cinquante idées recues sur la shoahL’Eglise protestante allemande, une volonté coupable d’oubli.  1945-1950

L’antisémitisme et l’anti judaïsme toujours présents  retardent toute repentance.

Dans les années qui ont suivi la guerre, les dirigeants de l’Eglise confessante de Martin Niemöller prennent la direction des Eglises évangéliques d’Allemagne (EKD).  On était en droit d’attendre que l’Eglise reconnaisse une part de culpabilité dans la catastrophe juive. Il n’en fut rien. Le « contexte » de l’époque ne s’y prêtait pas, a-t-on plaidé ! Une excuse inacceptable.

Quel qu’en soit le prix, sa propre réconciliation interne fut la priorité de l’Eglise. L’exemple de Siegfried Leffler est choquant. Il fut l’un des initiateurs du mouvement des « Chrétiens allemands ». Il proclamait que Hitler était un envoyé de Dieu sur terre.  A la défaite, il est emprisonné. Mais dès 1949, l’EKD le réadmet comme pasteur et lui confie, aussi stupéfiant que cela paraisse, le poste de porte-parole de l’Eglise de Bavière.

Que des pasteurs « dévoyés » ayant reconnu leurs erreurs soient de nouveau accueillis parmi les fidèles, rien de plus « chrétien ». Mais comment accepter que des pasteurs ayant milité pour un déviationnisme théologique insensé, des hérésies abominables, et un antisémitisme exacerbé puissent retrouver une chaire pour guider leurs paroissiens sur le «droit chemin ?»

Ces décisions inadmissibles sont en grande partie dues à un désir collectif d’oubli. Personne ne souhaite avoir à répondre à des questions embarrassantes concernant sa participation au parti nazi, à la sacralisation des drapeaux, à l’appel au civisme militant, à l’approbation des politiques du régime… Cette situation augure mal de la volonté  d’admettre la moindre responsabilité de la part d’une Eglise qui reste marquée par l’antisémitisme.

L’antijudaïsme continue à pervertir les plus hautes sphères de l’Eglise. Une déclaration d’avril 1948 du Conseil des frères (Reichsbruderrat), l’instance la plus élevée de l’EKD, est détestable et claire. Elle considère la Shoah comme l’expression de la colère de Dieu contre la désobéissance juive. « Israël n’est plus le peuple élu car il a crucifié le Christ (…) Par le Christ et depuis le Christ, le peuple élu n’est plus Israël, mais l’Eglise l’a remplacé ». Il n’y a de salut que dans la conversion au Christ.

Indépendamment de l’antijudaïsme, un antisémitisme à base de stéréotypes antijuifs primaires continue à sévir dans les rangs de l’Eglise. Le président de l’EKD lui-même, l’évêque Theophil Wurm en est infecté. Il écrit en janvier 1948 : « Peut-on publier une déclaration sur la Question juive en Allemagne sans mentionner comment la littérature juive (…) a péché contre le peuple allemand en se moquant de tout ce qui est sacré et combien dans de nombreuses régions les paysans ont souffert des profiteurs juifs. Si on veut s’élever contre l’extension de l’antisémitisme, peut-on rester silencieux sur la remise du pouvoir par les autorités d’occupation aux Juifs qui sont revenus afin de clamer leurs ressentiments amers bien que compréhensibles ». On est loin de tout désir de repentance.

Pourtant, quatre mois après avoir été libéré du camp de Dachau, Martin Niemöller bat sa coulpe lors de la première réunion des dirigeants protestants à Treysa en août 1945 : « Le principal blâme repose sur les épaules de l’Eglise car (…) elle  n’a dénoncé l’injustice qui prévalait que lorsqu’il fut trop tard. L’Eglise confessante (…) a clairement vu ce qui se tramait (…) mais elle eut plus peur des hommes que de Dieu (…) Par désobéissance, nous avons négligé fondamentalement la mission dont nous étions en charge. C’est pourquoi nous sommes coupables ».

