Tolérer l’autre, c’est l’accepter, pour le meilleur et pour le pire, que l’on soit d’accord avec lui ou non. La tolérance est l’une des valeurs essentielles que nous devrions promouvoir davantage au même titre que le respect de la liberté des hommes. Autrui est l’autre puisqu’il est différent et qu’il est reconnu comme d’égale valeur en dignité morale que la mienne.

La tolérance est l’expression même du respect que l’on doit à la dignité d’autrui, du fait que chacun vaut autant que soi, par son droit de penser et d’exprimer ce qu’il veut ou désire, donc de s’affirmer dans sa différence que l’on soit d’accord ou non avec ses opinions. Elle suppose que la pensée est d’abord expression de soi et qu’elle relève de la liberté individuelle.

Dans l’une de ses lettres, le Rav Kook explique qu’il ne pouvait contraindre personne à accepter les règles de la Torah, non parce que forcer quelqu’un à changer de conduite n’était pas louable, mais tout simplement parce qu’il était pratiquement impossible de le faire. Ainsi, la Torah sait-elle très bien que l’être humain est assailli par des instincts et qu’il n’a pas toujours la force d’y résister. C’est pourquoi il est indispensable de le guider, de le conseiller, et surtout, de ne pas l’abandonner, lui et sa conscience, à l’anarchisme. Eduquer, c’est structurer une personnalité, c’est dresser des limites, savoir dire non. L’éducation c’est la parole tenue.
Cette relation éducative, est la relation à un sujet. Cela suppose, d’une part, que l’on reconnaisse le sujet comme tel et, d’autre part, qu’on lui reconnaisse une sphère d’initiative et de proposition. Cela suppose une relation de négociation et une relation partenariale. L’éducation doit savoir conjuguer les apprentissages nécessaires et le plaisir à les réaliser, à les réinvestir. Respecter quelqu’un, c’est être suffisamment à distance pour reconnaître sa sphère d’évolution propre. Ce n’est pas empiéter sur son imaginaire, sur son corps, sur sa façon de faire. C’est lui apporter sa part d’oxygène existentielle. Eduquer, c’est développer le lien humain. Ce qui est important, ce n’est pas le résultat, c’est le cheminement.

Pour les partisans de la tolérance pragmatique, peu importe où est la vérité et ce qu’est le bien dans son essence, l’essentiel est que les choses s’agencent de manière pratique, selon leur cours naturel et empirique. Si c’est l’intolérance, l’impuissance, la lâcheté ou l’indifférence qui fondent une attitude tolérante, il n’y a guère de sens à la célébrer. Si c’est la compréhension, le pardon, elle nous redevient sympathique mais où tracer la frontière la séparant de la complaisance voire de la complicité? Alors comment comprendre que la tolérance puisse jouir d’un tel prestige et revêtir le visage de la vertu ? Suffit-il de dire qu’elle permet aux hommes de vivre en paix ? Mais que vaut une paix si c’est la paix de la peur, de la lâcheté et de la démission spirituelle ? C’est ailleurs qu’il faut chercher et il semble bien que la tolérance se soit imposée comme une vertu parce qu’elle est le contraire de l’intolérance et là, pas d’ambiguïté possible, c’est bien le pire des vices.

La foi est absolue. Est-ce à dire que le Judaïsme est synonyme de fanatisme? Est-ce à dire qu’il faut partir en guerre sainte contre toute opinion contraire? Assurément non ! Cette absolue certitude et ce zèle dans notre confiance en Dieu sont contrebalancés par une autre valeur essentielle : l’amour d’Israël, de l’ensemble du peuple juif, y compris ceux qui se trouvent plongés dans les plus graves des erreurs et dans les fautes les plus profondes.

Devant les faits humains, il est plus équitable de s’en tenir à une audition bien instruite, que de se cantonner de manière outrée, dans la pose de l’imprécation menaçante, ou celle de la condamnation confuse et abusivement moralisante. Ce qui, encore une fois, ne sert à rien. Le propos du prêchi-prêcha et les incantations des donneurs de leçons ne sont pas efficaces. La culpabilité n’a jamais été une bonne inspiratrice. Ce dont nous avons besoin, c’est de déchiffrer où sont nos erreurs, d’appréhender là où nous avons fait fausse route, pour décider rapidement, pour changer notre point de vue. Ne pas juger donc, mais aider à comprendre. Ce sont nos croyances qui sont les causes de nos comportements, si nous voulons changer nos comportements, il faut changer nos croyances et celles-ci dépendent étroitement de notre connaissance.

La connaissance est à la base de la démarche, alors autant agir à partir d’une connaissance juste, plutôt que sur la base d’appréciations erronées ou d’un savoir fragmentaire. Surtout, il faudrait cesser de perpétuellement poser des jugements de valeurs. L’authenticité seule peut redresser l’erreur. Il est nécessaire que nous examinions de près notre manière d’agir et que nous puissions voir en quoi elle contredit le plus souvent nos souhaits les plus élevées. Depuis l’aube des temps, nous n’avons jamais manqué d’aspirations, mais nous sommes très inconséquents. L’humanité s’est donné le rêve des plus grandes utopies. Elle en a parfois goûté les promesses, mais sans convenablement faire coïncider à ses choix les plus élevés, les décisions les plus justes. S’il fallait expliquer cela de manière moralisante, on devrait dire ici : nous avons aussi souvent été sinueux, vains, hypocrites, et menteur mais à quoi aiderait pareil jugement moral ? A saper toute croyance, à briser tout élan.
Laissons donc les procès d’intention et mettons l’accent sur l’observation de ce qui est. C’est la compréhension qui importe par-dessus tout. Le discernement de la vraie nature de la vie, l’entendement des hommes tels qu’ils sont et non tels que nous voudrions qu’ils soient. L’homme idéal, cela n’existe pas. C’est peut être même une contradiction interne. Il y a les hommes patents, avec leurs ambiguïtés, leurs limites, leurs déficiences, leurs méprises, leurs insuffisances et cette flamme intérieure qui les pousse à octroyer le meilleur d’eux-mêmes, mais aussi leurs troubles et leurs sursauts, leurs opacités et leur éclat. Cette simplicité qui rend l’être humain au fond si attendrissant. Exiger, à coup de jugements moraux, de l’homme réel qu’il soit idéal est au fond très cruel. Il est ce qu’il est, ni bon, ni mauvais.

Dans le monde relatif, rien n’est absolu. Les hommes sont ce qu’ils sont, ils sont édifiants dans leur imperfection même, ils sont édifiants dans leur simple et originale singularité, incomparables. Celui qui proscrit sans cesse les hommes au nom de l’homme rêvé et se répand en jugements moraux, n’aime pas les être humains tels qu’ils sont, parce qu’il ne les comprend pas. Il a mis le devoir-être à la place de l’être. Il sollicite beaucoup, et c’est son amertume qui lui dit que les hommes ne seront jamais à la hauteur, c’est de là qu’il tire son inhumanité critique.

Cette nécessité d’absolu repose sur une méprise, l’erreur de mesurer l’être à l’aune du devoir-être. Mieux on appréhende une personne et moins on n’accepte de la juger. Une mère qui aime son enfant ne le juge pas. Elle l’accueille pour lui donner un nouvel élan et l’élan de l’amour fait d’avantage pour réparer et construire que les critiques acerbes. L’amour ne prononce pas de jugement et ne montre pas du doigt une faute….

Rony Akrich pour Ashdodcafe.com