Le Centre Kantor pour l’étude du Judaïsme contemporain de l’Université de Tel-Aviv a rendu public ce 1er mai, comme chaque année à la veille de la journée israélienne de commémoration de l’Holocauste, son rapport sur l’antisémitisme dans le monde, en présence de sa directrice, le Prof. Dina Porat, et de Me Arié Zuckerman, Président du Comité exécutif du Congrès Juif Européen, ainsi que de nombreux représentants de la presse israélienne et internationale. Principales tendances : un sentiment grandissant d’insécurité chez les Juifs dans le monde, la normalisation du discours antisémite dans la vie quotidienne et une augmentation de 13% des cas de violence dans le monde et de 74% en France.

Selon le Prof. Dina Porat, la tendance la plus inquiétante qui a émergé en 2018 est le sentiment d’insécurité des Juifs dans le monde, et l’atteinte à leur perception d’appartenance à la société dans laquelle ils vivent. Les enquêtes réalisées au sein de la communauté mondiale[1] reflètent et corroborent ces sentiments, montrant la pénétration de l’antisémitisme sous toutes ses formes dans le discours dominant, sa normalisation, et son acceptation comme faisant partie de la réalité quotidienne : « Au cours de l’année 2018 et au début de 2019, on a pu noter une hausse du nombre des incidents antisémites en tous genres dans le monde, dans la sphère publique et, récemment, également dans la sphère privée. 13 Juifs ont été assassinés au cours de l’année. On peut dire qu’il existe un sentiment d’urgence croissant chez les Juifs concernant leur sécurité personnelle, et la question de leur place dans la société environnante et dans les partis qui leur servait de foyer politique. Les insultes, menaces, brimades et humiliations sur les réseaux sociaux créent une atmosphère qui explique ces sentiments et les cris comme « Les Juifs aux chambres à gaz » et « Mort aux sionistes » sont entendus ouvertement et en public».

« Reconsidérer le lien traditionnel entre les confrontations militaires au Moyen-Orient et la montée des incidents antisémites dans le monde »

Le nombre de cas de violence graves enregistrés dans le monde a augmenté de 13% en 2018, passant de 342 en 2017 à 387. Les pays présentant le plus grand nombre de cas sont les États-Unis (plus de 100), la Grande-Bretagne (68), la France et l’Allemagne (35 chacun), le Canada (20), la Belgique (19), les Pays-Bas (15) et l’Argentine (11).

Les types d’incidents les plus courants sont le vandalisme (216 cas, soit 56%), les menaces (89, soit 23%) et la violence sans utilisation d’armes (55, soit 14%). La plupart des attaques visent des personnes et leurs biens. En effet, au moins 138 personnes ont été attaquées (36% des cas) et des propriétés privées ont été endommagées (104 cas, soit 27%), ceci s’expliquant par le fait que les personnes privées sont moins protégées que les synagogues (47 cas, soit 12%) et les centres communautaires (22, 6%). Les cimetières et monuments sont toujours une cible traditionnelle des attaques (76 cas, soit 19%).

antis214La pénétration de l’antisémitisme dans les cercles politiques et sociaux dominants (‘mainstream’) a conduit à son acceptation comme une partie de la réalité quotidienne, comme s’il était devenu la norme. L’antisémitisme n’est plus seulement le fait d’un ‘triangle’ composé de l’extrême droite, de l’extrême gauche et de l’islam radical. Le discours antisioniste s’est également installé au centre du débat public, et se reflète par l’utilisation croissante de termes antisémites et une hostilité disproportionnée à l’égard de l’État d’Israël, à qui l’on attribue des caractéristiques juives classiques, et ce malgré l’absence d’affrontement militaire entre Israël et les Palestiniens depuis l’été 2014. C’est pourquoi le centre Kantor propose de reconsidérer le lien traditionnel entre les confrontations militaires au Moyen-Orient et la montée des incidents antisémites dans le monde.

Néanmoins, note le Prof. Porat, l’année 2018 a apporté également des réalisations encourageantes : « Le processus d’adoption d’une définition opératoire de l’antisémitisme se poursuit. Celle-ci est devenue un outil pratique pour la formation de la police et les audiences dans les tribunaux, et son acceptation est un critère de référence dans la lutte contre l’antisémitisme et l’antisionisme radical. L’Union européenne s’est engagée, dans une déclaration qui a été qualifiée d’historique, à développer des stratégies globales de lutte contre l’antisémitisme et à assurer la sécurité des communautés juives. Le problème de l’antisémitisme est à présent sur la table et au centre des préoccupations publiques ».

« 80% des cas ne sont pas rapportés »

« Il est important de noter que 80% des cas ne sont pas rapportés. Les personnes interrogées confient ne pas se rendre à la police dans la plupart des cas », relève Me Arie Zuckerman, qui ajoute « L’anti sémitisme est toujours avant-coureur du racisme sous toute ces formes. Il est important de souligner qu’il ne s’agit plus seulement d’un problème juif mais d’un problème mondial ».

Le Dr. Giovanni Quer insiste sur le phénomène du BDS, qui provoque la délégitimation et la démonisation d’Israël : « ses partisans se retranchent derrière des arguments ayant trait aux droits de l’homme, mais le BDS promeut des arguments antisémites, comparant Israël au nazisme, et la création de l’Etat hébreu à une entreprise raciste ». Il souligne un phénomène central dans les sociétés européennes actuelles : « les partisans du BDS attaquent directement les Juifs. Ceux-ci doivent se démarquer publiquement d’Israël pour être acceptés dans la société. Le BDS devient un phénomène culturel. Tout lien perçu avec l’Etat d’Israël devient suspect. De plus, ses partisans font montre d’activisme politique, poussant les institutions et les universités à boycotter Israël ».

