LA PÉRIODE AVANT CHAVOUOT ET CELLE QUI SUIT A ALGER –      Ière partie

Lorsque nous étions enfants,  nos camarades de classe non-juifs nous faisaient partager l’effervescence dans laquelle ils se trouvaient car, alors que chez nous,  les garçons allaient à « l’Alliance » (ou Talmud Torah) chez les catholiques, ils allaient au catéchisme pour se préparer en vue de leur communion solennelle. Au mois de mai, les communiantes vêtues de jolies robes en organdi blanc, telles de petites mariées, venaient se faire admirer des camarades de classe. Je me souviens que je demandais  à mes parents pourquoi chez nous,  les Juifs,  il n’y avait pas de cérémonie pour les filles qui entreraient dans une période intermédiaire entre l’enfance et l’âge adulte tout comme on le faisait pour les garçons avec la Bar Mitsva. On m’avait répondu que cela ne se faisait pas et je ne comprenais pas pourquoi on nous privait de porter une si jolie robe et d’une fête, à célébrer entre copines,  d’autant plus que,  déjà, avant Pessah, les grandes confiseries suspendaient dans leurs boutiques –  sur des fils de fer étirés parallèlement au plafond – des « rameaux » sorte de petites branches d’arbre recouvertes de papier d’étain doré ou argenté et plein de fleurs ou de plumes et surtout de confiseries de toutes sortes (ce qui nous faisait baver d’envie) et,  nos parents nous disaient que cela ne nous été pas destiné et, même si nous comprenions ou croyions en comprendre les raisons, nous le ressentions comme une privation. ….

 Après Lag BaÔmer, les jours devenaient un peu plus longs et cette période  – où nous n’étions  invités à aucune réception – prenait fin et nous nous en réjouissions  car la fête de Chavouot approchait avec ses délices et se profilaient enfin  les grandes vacances, promesses de baignades et autres loisirs entre cousins.

A Chavouot, mon Père, pour l’office du matin, se dirigeait avec mon frère et moi vers la synagogue de St Eugène où officiait le Rabbin Ben David qu’il affectionnait tout particulièrement.

Après la lecture des 10 Paroles (les dix commandements) ; des fidèles se partageaient cette lecture en judéo arabe que l’on intitulait pompeusement la « dissertation homilétique » des commandements par Saadia Gaon[1]. Lorsqu’un jeune garçon excellait au Talmud Torah, souvent, en accord avec la famille, bien entendu, le professeur faisait apprendre l’une de ces dix paroles en judéo-arabe et, après la prestation, généralement appréciée de l’assistance, la maman faisait circuler des dragées dans les rangs des fidèles et, à la fin de l’office était offerte une collation qui était accueillie favorablement d’autant que la plupart des personnes n’avaient eu le loisir de prendre un solide petit-déjeuner et qu’avec toutes les montées au sefer torah il était plus de midi. Pour notre part, nous avions encore une bonne route à faire à pied jusqu’à notre domicile à Bab-el-Oued.

Pour l’office du soir du deuxième jour et le lendemain matin, mon père préférait se rendre chez son ami le Rabbin André Abib qui officiait à l’ancienne synagogue de la rue Suffren. Ils étaient amis et ils avaient formé un quatuor d’amis depuis leur enfance : lui, le Rabbin Abib, le Rabbin Elie Zerbib et le Rabbin Marcel Achouch. Seul mon père avait opté pour un métier puisqu’il avait opté pour une orientation dans l’enseignement puis vers le commercial…..

J’évoque ici le début des années 50 où le cimetière, dit rabbinique,  situé à l’angle de la rue Suffren et de la rue Montaigne existait encore adossé si l’on peut dire à l’école communale de la rue Franklin. Ce cimetière fut transporté à St Eugène en 1954 car,  la communauté d’Alger – sous le couvert d’une aide financière conséquente du Joint (American Joint Committee) – avait décidé de construire sur cet emplacement la nouvelle école rabbinique qui, d’ailleurs, après son inauguration connut un certain succès avec tout l’apport spirituel, intellectuel et humain de la famille de Aizer Cherqui ז »ל  et de Simon Darmon(הי »ו)  qui y enseignait et de Jacquot Grunewald)  (הי »ו  qui, à l’époque,  effectuait son service militaire dans l’aumônerie  et, dispensait des cours de Torah et de Guemara à qui voulait y assister au centre communautaire de la rue Michelet. J’y reviendrai plus tard et plus en détail.  Mais à chaque office des jeunes de la nouvelle école rabbinique, il nous entretenait  de la parasha et des fêtes qui s’annonçaient….

