Outil incontournable du politique médiocre de droite comme de gauche impuissant face à des problématiques où seul le courage pourrait faire front, le leurre est devenu un réflexe, un magnifique ou dérisoire paravent aux convulsions de plus en plus mal refoulées d’une société en pleine crise morale.

Le leurre permet d’exclure sans renoncer à une posture “bienveillante”. Instrument de déni et de déplacement, il aboutit invariablement à l’échec, à la division et à l’exclusion des minorités.

Le dernier leurre apparu sur la scène politique et médiatique serait presque comique si l’on pouvait faire abstraction des circonstances dramatiques qui l’on fait naître. Je veux parler de la soudaine fixation de l’attention nationale sur la Ligue de défense juive et sur l’urgence des mesures à prendre contre elle pour apaiser une France menacée par quelques dizaines de “jeunes Juifs excités”.

Et tous, médias, politiques et brillants analystes, de s’engouffrer dans cette brèche si déculpabilisante. Quel que soit le caractère limité des actions de la LDJ, là n’est pas le sujet ; cette focalisation a le mérite de ne pas désespérer le “9-3”, peut-être même d’éviter des émeutes ingérables et, cerise sur le gâteau, de rejeter sur les Juifs la grande faute de l’antisémitisme et de ses violences.

C’est un exemple parfait de la stratégie du leurre. Stratégie que l’on peut retrouver au fil des temps si l’on se penche un instant sur notre histoire récente.

Depuis plus de trente ans, ne nous rebat-on pas les oreilles avec ce besoin d’intégration si pressant et si généreux ? Chacun y va de son appel à l’intégration tandis qu’il pense, tout bas, assimilation. Mais voilà, l’assimilation a prouvé depuis les spasmes du XXème siècle l’étendue de ses défaillances et de ses outrances. L’acmé de ce leurre est l’inénarrable idée du CV anonyme, qui revient à tenter de rendre invisibles les futurs embauchés “à problème” plutôt que de lutter contre le racisme à l’embauche.

Et que dire de l’inépuisable lutte contre le communautarisme, tandis que partout en France, dans les institutions régionales, municipales et autres, les mêmes politiques pratiquent un clientélisme d’autant plus débridé qu’il est férocement nié ? Au nom de ce combat, on stigmatise les communautés en ciblant les plus retranchés de leurs membres, comme si une identité revendiquée ne pouvait avoir pour corollaire qu’une attitude extrémiste.

Tout cela nous conduit inexorablement à une des plus belles et grandes valeurs républicaines : la laïcité.

Ah ! cette chère laïcité, dressée sur ses ergots, revenue du fin fond de la IIIème République pour permettre l’expression d’un refoulé insistant et brûlant ! Contre-feu d’un Front national conquérant et assez avisé pour s’emparer sans coup férir de ce leurre si opportun, la laïcité ainsi pervertie produit des lois inapplicables et l’opportunité de rejeter l’autre sans autre forme de procès.

Le plus intéressant dans cette affaire de leurre est que toute la société s’en empare. Hors de question d’en laisser le plaisir aux seuls politiques : le leurre, c’est un art de vivre. Après avoir bien stigmatisé, quoi de plus réconfortant pour nos consciences qu’une belle et onctueuse couche de compassion, surtout si on lui adjoint une vertueuse pincée d’indignation ?

Elle est si forte, cette compassion, si virulente, cette indignation, qu’il ne sert à rien de lui opposer l’analyse, la géopolitique ou même la bonne vieille raison.

Si vous avez suivi, vous ne pouvez pas éviter le prochain leurre à notre disposition : le roi, le maître absolu des leurres — d’une efficacité redoutable, il est la synthèse impeccable de tous les autres. S’il ne devait y en avoir qu’un, ce serait à coup sûr celui-là : l’antisionisme.

Ennobli par la juste compassion, électrisé par une légitime indignation, ainsi dépouillé de la plus élémentaire lucidité, il réalise l’exploit imparable de justifier l’antisémitisme des uns tout en se substituant à celui des autres. Irréductible antisémitisme, qui n’a toujours pas rendu les armes à ce jour.

Soutenir le Hamas islamiste et terroriste au prétexte de Gaza, en oubliant que les premières victimes de cette organisation mortifère sont les populations palestiniennes, est déjà une extraordinaire bévue. Mais accepter de souffrir au cours de ces innombrables manifestations des slogans, des drapeaux et des signes qui n’exsudent qu’une haine recuite, voilà qui ne peut plus passer pour une simple inconscience.

Pendant que nous nous étourdissons dans un déni généralisé, les extrémistes et les fossoyeurs de nos libertés approuvent, et sauront parfaitement reconnaître le moment où notre société engourdie leur permettra de se dévoiler sans leurre ni faux semblant. Ces successions d’échappées belles, de distorsions du réel, de pansements sur une jambe de bois n’auront évidemment rien réglé mais tout poussé à son paroxysme. Un paroxysme qui réunira le moment venu tous les liquidateurs de cette République qui, plongée dans sa schizophrénie, prépare sa fin.

La République des leurres leur aura grand’ouvert la porte. Quand ils la franchiront, ce ne sera pas avec des armes imaginaires !

Tal Sfadj – Média+

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