Généralement, le début d’un mariage est tout feu, tout flamme. À part ces cas tragiques où l’on se rend compte, parfois dès le lendemain de la ‘houpa, que l’aventure paraît d’emblée très mal engagée, que la pseudo-réalité précédemment « vendue » n’était qu’un masque, pour ne pas dire un leurre, pour empêcher une réalité tellement moins reluisante d’éclater[1] au grand jour.

Hormis ces cas donc, d’ailleurs moins exceptionnels qu’on ne le pense, les premiers temps d’un couple nouvellement formé s’apparente à un brasier ardent. Physiquement, intellectuellement, spirituellement, les découvertes et échanges continuels alimentent une énergie que l’on jurerait alors éternelle. Puis les années passent et font leur œuvre, diraient les poètes. Du feu et des flammes, il ne reste parfois plus rien, si ce n’est un triste amas de cendres. Déconcerté, le couple en vient à se demander si le crépitement joyeux des débuts avait vraiment fait vibrer les murs de sa maison, ou s’il n’était qu’un rêve heureux mais un rêve quand même.

Car les mouvements physique, intellectuel, spirituel se sont essoufflés, l’enthousiasme s’est tari, et peut-être l’espoir aussi. Certains liens se sont défaits, d’autres ont disparu. Le terrain commun qui, au départ, avait des allures d’infini, s’est considérablement rétréci, quand il existe encore. Les époux assistent, impuissants, à la lente désagrégation de leur merveilleux projet commun. Ils se croisent sans se voir et, quand ils se voient, ils ne se reconnaissent plus. Alors ils se demandent, eux-mêmes stupéfaits de la question qu’ils se posent : « Comment avons-nous pu devenir à ce point des étrangers, nous qui nous aimions tant ? ».

Il faut bien y répondre, à cette question. Il faut bien justifier cette réalité injustifiable, avant qu’elle n’écrase sous le poids des doutes et des regrets. Alors on se dira que c’est la faute de la vie, qu’il a bien fallu assumer les charges du foyer, travailler, éduquer les enfants, aller à droite, à gauche pour prendre à bras-le-corps les maintes obligations de la vie adulte, se réserver quelques moments d’évasion personnels aussi, car sans plaisir la vie est si fade. S’il en est ainsi, quand retrouver son époux ? Est-il même juste de se sentir coupable ? Eh bien non, il est plutôt juste de plaider non coupable, car tout bien considéré c’est la faute de la vie.

Devant ce fatalisme que nous exagérons il est vrai, un peu de recul est de mise. Pour poser les bases de notre réflexion, disons que l’homme peut décider de la vie qu’il souhaite avoir. Plus exactement, la vie ne saurait être assimilée à une vague meurtrière prête à engloutir l’homme à n’importe quel moment[2], mais elle n’est pas non plus un animal docile obéissant à la moindre sollicitation de son maître.

Nuançons encore davantage notre propos. Quand nous écrivons que l’homme a le contrôle de sa vie, nous ne signifions donc nullement qu’il est maître de tout. Ce serait l’erreur caricaturale de celui qui argue : « C’est ma force, c’est la puissance de ma main qui m’a valu cette victoire-là ! » (Devarim 8,17). En fait, l’homme ne décide évidemment pas ce qu’il adviendra finalement, et ce serait une folie que d’y croire, par contre il peut décider ce qu’il veut et ce qu’il ne veut pas dans la vie, dans sa vie. Pour le dire autrement, l’homme est maître et même responsable de la dimension a priori, sans pour autant contrôler la dimension a posteriori[3].

Ainsi, quand on a la vie devant soi, la vie de couple dans notre cas, il est nécessaire de se demander la façon dont on l’envisage, cette vie. La désire-t-on accaparée par les obligations extérieures ? Si c’est cela, alors le meilleur à en attendre sera de s’accomplir hors du couple et, s’il reste un peu de place mais au bout du compte il n’en restera plus, penser alors à son couple.

Toute la question est là, au fond. Quel est le pilier, quel est le repère, quel est le centre de gravité autour duquel va-t-on permettre à l’existence de s’organiser ? Décider a priori que le couple passera avant est à la portée de tous…

Malgré tout, la vie, la vie extérieure entendons, prend de la place. Surtout aujourd’hui où, il faut le souligner, elle est restée rude et agressive en dépit des grandes avancées sociales. L’homme travaille, souvent sa femme également[4] Ainsi, il n’est pas rare que la cellule du couple en subisse les conséquences, que les époux commencent à s’éloigner l’un de l’autre, imperceptiblement. En un mot, quel est le problème ? Le contact a été rompu, il s’agit donc de le renouer. Jusqu’à quel point ?

C’est ce sur quoi nous entamerons la prochaine partie de cet article.

Notes

[1]  Et avec quelle violence !

[2]  Ceci correspond précisément à une vision fataliste de la vie.

[3]  Ceci également demanderait à être nuancé, en développant les notions de prière, de mérite et d’interaction entre monde matériel et mondes de l’esprit notamment.

[4]  En plus de son premier travail, ô combien exigeant, de tenir un logis ! C’est dire le sacrifice auquel elle consent et il importe de le rappeler, à toutes fins utiles.


David Benkoël

Analyste, je partage mon intérêt pour la construction de soi. J’aide par ailleurs des personnes en souffrance à se reconstruire.
david@torahcoach.fr

ashdodcafe@gmail.com