Suivant l’adage anglais il est difficile de faire rentrer dans le tube de dentifrice la pâte qui en est sortie. Il n’en va pas autrement des bourdes d’idées et des abus de langage. Après avoir mis en garde l’Etat d’Israël contre la probabilité de se constituer bientôt en « Etat-Apartheid », John Kerry, l’actuel secrétaire d’Etat américain, aurait voulu trouver un trou de souris pour s’y cacher. Mais ce qui avait été dit l’avait été. La pâte ne voulait plus rentrer dans le tube. D’où excuses et contorsions. Alors il s’agit d’essayer de comprendre en quoi ces bévues « font symptôme », comme disent les psychanalystes.

Le régime politique et juridique qualifié expressément d’« Apartheid » a été instauré en Afrique du Sud par des populations blanches, d’origine européenne et de confession officiellement chrétienne. Il tendait à littéralement « mettre à part » ces populations, auto-proclamées d’essence supérieure, d’avec les indigènes, noirs ou métis, la discrimination opérant dans tous les lieux qualifiés de publics, y compris ceux où l’on se soulage de besoins pressants. La discrimination se prolongeait dans les autres domaines de l’existence, si le mot « existence » pouvait s’appliquer à cette façon d’être, jusqu’au début des années 90 lorsque sous l’inspiration de Nelson Mandela mais avec l’appui déterminants de nombreux sud-africains « blancs », y compris de nombreux Juifs, cette partie du monde bifurqua vers la démocratie et l’égalité en faisant le pari d’une difficile fraternité à construire. Entre-temps, et sous couvert du conflit israélo-palestinien, le mot « Apartheid » avait muté. De vocable juridique et politique, il devint stigmate idéologique et crachat moral susceptible de déclencher les foudres de la justice internationale. C’est de cette mutation insensée dont l’Etat d’Israël pâtit désormais, qu’il s’agisse de son état de droit interne, de la construction du mur de sécurité contre le terrorisme ou de ses structures sociales. Passe encore si l’injure n’était proférée que par ses fieffés ennemis dont on n’ignore plus dans quelle situation calamiteuse ils laissent les Etats dont ils ont cherché le bonheur! Mais John Kerry! Il faut bien s’interroger sur la lie de l’inconscient occidental dont Pascal Quignard, grand étymologiste devant l’Eternel, vient de rappeler que l’origine vient de « occidere » qui signifie faire passer de vie à trépas: plantes, animaux, êtres humains, idées et langages. Car par quelle falsification d’idées, par quel prurit verbal appliquer le mot « Apartheid » à l’Etat d’Israël alors que celui-ci compte, et non pas à ses marges, prés de deux millions de citoyens d’origine arabe, musulmane et chrétienne, prés du quart de sa population et dont les droits fondamentaux sont surveillés par les juges–cerbères de la Cour Suprême, y compris un juge d’origine arabe? Pourquoi ne se pressent-ils pas à l’aéroport Ben Gourion pour fuir cette géhenne? Dans ces conditions l’espace Schengen doit-il être considéré comme une terre d’« Apartheid « à l’européenne? Tant que nous y sommes: depuis quand les Etats-Unis dont les soldats se sont entretués avec une sauvagerie inouïe durant la Guerre de Sécession déclanchée en 1861 ont-ils entrepris de mettre un terme méthodique à la discrimination entre blancs, noirs et latinos au pays de Lincoln, sinon prés d’un siècle plus tard et sans être encore arrivés au bout du chemin?

Tous les Apartheids ne présentent pas qu’un seul visage, une seule couleur de peau, une seule religion. Pourquoi l’Autorité palestinienne, ou ce qui en tient lieu, s’acharne t-elle à rejeter l’idée de la moindre présence juive sur le territoire qui lui serait dévolu au terme des ces négociations dont John Kerry a fait une affaire personnelle au point d’y laisser parler son cœur? Phobie? Racisme invétéré alors que cette Autorité ne cesse de proclamer urbi et orbi le « droit au retour » des réfugiés palestiniens sur le territoire résiduel qui serait ensuite concédé à Israël et qui reconstituerait la souricière de 1948? Il faut se le tenir pour dit: John Kerry n’est pas membre du BDS, encore que la porosité mutuelle de ces grands esprits ne soit plus à démontrer. John Kerry se veut médiateur infatigable dans le conflit israélo–palestinien. Pourtant, lors de ses études supérieures, il semble n’avoir jamais rencontre l’enseignement du grand théoricien du droit que fut Alexandre Kojève pour qui un médiateur digne de ce nom devrait réunir trois qualités indissociables: être neutre, impartial et désintéressé. John Kerry, l’un des hommes les plus influents de l’Administration Obama, devrait étudier d’un peu plus prés ceux qui savent que les mots vénéneux font mal et balle.

Raphael Draï pour Actu J

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