Aujourd’hui le mariage et ses préparatifs sont bien plus rapides que du temps où nos grands-parents et même nos parents ont vécu.

Aujourd’hui un jeune homme et une jeune fille se rencontrent généralement seuls, conversent un certain temps puis décident de donner une suite à cette entrevue ou pas. Puis, les parents des deux côtés se rencontrent, on fixe une date, des modalités, une salle, on fait des courses et des achats de toutes sortes pendant un bon mois, puis a lieu la cérémonie et le couple se voit uni  pour le meilleur et pour le pire le tout tambour battant.

Du temps de nos parents et de nos grands-parents, les choses allaient moins vite : on prenait le temps de vivre et on savourait ce temps qui s’écoulait avec goût et poésie. Il y avait des rituels auxquels tout le monde sacrifiait car, qui ne s’y soumettait pas était moins considéré et, tels étaient les critères imposés par la société  et les « bonnes familles ».

Tout d’abord lorsqu’une jeune fille atteignait l’âge de 12 ans, les mamans allaient acheter la première pièce du trousseau de la jeune fille qui n’était autre que deux peignes en corne ou en écaille naturelle : un peigne fin et un démêloir de bonne qualité. Les jeunes filles d’alors avaient de longs cheveux et il était donc normal que la mère se chargeât de l’achat des deux pièces qui allaient être nécessaires à la jeune mariée pour aller au bain rituel et se faire belle pour son mari.

Dès ce premier stade où la petite fille quittait le monde de l’enfance pour celui de l’adolescence et où entre sa mère et ses tantes elle allait commencer son apprentissage de future épouse, il n’y avait pas tellement de place pour des jeux et prolonger un tant soit peu les rêves enfantins.

Donc, dès l’âge de 12 ans la fillette, commençait à apprendre à broder puis pour certaines à faire de la dentelle avec un crochet et un fil si fins que cela ressemblait presque à une aiguille à coudre et un simple fil à coudre. La fillette commençait à se familiariser avec des motifs savants et compliqués et à mouvoir ce crochet avec une telle dextérité que cela tenait un peu du prodige mais tous s’émerveillaient des résultats obtenus…. En fait la jeune fille commençait dans ces mois-là à préparer son trousseau : nappes, serviettes de table, draps et taies d’oreillers ainsi que les serviettes de toilette, tout était chiffré et parfois ajouré de jours de Venise ou de jours turcs. Les points de broderie divers et, parfois des incrustations effectuées permettaient aux parents de s’enorgueillir et pouvaient monter ou baisser leurs prétentions en recherchant un mari pour leur fille, qui, sérieuse, occupait ses soirées à broder  son chiffre sur les différentes pièces du trousseau et sur des mouchoirs élégants. A l’époque, les draps tout comme les nappes étaient en pur coton quand elles n’étaient pas en lin et les nuits d’hiver, il fallait un bon laps de temps pour se réchauffer à l’intérieur des lits tendus de ces chefs d’œuvre de tissage et de broderies.
A l’époque d’ailleurs, on gardait toujours deux draps brodés pour servir plus tard de….linceul.

Lorsque la jeune fille avait été proposée et qu’elle avait été choisie par un prétendant et après que les parents des deux côtés aient vérifié les références auxquelles ils tenaient chacun pour sa part, on présentait les candidats au mariage en leur signifiant que leur mariage serait célébré bientôt. Si les fiancés se plaisaient tant mieux sinon, la jeune fille en général devait obtempérer car l’engagement avait été conclu.

C’ est ainsi que commençaient les festivités séparées en deux volets : le premier étant les fiançailles et le second : les noces.

Pour les fiançailles, la fiancée toute de rose vêtue paradait dans une salle où se poussaient toutes les femmes de la famille ainsi que les jeunes filles en quête de mari pour ce qui s’intitulait la présentation de la dot. Lors de cette réception, on dressait quatre tables exhibant le trousseau de la jeune promise avec toutes les pièces du trousseau brodé ainsi que les dentelles, napperons brodés ou crochetés et autres pièces présentées ainsi qu’une sorte de peignoir de bain qui n’était en fait qu’un métrage de tissu blanc et rose en général et en satin broché dans lequel la jeune fiancée se drapait au sortir du bain (une foutah). Ceci prouvant à qui le voulait que la fiancée était une fille de famille et, en général la mère de l’heureuse élue s’arrangeait toujours au cours de la soirée pour faire savoir que la fiancée était musicienne en la priant d’interpréter une œuvre classique ou de musique andalouse car, il était très bien vu qu’une jeune fille sache jouer du piano[1].

Sur une deuxième table, on exposait les pièces d’argenterie dont la mariée allait se servir dans son futur foyer ainsi que les pièces de cuivre qui étaient très prisées à l’époque.

Plus ces tables étaient fournies et plus grande était la considération – et l’envie aussi de ceux qui ne pouvaient ou ne pourraient rivaliser….