Caricature NYTLe prof. Porat se penche ensuite sur les causes de cette intensification des phénomènes antisémites.

– L’éloignement grandissant de la Deuxième guerre mondiale. « Nous nous trouvons trois générations après la guerre. D’après les sondages seule 2% de la jeunesse s’y intéresse. L’antisémitisme est un phénomène dont elle ne se sent pas responsable. De plus, on note une ignorance croissante de la jeunesse par rapport à cette partie de l’histoire ».

– Renaissance de l’antisémitisme classique : l’antijudaïsme est profondément enraciné dans la culture chrétienne et se renforce en temps de crise. On voir ressortir les mêmes images du Juif cupide qui cherche à extorquer des fonds, étranger à double loyauté, qui soutient en fait un autre pays, égoïste et tribal, principalement soucieux de ses intérêts, contrôlant le pouvoir et l’argent, et fomentant des intrigues contre le monde non juif. « Il n’est pas étonnant que le terme « juif » soit redevenu ces dernières années péjoratif dans de nombreuses langues. Les Juifs sont perçus comme immunisés contre les crises économiques qui ne les affectent pas, capables de s’organiser et de tirer les ficelles politiques à leur avantage ».

Les « nouveaux Juifs »

– De plus, avec l’intensification du conflit au Moyen-Orient, le statut de martyr des Juifs, considérés comme les victimes ultimes pendant des décennies après l’Holocauste, a été transféré aux Palestiniens qui sont à présent vus comme les ‘nouveaux Juifs’, souffrant comme Jésus. Les Juifs redeviennent donc l’antéchrist. Les Israéliens sont assimilés au mal ultime de notre époque, aux nazis et, ces dernières années, même à l’Etat islamique, particulièrement dans les cercles de la gauche radicale et chez les islamistes radicaux.

– La crise des démocraties, qui étaient le bastion des droits des individus et des minorités, s’est renforcée en 2018 et au début de 2019, et les questions d’identité nationale se trouvent au centre de la scène publique. Les mouvements et les partis de droite ont renforcé leur pouvoir politique et obtenu le soutien des électeurs en raison de la crise de l’immigration en Europe et aux États-Unis, où l’activité des groupes qui réclament de la suprématie blanche s’est renforcée. Le Juif est alors considéré comme un agent cosmopolite étranger menaçant l’identité nationale locale, et un facteur promouvant l’arrivée des immigrants en Europe et en Amérique du Nord.

– Les gouvernements d’Europe centrale, tels que la Pologne, la Hongrie et la Lituanie, continuent d’affirmer avec fermeté un discours national selon lequel leur population n’aurait pas coopéré avec les Allemands pendant la guerre, mais a été la victime d’une occupation allemande cruelle et a tendu aux Juifs une main aidante. Ils accusent les communautés juives de présenter un récit historique faussé et de gonfler la responsabilité de leur compagnon de destin.

« L’antisémitisme se répand comme un poison »

C’est en France, qui abrite la plus grande population juive d’Europe, soit 453 000 personnes, que le sentiment de ‘rapprochement’ de l’antisémitisme de la sphère privée est le plus fort. Un rapport publié par le ministère français de l’Intérieur et le Service de protection de la communauté juive indique que : « l’antisémitisme en France en 2018 est un phénomène qui fait partie de la vie normale … il ne se passe pas une journée sans un acte antisémite ». Selon le rapport, 541 actes contre des Juifs ont été signalés en 2018, contre 311 en 2017, soit une augmentation de 74%. Les actes antisémites constituent la moitié des crimes de haine enregistrés en France. Parmi les 541 cas, 81 concernaient des violences physiques, notamment le meurtre de Mireille Knoll, survivante de l’Holocauste, dans sa propre maison. Le nombre de menaces a augmenté de 67%, passant de 214 en 2017 à 358. La crise sociale et économique a fait descendre dans les rues des dizaines de milliers de « gilets jaunes » permettant aux cercles antisémites et anarchistes de dicter la violence et de faire entendre des slogans contre les Juifs. En février 2019, à la suite d’une série d’incidents antisémites, le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner a déclaré : « l’antisémitisme se répand comme un poison, comme un venin, il pourrit les esprits, il tue ».

« Les groupes extrémistes incitent à la haine contre tous ceux qui ne leur ressemble pas », conclut le Prof. Dina Porat, qui rappelle que le nombre de crimes de haine contre les « ‘autres » est beaucoup plus élevé que ceux dirigés contre les Juifs : « de nombreux chrétiens ont été attaqués au Moyen-Orient au cours de l’année écoulée, des milliers de personnes ont été assassinées au Nigeria et des centaines d’églises ont été profanées en France. L’équipe du Centre Kantor propose de coopérer avec les autres groupes et minorités. Tendons la main à ceux qui sont dans le même cas que nous ».

Source : www.ami-universite-telaviv.com


[1] La FRA, Agence des droits fondamentaux de l’Union Européenne, a mené une enquête dans 12 pays et interrogé 16 500 Juifs. L’agence de presse CNN a réalisé 7 000 interviews. Une enquête intitulée Eurobaromètre a complété l’enquête de la FRA, présentant les données de 23 640 entretiens en face à face menés dans 28 pays de l’UE.

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