Israël qui ont psychologiquement le plus profité des victoires israéliennes. »

Pour Pierre Goldman : « Des juifs se battaient, combattaient, gagnaient. » Tout ça n’est  pas  compris par le président français, complètement indifférent aux actes bellicistes des pays arabes lancés dans les jours de Mai 1967.

Pour des raisons de politique méditerranéenne, des intérêts économiques et commerciaux, De Gaulle fait décréter l’embargo sur les livraisons d’armes à Israël dés le 2 juin 1967. Trois jours plus tard, il condamne l’intervention israélienne en la qualifiant d’agression.

Le 15 juin 1967 il réaffirme le refus de la France de ne tenir pour acquis aucun fait accompli. Le chef de l’État a  aussi donné pour mission à son gouvernement de dénoncer l’attitude de l’État hébreu devant l’Assemblée nationale ainsi qu’à l’ONU.

La France appuie à fond l’interprétation arabe de la résolution 242 de l’ONU dans le sens d’un retrait total des territoires occupés comme préalable à l’ouverture des négociations de paix alors que selon Lord Carendon, l’auteur du texte, les deux mesures doivent être liées et simultanées.

Le 27 novembre 1967, au cours d’une conférence de presse,  parlant de la situation au Proche-Orient, De Gaulle en vient à déclarer que beaucoup se demandaient si « les Juifs, jusqu’alors dispersés, mais qui étaient restés ce qu’ils avaient été de tout temps, c’est-à-dire un peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur, n’en viennent, une fois rassemblés dans le site de leur ancienne grandeur, à changer en ambition ardente et conquérante les souhaits très émouvants qu’ils formaient depuis dix-neuf siècles ».

Ces mots font l’effet d’une bombe au sein de la société israélienne, des Juifs de France mais aussi des nombreux politiciens sympathisants de la cause de l’État juif. Les juifs français sont frappés au plus profond d’eux-mêmes.

En fait, De Gaulle est persuadé que la guerre de Six Jours et ses retombées les ont précipité à l’extérieur du consensus national. Il laisse entendre qu’ils ne raisonnent plus en Français, qu’ils recherchent une place au sein du peuple juif plutôt que dans l’entité française.

Autant sous la quatrième République, il y avait unité de vue entre le judaïsme et la citoyenneté française, autant à partir de  juin 1967 la situation s’est dégradée brutalement, De Gaulle redonne naissance au soupçon de la double allégeance.

Pour les Juifs de France, le choc est rude, la crise violente et inattendue, à la fois personnelle, identitaire et politique. C’est un appel ouvert à la remontée de l’antisémitisme en France. Pour la première fois depuis Vichy, les Juifs de France sont heurtés dans leurs convictions profondes. L’agression est indirecte puisqu’elle vise l’état d’Israël. D’autant qu’en 1967, la communauté offre un nouveau visage.

L’arrivée depuis 1962 des Juifs d’Afrique du Nord entraîne un doublement numérique et une modification des comportements et des mentalités.
Ces Juifs déracinés d’une terre méditerranéenne, issus de sociétés profondément religieuses, ont du judaïsme une conception très différente de celle des juifs vivant en France. Leur transplantation a souvent abouti à un déclassement social et surtout à une perte de leur identité de nombreux Juifs pieds noirs. Comment retrouver la chaleur d’un judaïsme dans la société civile, laïque et impersonnelle ? Pour ces Juifs séfarades, l’attachement à la terre d’Israël fait partie du plus profond de leur être, parce qu’elle symbolise la pérennité du peuple juif, le soutien à Israël est une passion, absolue et véhémente, toute critique à son égard est vécue par eux comme un affront personnel.

Un autre phénomène renouvelle les mentalités de la communauté juive de France, c’est la montée d’une nouvelle génération née après la guerre, en même temps que l’Etat d’Israël, une génération obsédée par une époque qu’elle n’a pas vécue. Parce que c’est en 1967 au Proche Orient que se prépare une nouvelle Shoah, cette génération place au premier plan de ses préoccupations le soutien à l’état hébreu.

En juin 1967, pour la première fois de son histoire, le judaïsme français organise des manifestations massives de soutien à Israël. Une immense vague de solidarité déferle ainsi sur la communauté qui découvre ses propres frères. L’émigration des Juifs de France vers Israël qui est la deuxième plus importante après celle des Etats-Unis, s’intensifie : 15 000 départs en 1967.

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Le résultat de la guerre des six jours, la victoire éclatante de Tsahal, la conquête de Jérusalem et de nouveaux territoires,  permettent à la France d’opérer une catharsis de sa culpabilité. Dans aucun autre pays européen on ne voit autant de causes étrangères importées sur les campus, dans des manifestations et des meetings. La culpabilité envers les Juifs se renverse au profit d’une culpabilité à l’égard des pays victimes de la colonisation.

 

Les discours antisionistes vont  se développer,  à la faveur des événements de mai 1968 avec l’essor des phénomènes gauchistes. Le soutien à la cause palestinienne va de pair avec la poussée de l’antiaméricanisme, lié à la fin de la guerre du Vietnam.
La rupture est consommée entre les deux États en décembre 1968 avec une attaque israélienne au Liban. En riposte à un attentat anti-israélien sur l’aéroport d’Athènes, Tsahal  lance une opération de rétorsion sur l’aérodrome de Beyrouth. Opposé à la théorie des représailles, le président français proclame l’effectivité totale du boycott des armes à destination d’Israël. Pour autant, ce changement de politique ne suscite pas moins des oppositions en France. Dans la nuit de Noel 1969, l’ultime épisode du divorce entre les deux Etats, éclate avec l’affaire des vedettes de Cherbourg.
(A suivre..)

 Joël GUEDJ historien, pour Ashdodcafe

Prochain épisode/Les juifs de France durant les années pompidoliennes et giscardiennes (8).

 

 

 

 

 

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