Permettez-moi de vous entretenir d’un sujet qui me turlupine plus que de nature et qui, lentement mais surement, phagocyte notre société judéo-chrétienne souffrante sans oublier notre cher Etat d’Israël, très fatigué.

Voici à quoi nous avons affaire :
Un enseignant de l’Oregon retire le drapeau américain de la salle de classe en partant du principe qu’il représente la menace, la violence et l’intolérance.
Des statues et des monuments sont démolis dans de nombreuses villes du monde.
Des textes canoniques supprimés des programmes universitaires dans le cadre du nouveau mouvement de «décolonisation».
Des personnes perdent leur emploi à cause d’une transgression qu’elles auraient pu commettre il y a des décennies.

Il existe des caractéristiques fondamentales partagées par toutes les itérations de la « cancel culture », un dénominateur commun conceptuel qui unit toutes ces manifestations dans leurs différentes expressions.

La « Cancel culture » s’affirme comme une forme de puritanisme.
Elle tente d’établir une homogénéité des codes sociaux, des attitudes morales et du cadrage des récits autour des questions de sexe, de politique, d’économie, de propriété culturelle et de politique de l’identité.

Le concept de « Cancel Culture » peut être défini au sens large comme une tentative d’ostraciser l’individu pour avoir violé les normes sociales.
La notion a également été comprise plus étroitement comme une pratique consistant à retirer son soutien (ou à censurer) des personnalités publiques et des entreprises après un fait, ou un dire considéré comme répréhensible ou offensant le « politiquement correct ».
Cette pratique est analogue à la tactique des boycotts des consommateurs… une forme courante d’activisme politique. Les formes d’identité et d’expression de soi sont punies par une série de pratiques haineuses et déshumanisantes en ligne et hors ligne.

Il faut également analyser les liens entre les histoires de violence discriminatoire et le ‘trolling’(1) au vitriol des militants politiques, des universitaires et des utilisateurs ordinaires des médias sociaux qui parlent ouvertement de l’égalité et de la justice. Cependant, les normes sociales sont loin d’être figées et incluent, souvent, les comportements les plus inhumains et les plus vicieux.
Pour mieux comprendre la politique d’une soi-disant « cancel culture », il est essentiel de relier la nouvelle vague de débats, autour de cette dernière, aux histoires de répression, y compris les tentatives d’interdire les grèves, de tabasser ou de licencier les travailleurs syndiqués. La relier aussi à l’utilisation de balles en caoutchouc, les canons à eau et les gaz lacrymogènes contre les manifestants, l’incarcération de militants et de lanceurs d’alerte, etc. La puissance de l’État, comprenant les médias, les appareils juridiques et les groupes d’autodéfense, est souvent déployée pour réprimer les militants des droits des communautés marginalisées, sans tomber sous les connotations péjoratives de « cancel culture », mais bien lever l’étendard de la « Woke Culture » (mon précèdent texte à ce sujet).

En s’inspirant de l’érudition sur les histoires de répression et de dissidence – des castes, de la colonisation et de l’esclavage, aux luttes anticoloniales, au mouvement des droits civiques et à la politique anti-carcérale – il est important de souligner les utilisations et la direction du pouvoir, politique et économique, réelle dans ces débats. De nombreuses personnes accusées d’intimidation et de «cancel» d’autrui sont issues de groupes historiquement marginalisés, opprimés et souvent d’une intersection de ces groupes. Cela ne les rend pas infaillibles, mais cela suggère une relative légitimité des griefs sous-jacents.

En 2020, les manifestations de Black Lives Matter(2) auraient dû appeler à une autoréflexion collective de la part des personnes au pouvoir. Etonnamment, le magazine Harper publiait une lettre ouverte déplorant les dangers de la soi-disant « cancel culture ». On constate que certains des signataires avaient déjà défendu des causes de justice sociale, ce qui donnait à ce document une légitimité superficielle. La lettre était pleine d’affirmations catastrophiques au sujet d’accusations de « châtiments disproportionnés » et de « restriction du débat ». Elle alimentait un « trope »(3) de base fallacieux tiré du discours de droite: l’idée d’une bande de gauchistes éveillés (parfois collectivement appelés Social Justice Warriors ou SJW) interférant avec les droits des vrais patriotes.

