Dans le cadre d’une étude innovante, une équipe multidisciplinaire dirigée par les Prof. Oded Rechavi de la Faculté des sciences de la vie de l’Université de Tel-Aviv et Noam Mizrahi du Département d’études bibliques, en collaboration avec Pnina Shor et Beatriz Riestra de l’Autorité des Antiquités d’Israël, a réussi à rassembler des fragments d’une partie des quelques 1000 manuscrits de la Mer Morte en séquençant l’ADN de la peau des animaux sur lesquels ils ont été écrits. La reconstitution des parchemins par l’analyse de l’ancien ADN apporte un nouvel éclairage sur le monde spirituel du judaïsme à la période du Second Temple.

Rechavi mizrahiL’étude, qui a duré 7 ans, et à laquelle ont participé les Prof. Mathias Jakobsson de l’Université d’Uppsala en Suède, Dorothee Huchon-Pupko de la Faculté des sciences de la vie de l’UTA et Chris Mason de l’Université Cornell aux États-Unis, a été publiée hier en couverture de la prestigieuse revue Cell.

Un puzzle de dizaines de milliers de pieces

« Il existe de nombreux fragments de ces rouleaux qu’on ne sait pas comment relier entre eux », explique le Prof. Rechavi. « Et si vous assemblez les mauvaises pièces, cela peut changer radicalement la signification de tout le parchemin. Si l’on part de l’hypothèse que tous les fragments fabriqués à partir de la peau du même mouton appartiennent au même parchemin, il ne reste plus qu’à rassembler les pièces comme dans un puzzle ».

JeremieLes Manuscrits de la Mer Morte sont le nom générique donné à environ 25 000 fragments de parchemins et de papyrus découverts depuis 1947, la plupart dans les grottes de Qumran, et certains sur d’autres sites du désert de Judée. Ils contiennent entre autres les plus anciennes copies des livres de la Bible. Aujourd’hui, les rouleaux sont conservés dans les laboratoires de l’Autorité des Antiquités d’Israël à Jérusalem, où ils sont supervisés par des méthodes scientifiques avancées et maintenus dans des conditions qui simulent celles dans lesquelles ils ont survécu dans les grottes pendant 2000 ans.

Depuis cette découverte historique, les chercheurs ont été confrontés à un énorme défi : trier et réassembler des fragments de près de 1000 rouleaux, dont la plupart ont été cachés dans les grottes de Qumran à la veille de la destruction du deuxième temple en 70 après JC. Une autre question clé est d’essayer d’évaluer à quel point la bibliothèque de la grotte de Qumran reflète l’ensemble du monde spirituel de la fin du Second Temple, ou s’il s’agit d’une collection non representative ayant appartenu à un groupe, membre d’une secte particulière (que la plupart des chercheurs identifient avec les Esséniens), qui est arrivée entre nos mains par hasard.

Résoudre des enigmes historiques par des méthodes du 21e siècle

« Imaginez qu’Israël soit complètement détruit, qu’il ne reste qu’une seule bibliothèque, et que ce soit justement celle d’une secte isolée et excentrique », explique le Prof. Rechavi. « Pourrait-on en déduire quelque chose sur l’ensemble du peuple d’Israël ? Pour pouvoir faire la distinction entre les parchemins de la secte et les autres, qui représentent donc probablement une population beaucoup plus large, nous avons séquencé l’ancien ADN des peaux d’animaux à partir desquelles ces parchemins ont été fabriqués. Le séquençage, le décodage et la comparaison de génomes vieux de 2 000 ans est un défi très compliqué en soi. De plus les fragments restants s’effritent et seules d’infimes quantités d’entre eux peuvent être utilisées comme échantillons ».

