Certains parmi vous ont peut-être entendu parler de Rabbi Yaakov ben Acher, plus connu sous le nom de Ba’al Hatourim. Son commentaire sur la Torah offre des enseignements volontiers basés sur la valeur numérique des mots, ou sur l’observation des mots formés par les premières lettres d’une expression, ce que l’on appelle un acronyme en bon français, ou encore sur l’observation des mots formés par les dernières lettres d’une expression.

C’est justement à ce dernier type de procédé que le Ba’al Hatourim a recours pour délivrer une vérité puissante ayant trait aux relations humaines. Avraham, à une époque de sa vie où son nom était en fait Avram, décida de quitter son neveu Loth, après l’avoir arraché aux mains du roi Nimrod dont il était prisonnier. Pour décrire cette séparation définitive, ce qui constitue une expérience potentiellement perturbante voire traumatisante, la Torah emploie étonnamment une tournure très apaisée, presque heureuse. Ils se séparèrent, chaque homme de son frère[Berechith 13,11.]. En hébreu, cette tournure s’exprime au moyen de quatre mots, vayipardou ich me’al a’hiv. Laissons le premier mot de côté, si l’on peut dire, et ajoutons aux trois mots restants celui qui leur fait immédiatement suite dès le début du verset suivant, à savoir le nom « Avram ». La Torah écrit ainsi consécutivement les mots « ich » qui se termine par la lettre chin, « me’al » qui se termine par un lamed, « a’hiv » par un autre vav et Avram par un mem. Nous obtenons la suite de lettres : chin, lamed, vav, mem qui forme le mot chal.om, la paix.

Fort de cette observation donc, le Ba’al Hatourim commente : « C’est pour faire la paix qu’ils se sont séparés ».

La paix, ce n’est pas juste une sensation agréable. C’est une bénédiction. Non, en fait c’est la bénédiction par excellence, celle qui permet de profiter de toutes les autres. Prenons l’exemple de la bénédiction qui vient le plus souvent à l’esprit, surtout à notre époque : la subsistance. Eh bien, quel avantage y a-t-il à vivre dans l’opulence quand la paix fait défaut ? Quel plaisir reste-t-il alors que l’absence de sérénité trouble l’esprit et empêche l’individu de jouir de ce qu’il a, qu’il s’agisse d’argent, qu’il s’agisse d’autres biens, et jusqu’aux personnes dont il apprécierait la compagnie dans un autre contexte ? De façon générale, la paix s’en va et voici que la vie devient sombre et laide, y compris une vie de rêve, ou perçue comme telle de l’extérieur. Dans un foyer en particulier, la paix
s’en va et voici que, pour citer le Talmud, les ennemis de l’homme sont les (propres) gens de sa maison[Sota 49b, voir aussi Mikha 7,6.].

Et nous repensons à ces couples traversant une période de froid, comme cela arrive à tout couple normal, et que des personnes qui se disent ou se pensent bien intentionnées essayent de rabibocher à tout prix. Non que l’intention soit mauvaise, bien sûr.
Rapprocher les deux époux fâchés est particulièrement méritoire ! Mais comme toujours, l’outil doit être adapté au défi. Parfois, le seul outil efficace dans un contexte donné peut sembler paradoxal, et c’est précisément le cas ici. Ces situations de crise, pas toutes mais certains, où les tentatives mises en œuvre pour rapprocher le couple n’aboutissent qu’à aggraver la crise, à catalyser la désunion… malgré toutes les bonnes intentions.

C’est bien le point que nous souhaitons mettre en avant dans cet article. Quand la dispute a chassé la paix de la maison, et qu’il importe sans l’ombre d’un doute de l’y faire revenir, la méthode doit être choisie avec le plus grand discernement. Il peut arriver que l’heureux dénouement ne puisse survenir que par la séparation. En d’autres termes, qu’une séparation soit nécessaire afin que la place même apte à accueillir la paix puisse être réaménagée. Pour citer à nouveau le commentaire du Ba’al Hatourim, c’est pour faire la paix qu’ils se sont séparés. Que la séparation dure quelques minutes ou quelques jours, c’est au couple d’en décider avec intelligence, et ensemble autant que faire se peut. Car, il faut le rappeler, un couple même désuni doit rester un couple, au sens plein du
terme. Et tant que sa décision reste motivée par le retour à l’harmonie, peut importe au fond qu’elle apparaisse paradoxale aux autres, les proches y compris. Tant que le couple y reconnaît son propre salut, c’est là l’essentiel.

On l’aura compris, l’éloignement n’est pas la règle, et loin de nous l’idée d’affirmer qu’à la
première dispute il importe de couper les ponts. Nous disons plutôt que l’éloignement peut, dans certaines situations, s’avérer bénéfique. Il peut tout à fait être vu comme un outil à disposition pour construire le monde. Au fond, c’est aussi cela la vie : utiliser le bon outil au bon moment.

David Benkoël
Analyste, je partage mon intérêt pour la construction de soi. J’aide par ailleurs des personnes en souffrance à se reconstruire.
david@torahcoach.fr


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