Sur la troisième table, étaient exposés les bijoux dont était dotée la jeune fille où rivalisaient des trésors d’orfèvrerie en or et en argent savamment travaillés ainsi que des perles fines. Une jeune fille de bonne famille ne devait pas posséder de bijoux avec des brillants ceux-ci étant l’apanage de femmes mariées.

Sur la quatrième table enfin étaient exposées toutes sortes de pâtisseries fines à base d’amandes et de miel pour que la vie du futur couple soit douce.

Lorsque la cérémonie des fiançailles commençait le fiancé se faisait précéder par l’envoi d’un grand plateau de cuivre ouvragé (sanyia)  bordé d’une galerie de cuivre destinée à contenir tout ce que le fiancé y avait posé : une bonbonnière en cristal pleine de dragées roses au centre desquelles le fiancé avait déposé un écrin contenant la bague de fiançailles (les mauvaises langues en profitaient pour jauger le fiancé d’après la grosseur du solitaire ! lorsque la pierre ornant la bague était de belle taille, les commères s’exclamaient : « Eh bien ! il ne s’est pas moqué de toi au moins ! on voit que c’est une bonne famille – ce qui amène à penser qu’il suffit de bien peu de choses pour être apprécié ou déprécié – puis d’autres bijoux tels que boucles d’oreilles, bracelets, colliers et autres…. Dans d’autres plateaux d’importance secondaire mais très importants aussi dans la considération mutuelle à venir des familles, un plateau destiné à la jeune fille et contenant force parfums, savons parfumés, et autres articles de parfumerie et maquillage ainsi qu’une paire de pantoufles en satin rose en général.

Puis, les fiançailles célébrées, les deux fiancés pouvaient officiellement se voir et parler en attendant le mariage.

Pendant la période intermédiaire, où les fiancés choisissaient éventuellement leur futur appartement ainsi que les meubles et autres fournitures, les familles se préparaient à leur alliance…. Si pendant cette période se célébraient des fêtes telles que Hanouka ou Pourim, les deux familles étaient tenues à des échanges de cadeaux divers selon leur état de fortune. La famille du jeune homme faisait parvenir à la fiancée des chandeliers en argent et la famille de la jeune fille offrait au jeune homme une hanoukia ouvragée ; pour Pourim, la famille du jeune homme faisait parvenir une poule blanche ornée d’un ruban rouge et d’une pièce d’or tandis que la famille de la jeune fille envoyait au fiancé des plateaux de sucreries, confiseries et pâtisseries maison « confectionnées avec amour par la fiancée »….. Tout ceci évidemment ne manquait sûrement pas de charme ni de dépenses non plus….

Lorsqu’ approchaient les jours heureux de l’union des deux familles, le calendrier des festivités était connu d’avance à tous puisque il en était ainsi chez tout le monde.

Il y avait un certain nombre événements absolument incontournables et aussi quelques-uns qui dépendaient de l’état de fortune du futur couple. Ainsi, chaque étape dans cette élaboration d’union donnait prétexte à festoyer. Ces festivités se résumaient en général à un grand couscous qui réunissait les familles et les très proches parents ainsi que les amis intimes. A défaut de couscous, on faisait un plantureux repas bien arrosé par des vins généreux et puissants qui permettait aux convives de se sentir en joie dès la première gorgée du breuvage.

Et puis, il y avait la cérémonie de la glace : en général, le fiancé devait acquérir un grand et beau miroir qui ornerait le foyer des amoureux. Ce miroir était ce que l’on désignait sous le nom romantique de Miroir de Venise : soit un grand miroir en général rectangulaire tout autour duquel se trouvaient d’autres petits miroirs ouvragés et carrés de teinte différente soit blanc ou blanc rosé, fumé aussi parfois…..

La fixation et installation de ce miroir – lourd par définition – ne se faisait pas simplement puisqu’il fallait au moins deux hommes pour le porter et quelqu’un qui le fixe au mur. A l’époque où Black and Decker n’existait pas encore, il fallait s’accrocher – c’est le cas de le dire – avec une chignole ou un villebrequin pour percer des murs en pierre de taille….. Le fiancé accrochait un magnifique et énorme nœud de ruban rouge sensé symboliser la joie et le bonheur du futur foyer.

Et puis, devinez quoi, le fiancé invitait ses proches amis et parents (mâles) à la cérémonie dite de la glace et cela donnait prétexte à une grande collation bien arrosée une fois de plus…..

