Extrait de la pièce « Mikvé. Bain rituel », oeuvre de l'Anglo-Israélienne Hadar Galron (illustration). © CULTURA08 NOTIMEX/FOTO/COR/ACE
Par ELENA SERVETTAZ

Déborah, musulmane d’origine sénégalaise, s’est toujours sentie juive. Au terme de trois ans d’apprentissage, elle a achevé sa conversion. Témoignage.

Déborah*, 26 ans, d’origine sénégalaise, a mis un certain temps avant de prendre la décision de se convertir au judaïsme. À l’âge de 15 ans, elle savait déjà qu’elle voulait pratiquer la Torah plutôt que le Coran. Mais sa famille musulmane ne l’a pas soutenue. Et cela a considérablement retardé sa démarche. En France, sans accord des parents, le processus de conversion ne peut commencer qu’à la majorité légale, il lui a donc fallu attendre d’avoir 18 ans. « Un jour, je me suis rendue en Israël avec une amie, explique en riant Deborah, et ma mère pensait que je reviendrais convertie au bout de 10 jours. »

Mais il y a encore quelques années, se convertir prenait du temps, parfois dix ans. Et la conversion pour cause de mariage était souvent mal vue par les autorités religieuses. Aujourd’hui, cette procédure s’est assouplie. Il a fallu trois ans à Deborah pour atteindre son objectif, trois longues années d’études, d’assiduité à la synagogue, d’apprentissage de l’hébreu, des principales bénédictions, des règles du sabbat et de la cacherout (le code alimentaire, NDLR) pour y arriver.

« Ma famille ne m’a jamais soutenue dans ma démarche. Ma mère faisait comme si de rien n’était, comme les parents qui feignent d’ignorer l’homosexualité de leur enfant. C’était un sujet tabou pour elle. Mais moi, je me suis toujours sentie comme si j’étais née juive », confie Deborah.

« Ça n’est qu’après la tragédie de l’Hyper Cacher que ma soeur m’a pardonnée »

Dès ses 8 ans, lorsque sa mère l’a inscrite à des cours de religion musulmane et de langue arabe, Deborah avait déjà compris que cela ne l’intéressait pas. « Je le faisais pour faire plaisir à ma mère. » Quand sa famille a déménagé dans un autre quartier de la banlieue parisienne alors qu’elle avait 12 ans, Deborah s’est retrouvée voisine d’une famille de juifs religieux avec deux garçons du même âge. Celle-ci s’est lentement liée d’amitié avec les deux enfants pratiquants, qui ont apporté de nombreuses réponses à ses questions. Ensuite, sa curiosité l’a poussée à se documenter par elle-même.

Et à 22 ans, Deborah a déménagé dans son propre appartement pour finalement commencer sa démarche vers la conversion. « Quand on vit seul, il est plus facile de respecter les règles de la cacherout, notamment en organisant sa cuisine pour ne pas mélanger le lait et la viande, par exemple. Par ailleurs, j’ai pu recomposer ma garde-robe : j’ai banni le pantalon », explique Deborah, qui porte un chemisier blanc et une jupe au-dessus du genou.

Pour Deborah, qui recherche un emploi dans le secteur juridique, la conversion au judaïsme a impliqué de « nombreux changements dans la vie de tous les jours : je me suis arrêtée de travailler le samedi et les jours de fête, j’étudie la Torah, je me déplace à la synagogue à pied le jour de sabbat, et bien sûr, je ne mange que casher. » Mais c’est surtout dans ses relations interpersonnelles que sa conversion a eu les plus lourdes conséquences : « Certains amis musulmans se sont éloignés de moi, y compris ma soeur lorsqu’elle a compris le sérieux de mon intention. Ça n’est qu’après la tragédie de l’Hyper Cacher qu’elle m’a dit qu’elle me pardonnait. »

« Bien sûr, je voudrais partir en Israël »

Après de trois ans d’efforts, le processus de conversion au judaïsme de Deborah s’achève avec un examen écrit et oral, puis un bain rituel : le mikvé. Dans la synagogue séfarade située en banlieue parisienne, la jeune femme attend son tour avec une trentaine de personnes, pour la plupart des amies et des proches des nouvelles converties. Elle, sa famille ne l’a pas accompagnée, seule une amie, musulmane de confession, est là pour la soutenir, aussi inquiète que Deborah dans ce moment important. Dans la salle d’attente improvisée, les deux jeunes femmes noires attirent les regards et éveillent la curiosité.

Deborah semble gênée par le côté intrusif de certaines questions : « On m’a sans cesse demandé si j’avais un petit ami et si c’était cela ma motivation. Lors de mon apprentissage, on essayait aussi de vérifier si j’étais capable de suivre pendant la lecture de la Torah : elles ignoraient que je lisais mieux qu’elles. Heureusement, pour moi, seuls mon rabbin et mon professeur de religion comptent, car je sais que je n’ai rien à me reprocher. »

Après avoir fait deux bénédictions devant les trois rabbins, Deborah sort du bain rituel. Karima, son amie, l’interroge : « Mazel Tov, comment te sens-tu maintenant que tu as terminé ta conversion ? » « Comme d’habitude », répond Deborah en riant, « je me suis toujours sentie juive. » Et maintenant ? « Bien sûr, je voudrais partir en Israël, mais le changement me fait un peu peur. »

* Les prénoms ont été modifiés

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