Il fut bien seul. Ses commentaires ne sont pas appréciés. Les conclusions officielles de la conférence de Treysa sont éloquentes.  « L’Eglise a pris sérieusement ses responsabilités. Elle proclama les commandements de Dieu, appela par leurs noms les crimes (…) l’horreur des camps de concentration, le mauvais traitement et le meurtre des Juifs et des malades (…) Mais les chrétiens furent emprisonnés dans leurs paroisses. Notre peuple fut séparé de l’Eglise. Ses appels ne furent pas entendus du public ».  Nous savions, mais on nous a empêchés d’agir. Nous refusons tous les reproches.

Un pasteur souligne que de nombreux fidèles de l’Eglise confessante considèrent « qu’ils dirent et firent ce qui était possible dans un Etat totalitaire et n’avaient pas besoin de s’accuser eux-mêmes ». Dans le même sens, en novembre 1945, le clergé de Berlin Brandenburg  déclare « reconnaître que des actes inhumains ont été perpétrés contre les Juifs (…) mais que les hommes d’Eglise et leurs fidèles sont innocents ».

On comprend que dans un tel contexte le Conseil suprême de l’Eglise évangélique allemande, qui reçoit en octobre 1945 à Stuttgart des représentants étrangers du Conseil oecuménique mondial, se soit cantonné dans des généralités. « Pendant de longues années nous avons combattu au nom de Christ contre l’esprit qui trouva son expression la plus horrible dans la violence du régime national-socialiste. Nous nous accusons de ne pas avoir témoigné plus courageusement, prié plus fidèlement, cru plus joyeusement et aimé plus ardemment ». Pourtant, malgré sa prudence extrême, cette déclaration fut dénoncée par de nombreux protestants comme l’admission « d’une culpabilité dans la guerre » et même comme un « nouveau Versailles ».

Dans un compte-rendu de la réunion du Conseil des frères à Darmstadt en juillet 1947, on peut lire : « Quand Israël crucifia le Messie, il rejeta sa propre élection et son destin (…) Par le Christ et depuis le Christ, le peuple élu n’est plus Israël, mais l’Eglise ». Il y eut des discussions sur « la Question juive ». Mais il fut décidé de ne rien mentionner concernant le meurtre des Juifs dans la déclaration finale. Comment reconnaître la moindre culpabilité si le sujet de celle-ci n’est même pas évoqué ?

Il faut attendre cinq années après la fin de la guerre pour que l’EKD brise enfin le silence. Elle publie une déclaration en conclusion du Synode de Berlin Weissensee de 1950. Sur l’antijudaïsme, l’EKD déclare : « Nous croyons que la loyauté de Dieu envers son peuple élu demeure même après la crucifixion du Christ ». Sur la Question juive : « Nous reconnaissons que par omission ou silence nous sommes aussi coupables devant le Dieu de miséricorde des crimes commis contre les Juifs par des citoyens de notre pays (…) Nous demandons à tous les chrétiens d’abandonner toute forme d’antisémitisme et lorsqu’il renaît de lui résister vigoureusement et d’avoir une attitude fraternelle envers les Juifs ». L’EKD ne reconnaît qu’une culpabilité « passive », mais aucune complicité. Sa déclaration, pourtant très modérée, fera l’objet de nombreuses controverses.

Il faudra attendre les années 1960-70 pour que des théologiens révisent en profondeur l’attitude de l’Eglise envers le judaïsme. Otto von Harling Jr, le responsable de la « Question juive », explique cette  « frilosité » de l’Eglise. En 1947, il recommande au Conseil des Frères de ne pas se précipiter pour faire une déclaration sur la Question juive, car il n’est pas préparé et que l’Eglise pourrait le regretter plus tard.

Il faut avant tout rassembler toutes les bonnes volontés, sans s’attarder à déterminer, comme le dit un pasteur, « qui avait encore une base de croyance chrétienne parmi tous ceux qui voulaient revenir à l’Eglise ». L’antisémitisme toujours très vif parmi les fidèles, l’antijudaïsme dogmatique des théologiens ainsi que la volonté d’oublier un passé condamnable expliquent sans les excuser les « silences coupables » du protestantisme allemand après guerre.

André Charguéraud

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