EchantillonsSelon Pnina Shor, fondatrice de l’Unité des Rouleaux du Désert de Judée de l’Autorité des Antiquités d’Israël: « Les possibilités inhérentes aux tests de l’ADN ancien de la peau des parchemins éveillent l’imagination. En tant qu’organe responsable des rouleaux de la Mer Morte, l’AAI s’efforce constamment d’initier des projets de collaboration innovants avec des partenaires du monde entier pour maximiser les connaissances sur cette découverte, qui reste la plus importante du 20e siècle. L’étude sur l’ADN des parchemins menée avec l’Université de Tel-Aviv rejoint la panoplie d’outils innovante que nous utilisons pour la recherche sur ces rouleaux. Les avancées scientifiques et technologiques permettent aujourd’hui de minimiser l’intervention physique sur les parchemins et, d’autre part, approfondissent nos capacités de recherche, et c’est exactement ce que nous souhaitons ».

Ouverture de la société juive aux différentes vers de la Bible

Compte tenu de la complexité du projet, les chercheurs ont développé des méthodes particulièrement sensibles pour générer suffisamment d’informations à partir de l’ADN ancien, par un dépistage rigoureux des infections possibles et la validation statistique des résultats. Grâce à ces méthodes, ils ont pu relever des défis pratiques, comme le fait que les animaux de la même espèce (deux moutons du même troupeau par exemple) sont presque identiques, et que même les génomes des différentes espèces (comme les moutons et les chèvres) sont très similaires.

Aux fins de l’étude, l’AAI a fourni des échantillons au Prof. Rechavi et à son équipe (les Dr. Sarit Anava et Hila Gingold et les doctorants Moran Neuhof et Or Sagy), parfois uniquement de la poussière soigneusement grattée au dos des parchemins.

ImagerieSelon le Prof. Rechavi, l’une des découvertes les plus importantes de cette étude est celle de deux parchemins écrits sur de la peau de vache. « Presque tous les parchemins que nous avons étudiés se sont avérés être faits en peau de mouton, et donc une grande partie de nos efforts ont été consacrés à la tâche très difficile d’essayer de rassembler des fragments fait de la peau d’un mouton spécifique et de les différencier sur le plan génétique de ceux écrits sur la peau d’autres moutons, avec un génome pratiquement identique », explique-t-il. « Les deux spécimens qui se sont avérés être en peau de vache appartiennent à deux sections du Livre de Jérémie. On pensait auparavant que l’un de ces fragments était censé appartenir à une autre partie du parchemin, mais nous avons avons découvert que celle-ci était faite en peau de mouton. La différencee entre la peau des animaux a réfuté cette possibilité. De plus, les vaches ont besoin de beaucoup d’herbe et d’eau, et donc il est probable que la peau de vache n’ai pas été fabriquée dans une région désertique, mais apportée dans les grottes de Qumran de l’extérieur. Cette découverte est d’une importance cruciale, car les fragments de peau de vache du livre de Jérémie qui ont été séparés appartiennent à des rouleaux qui reflètent différentes versions de ce livre, qui sont également différentes du texte biblique que nous connaissons ».

Par ailleurs, l’étude révèle que les parchemins écrits selon la méthode typique des textes de la secte des grottes de Qumran sont génétiquement liés entre eux, et différents d’autres sections écrites par d’autres méthodes trouvées dans les mêmes grottes. Les parchemins apportés de l’extérieur reflètent probablement l’ensemble de la culture du judaïsme de l’époque, et pas seulement le monde spirituel des membres de la secte dite de Qumran.

Ces résultats indiquent l’ouverture de la société juive de la période du Second Temple aux différentes versions des livres de la Bible, et renforcent l’idée selon laquelle pour les Juifs de l’époque, l’essentiel était l’interprétation du sens du texte, et non la formulation exacte ou l’orthographe de la Bible.

L’analyse des différentes lignées génétiques des animaux à partir desquels les rouleaux ont été fabriqués contribue à la compréhension de l’histoire de l’ancien mysticisme juif et de son influence.

Photos :
1. De droite à gauche : le Prof. Noam Mizrahi et le Prof. Oded Rechavi (Crédit : Université de Tel Aviv)
2. Parchemin du Livre de Jérémie. (Crédit : Halevi, AAI).
3. Prélèvement d’un échantillon d’ADN à partir d’un parchemin (Crédit : Shai Halevi, AAI).
4. Les parchemins sont photographiés à l’aide de méthodes avancées qui permettent de préserver leur état. (Crédit : Shai Halevi, AAI).

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