Puis, le lendemain les mêmes joyeux lurons se réunissaient à nouveau pour la cérémonie de la poule : de manière à immortaliser le moment, et à sacrifier aux coutumes ancestrales, le futur époux achetait une poule blanche – pureté de la fiancée – et la faisait sacrifier (certains disent que c’était pour chasser les mauvaises influences qui pouvaient exister dans l’appartement et annuler si besoin est les sortilèges éventuels existant en cet endroit). Là aussi, cette soirée fournissait l’occasion d’un festin. Ces deux soirées  avaient  lieu en général quelques jours avant le mariage, puisque une semaine à dix jours avant avait lieu la cérémonie du henné où le marié faisait des cadeaux à sa promise – notamment 7 paires de chaussures qu’elle devait porter pendant toute la semaine suivant le mariage – ainsi que des pantoufles et ainsi que des pantoufles pour les sœurs –célibataires- de la mariée, éventuellement le marié achetait encore un petit bijou ou plus selon ses moyens et son degré d’amour…. Cette cérémonie s’intitulait la soirée du « tifour » (nom du plateau sur lequel étaient présentés les cadeaux), là encore les convives se serraient autour d’une grande table pour un nouveau repas. Il y avait aussi le repas qui avait lieu après l’union du couple et la rédaction du contrat de mariage chez le notaire et la cérémonie civile à la mairie (en général un couscous ou un barbouche[2]).

Etant donné que les femmes n’avaient à faire que leur cuisine, le ménage et élever leur progéniture, il fallait bien s’occuper et donc les ragots allaient bon train : tout était analysé et commenté et de là venait la considération que l’on donnait à chaque famille qui a fait les choses « comme il faut » ou pas assez……

Le rabbinat d’Alger n’exigeait d’aucune jeune-fille qu’elle se rendît chez une femme instruite en la matière (qu’aujourd’hui on affublerait du titre pompeux de « rabbanite ») pour instruire la fiancée en ce qui concerne « la pureté familiale » et, de plus on n’exigeait pas de la jeune fiancée de fournir au rabbin, qui aurait le devoir d’unir le jeune couple, de remettre le « certificat du mikvé ».

En fait, la fiancée se rendait entourée de sa mère et de la future belle-mère ainsi que des sœurs, futures belles-sœurs, et éventuellement des tantes et des cousines, en un cortège joyeux vers le hammam avec des corbeilles en osier ornées de rubans rouges et avec des « tassa » (sorte de  coupes en cuivre ou en argent) dans lesquelles étaient rangés des savons parfumés, des flacons d’eau de Cologne achetée soit chez « Marlys » soit chez « Coryse Salomé » et puis des frottoirs d’alfa, des gants de toilette et, enfin, dans une autre tassa était le henné préparé avec des morceaux de ruban ou de tulle blanc pour les jeunes-filles, promesse d’un mariage dans l’année et les pièces d’or : la belle-mère offrait à la jeune fiancée une pièce d’or qu’elle garderait toute sa vie : promesse et gage de richesse ou d’opulence. Il y avait un rituel auquel chacune  sacrifiait : « savonner le dos de la mariée » et, lorsque la mère de la future épousée rinçait sa fille au moyen de tassa emplies d’eau tiède parfumée d’eau de Cologne, toutes les présentes poussaient des « youyous » et jetaient des dragées blanches et roses. Une fois de plus étaient offertes des pâtisseries fines aux amandes et au miel.

Dans la soirée, c’était la soirée du henné où les plus intimes se partageaient des mets fins du thé parfumé à la menthe ou aux fleurs d’oranger ou de jasmin selon l’époque de l’année à laquelle avait lieu cette célébration, des dattes mielleuses fourrées de pâte d’amandes colorée en vert pâle ou en rose.

Puis l’assistance se séparait pour permettre aux fiancés de se reposer avant cette journée très dense du mariage.

Le lendemain, les proches faisaient décorer les véhicules qui conduiraient les fiancés vers la synagogue ornée de tapis et de vases débordants de glaïeuls blancs, roses et saumonés et de roses blanches ou roses.

Le cortège composé de demoiselles d’honneur stationnait dans l’entrée de la synagogue en attendant les mariés.

Après la bénédiction nuptiale, les invités se dirigeaient vers la salle de réception au cours de laquelle, après que les convives aient dégusté le plat principal et avant que ne soit exhibée la pièce montée, la mariée découpait une partie de son voile de mariée pour en distribuer des bandelettes  aux jeunes-filles à marier le reste du voile de la mariée était conservé religieusement pour servir de moustiquaire sur le berceau du bébé à venir. ..

En général,  il était de bon ton que les nouveaux-mariés s’éclipsent avant la fin de la réception. Puis, le lendemain, les amis et amies des jeunes époux apportaient des beignets au sucre et au miel pour célébrer le bonheur naissant du couple qui se rendait en principe chez les parents de la jeune-femme chez lesquels étaient conviés la famille nouvellement  alliée.

Caroline Elishéva REBOUH

[1]« taper » du piano –cette expression venant sûrement traduire  l’expression espagnole « tocar el piano ».

[2]Couscous dont les grains roulés très gros étaient arrosés d’une sauce rouge et servi avec un ragoût de « gras-double » ou tripes, de haricots blancs, décoré de petites courgettes cuites à la vapeur et agrémenté de fèves et de demi œufs durs le tout parfumé à une sorte de menthe sauvage (flio, ou menthe poulliot).

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