Le grand écrivain israélien Amos Oz est mort le 28 décembre à 79 ans. Cofondateur du mouvement La Paix maintenant, il a été militant, dans son œuvre comme ses engagements d’une réconciliation entre les États hébreu et palestinien.

Son dernier livre, un recueil de réflexions non encore traduit en français, était sous-titré : « Six conversations sur l’écriture, l’amour, la culpabilité et autres plaisirs. » Quatre notions que l’écrivain Amos Oz n’aura cessé d’explorer dans une œuvre penchée sur les sentiments humains, intimes aussi bien que politiques.

Une œuvre guidée par le souci inlassable de se mettre à la place de l’autre, composée de littérature (romans, articles et essais), mais aussi d’un engagement militant pour la réconciliation entre Palestiniens et Israéliens, en partisan d’une paix durable et raisonnée au Moyen-Orient avec une solution à deux États.

Rien d’irénique pour autant dans la pensée de ce grand intellectuel, souvent mue par la colère, et par le souci dialectique de ne pas oublier le passé, de la grande comme de la petite histoire. « C’est une constante, dans ma réflexion, et dans mon œuvre, d’établir un parallèle entre les conflits personnels et les conflits politiques, même internationaux. La formule que j’ai forgée pour définir le conflit israélo-arabe, c’est de trouver un juste et équitable divorce entre les deux parties », confiait-il par exemple à La Croix en 1993.

Une exploration de l’identité israélienne

Né à Jérusalem en 1939 dans une famille d’immigrants d’Europe de l’Est ayant fui l’antisémitisme au début des années 1930, il porte le nom de son père, Klausner, qu’il change pour Oz (« force ») à l’adolescence, alors qu’il a rejoint le kibboutz de Houlda et commence à écrire. Appelé pour servir dans l’armée comme tous les Israéliens à 18 ans (il participera en 1967 à la guerre des Six jours et en 1973 à la guerre de Yom Kippour), il suit des études de philosophie et de littérature à Jérusalem, et fait paraître ses premiers textes.

Il a 26 ans quand sort son premier livre, un recueil de nouvelles, Les terres du chacal, en 1965. Son premier roman, Ailleurs peut-être, paraît l’année suivante. Il en publiera vingt, dont Une paix parfaite (1982), La Boîte noire (prix Femina étranger 1988), roman épistolaire entre un homme et une femme divorcés vivants dans deux pays, ou Judas, le dernier publié de son vivant, où il mettait en scène la figure subversive du traître pour interroger les fondements d’Israël. Il est aussi l’auteur de nombreux essais et nouvelles.

Son enfance a été marquée par le suicide de sa mère quand il avait douze ans, tragédie que l’écrivain évoquera dans le grand Une histoire d’amour et de ténèbres (2002), autobiographie déguisée en roman où se déploie une galerie de personnages, d’impressions, de lectures et d’atmosphères qui évoque la vie quotidienne modeste et foisonnante du quartier de Kerem-Avraham, à Jérusalem, avant la création d’Israël, mais aussi un passé familial enraciné en Lituanie et en Ukraine de la fin du XIXe, riche de plusieurs langues et plusieurs cultures, formant une exploration de l’identité israélienne.

« En tant qu’écrivain, j’ai une responsabilité importante vis-à-vis du langage. Mes essais politiques et mes articles, parfois virulents ou considérés comme provocateurs, répondent souvent à une tentative de déshumanisation du langage. Par exemple, quand j’entends les Israéliens parler de « libérer » des territoires, je prends la plume pour leur rétorquer que le mot « libération » ne s’applique qu’aux hommes, pas à la terre. Vis-à-vis d’une manipulation ou d’une déshumanisation du langage, je me sens un peu comme un détecteur de fumée : s’il y a une odeur suspecte, je dois crier », disait encore Amos Oz à La Croix en 2002, à l’occasion de la parution de son roman Seule la mer.

Un lecteur quotidien de la Bible

En 2014 était paru en français un essai coécrit avec sa fille Fania Oz-Salzberger, enseignante à l’université de Haifa, Juifs par les mots, où ils pesaient ensemble le pouvoir de la langue et de la littérature. Plaçant l’éducation et la filiation au cœur de leur démarche, ils invitaient à réfléchir à l’identité juive, exprimant la conviction d’une judéité fondée sur la culture et sa transmission, à la fois orale et écrite. « L’histoire juive et le peuple juif forment une continuité à nulle autre comparable, qui n’est ni ethnique ni politique (…) la généalogie nationale et culturelle des Juifs a de tout temps reposé sur la transmission intergénérationnelle d’un contenu verbal. (…) les enfants devaient hériter non seulement d’une croyance religieuse, d’un sort collectif, de la marque irréversible de la circoncision, mais aussi de l’empreinte formatrice d’une bibliothèque. »

Revendiqué laïc israélien, Amos Oz, qui vivait à Arad, dans le nord du désert du Néguev où il aimait marcher quotidiennement, était un lecteur journalier de la Bible, avant tout comme œuvre littéraire. Une lecture qu’il considérait cruciale pour « entendre le monde ».

Cofondateur du mouvement La Paix maintenant en 1978, mouvement opposé à la colonisation dans les Territoires palestiniens, il s’engage à partir de 2008 dans le parti de gauche sioniste la « Nouvelle gauche », favorable à un partage territorial d’Israël, il était un opposant aux positions nationalistes de Benyamin Netanyahou. En janvier 2018, il s’était par exemple adressé au premier ministre dans une lettre ouverte signée avec 34 autres personnalités et écrivains (dont David Grossman et Zeruya Shalev) pour exiger le non-renvoi des réfugiés originaires de l’Érythrée et du Soudan

« La haine aveugle gomme les différences entre les deux camps antagonistes », écrivait-il dans son dernier essai, Chers fanatiques (Gallimard, La Croix du 29 novembre), où il renvoyait dos à dos les extrémistes de tous bords en montrant les ressorts de l’intolérance.

Sabine Audrerie
La-croix.com

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