Chez nous, nous avions l’habitude de consommer pendant les deux jours de fête des mets lactés.  Une semaine avant la fête et à nouveau un jour ou deux avant Chavouot,  Maman achetait beaucoup de lait à partir duquel elle confectionnait du fromage blanc,  puis des yaourts et du lait caillé. Pour l’allumage, elle confectionnait deux veilleuses dans lesquelles elle plaçait un bijou en or  une noix de beurre et une cuillerée de miel puis du lait et par-dessus de l’huile d’olives. Ce lait, d’ailleurs, sous l’effet de la chaleur des veilleuses caillait lui-même. La symbolique de ces lumières était entièrement centrée sur le fait que la Torah est plus précieuse que l’or, et que la Torah est plus douce que le miel. De plus s’ajoutait à cette symbolique celle  de notre jeune pays d’Israël Eretz zavat halav oudevash[2] – le pays où coulent le lait et le miel.  Nous nous délections de ce lait caillé et de ces yaourts dans lesquels on ajoutait de la confiture faite à la maison et des gâteaux confectionnés dans la  nouvelle gazinière.[3]  Pour Chavouot,  Maman confectionnait de délicieux clafoutis aux cerises-bigarreaux ou aux abricots, des flans pâtissiers mais nous savions apprécier également le couscous au beurre et aux fèves fraîches, des quiches ou des « manchons » au fromage et aux champignons.

Caroline Elisheva REBOUH   à suivre : Des vacances jouissives pour tous.  IIème partie

[1] Saadia Gaon ou Saadia ben Yossef AlFiyyumi 882 (Egypte à Fiyum) – 942 à Bagdad (Irak).

[2]  Israël était encore dans ses langes puisqu’en 1950 ou 51  Israël n’avait que deux à trois ans.

[3] Auparavant, nous avions une petite cuisine dont les murs étaient recouverts de carreaux de couleur brique avec une sorte de table en maçonnerie sur laquelle on avait un réchaud à gaz à deux feux qui servait pour la cuisine. Dans la cuisine il y avait aussi un garde-manger dont la face externe était équipée de persiennes  qui maintenaient de l’ombre fraîche pour certains aliments qu’on gardait un jour ou deux et puis on avait une glacière en bois équipée de quelques étagères et dans une sorte de coffre en zinc on y disposait des pains de glace qu’on achetait chez le marchand de glace.  Par la suite, en 1952, mon oncle qui habitait Paris nous avait proposé de nous faire avoir un réfrigérateur électrique et une gazinière avec four et une machine à laver !!!! Le summum du progrès à l’époque !!!

Notre cuisine subit donc des transformations cette table en maçonnerie fut détruite en partie pour laisser une place à la gazinière le reste servant de potager, la glacière fut cédée à quelqu’un, le  garde-manger disparut lui aussi permettant l’ouverture d’une porte fenêtre et tout cet  espace culinaire se trouva éclairé aussi par l’effet des faïences blanches. Lorsque les appareils d’électro-ménager nous parvinrent Maman fut au comble de la joie : ainsi elle pourrait cuisiner et pâtisser dès qu’elle le désirerait sans avoir à transporter des plaques chez le boulanger………….. L’opération hebdomadaire « lessive » se retrouverait singulièrement allégée également….

[4] Nous écrivions à la plume et à l’encre aussi, pour éviter de faire des tâches, nous étions toujours obligés d’avoir du papier buvard sur lesquels certains commerçants faisaient « de la réclame ».

[5] Salade cuite à base de tomates, poivrons et ail.

[6] Sorte de grosse brioche à l’huile saupoudrée de sucre sur le sommet.

[7]Gâteau sec en forme de  cercle.

[8] Grosoli était un glacier installé rue Lazerges à Bab El Oued et avait un kiosque sur une petite place juste avant l’entrée du Marché. Il avait deux spécialités : en hiver les beignets italiens et en été la glace sicilienne : sorte de bombe glacée au centre de laquelle se trouvait de la chantilly glacée mêlée de cubes de fruits confits, sur ce centre de chantilly glacée s’étalait une couche de glace à la fraise ; par-dessus celle –ci une couche de glace au chocolat et, la couche la plus épaisse était parfumée à la vanille véritable…….

[9] Ce café fut tragiquement célèbre lorsque les terroristes du FLN y jetèrent une bombe blessant  grièvement des familles entières venues se récréer à cette terrasse de café et  de très nombreuses victimes y perdirent la vie.

[10] Il s’agit de la période du 17 tamouz au 9 av où l’on perpétue le siège de Jérusalem et la destruction des deux temples de Jérusalem. Puis, pendant les neuf jours du 1er au 9 av on ne consomme pas de viande.

[11] Le Grand Rabbin Abraham Moshé Fingerhut fut nommé Grand Rabbin d’Alger en 1936. Lui succéda le Grand Rabbin Maurice Eisenbeth (1883  -1958) qui fut tout d’abord Rabbin à Constantine en 1928 jusqu’en 1932 semble-t-il puis Grand Rabbin d’Alger et d’Algérie tout entière.

[12]  Simon  Darmon était déjà Professeur d’Anglais et étudiant au séminaire rabbinique et un bénévole hors pair au Bné Akiva et Jacquot Grunewald de Strasbourg était Aumônier pendant son  service militaire ainsi qu’il a été dit supra.

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