Soyons clairs, la culture d’interdiction du travail aux personnes pour leurs opinions, leurs choix et/ou leur tenue vestimentaire, est extrêmement courante:
Celles, qui portent le voile au travail, se retrouvent sans emploi ou au centre de polémiques en France.
Ceux, qui tentent d’obtenir justice pour les minorités, se retrouvent impitoyablement humiliés par les opposants politiques dans les médias et même signalés à la police, par le biais du mouvement « Prevent », au Royaume-Uni par exemple.
Néanmoins, c’est généralement lorsque les appels à l’interdiction sont associés aux droits civiques, et au politiquement correct, que des expressions hyperboliques telles: « mentalité de foule », « lynchage en ligne » et « mort sociale » mettent à jour le sort des célébrités, ou des politiciens. On leur demande de rendre des comptes pour des propos et des actions préjudiciables à l’égard des communautés historiquement opprimées et marginalisées. La lettre de Harper a également suscité des critiques, notamment de la part d’universitaires et de commentateurs possédant une compréhension beaucoup plus approfondie des structures de pouvoir et un sens plus aigu des histoires de censure, de discrimination et de haine.

Cette même année, l’article d’Aja Romano (4), sera l’un des plus concis et des plus accessibles sur la généalogie conflictuelle de la «cancel culture».
La deuxième vague, ou comment le concept a évolué pour signifier différentes choses pour différentes personnes. Romano note: bien que les limites du discours public et privé aient toujours été contestées, récemment, beaucoup d’autres personnes traditionnellement exclues du discours et du débat publics ont commencé à exprimer leurs préoccupations et à revendiquer des droits auprès de ceux qui jouissaient de siècles de privilèges.

Si nous appartenons à un groupe historiquement marginalisé et opprimé,
Si nous sommes Noirs, ou d’une autre communauté de couleur, dans une nation principalement dirigée par des Blancs et/ou d’une caste, d’un milieu religieux ou de classe défavorisée.
Si nous sommes une femme dans un milieu dominé par les hommes, et la « neurodiversite »(5) essayant de trouver des emplois traditionnellement organisés pour des personnes issues de milieux riches, ‘neurotypiques’ ethniques ou religieux majoritaires, il est probable, que pour réussir, nous devions nous taire….ou nous contraindre.
Cela pourrait être en essayant de modifier, ou de supprimer, certaines de nos passions et de nos désirs, d’ignorer l’épuisement et le traumatisme, d’être soumis à la discrimination, ou même en essayant de déguiser notre apparence et notre comportement en parlant et en nous habillant davantage comme un groupe puissant établi.

Si nous sommes des adolescents ‘queer’(6), ou de jeunes adultes, remettant en question notre genre, ou notre sexualité, dans des communautés pour la plupart conservatrices, nous sommes très susceptibles de nous contrôler, de nous censurer ou d’être contraints à des formes particulières de présentation de soi.
Cela peut se produire dans les espaces familiaux ou communautaires les plus intimes. Ne pas faire ces choses, être « sans s’excuser soi-même », peut conduire à l’absence d’offres d’emploi, à l’itinérance ou à une violence physique et émotionnelle extrême, à la dépression et à l’anxiété.

S’il était simpliste d’insister sur le fait qu’aucune personne ordinaire, ou bien intentionnée, ne se laisse entraîner par les « broyeurs » des médias sociaux, qu’il n’y a rien que nous puissions faire pour rendre le discours en ligne et grand public moins vicieux, il est tout aussi trompeur de penser que les cultures silencieuses, devenues la « cancel culture », soient une prérogative du gauchisme exacerbé ou du libéralisme despote en ligne.

Le ‘troll’, le ‘flambage’(7), le ‘doxing’(8) et l’incitation à la violence ne sont qu’une partie des formes de haine sur les réseaux sociaux positionnant et poussant, hors de la sphère publique, de nombreuses femmes et minorités ethniques ou religieuses silencieuses.
Je ne pense pas qu’il y ait de réponses faciles.

Il faudra toujours lutter pour une liberté d’expression mesurée aux côtés d’autres libertés telles le droit à la vie. Cependant, beaucoup d’entre nous ne comprennent pas les privilèges dont nous jouissons (dans les domaines de la communication et autres) à travers certains aspects de notre identité, tout en étant généralement très attentifs à la manière dont nous avons été ou sommes réprimés par les autres.
Découvrir que nous avons fait du mal à quelqu’un pour un préjugé de groupe non justifié, ou une tendance à parler pour les autres au lieu d’écouter, peut être profondément déconcertant.

Être interpelé à ce sujet publiquement – en personne ou via le réseau rapide et omniprésent des médias sociaux – peut être humiliant et provoquer de l’anxiété…tout en perdant un emploi, ou un contrat…cela peut s’avérer une expérience traumatisante.
Mais ces épreuves de honte et de déconvenue, de trahison et de ressentiment, ne peuvent tout simplement pas équivaloir à être les destinataires de préjugés structurels et personnels, constamment légitimés, de discrimination et d’oppression.
Elles ne peuvent pas non plus être une raison pour permettre aux personnes en position de pouvoir – et à leurs partisans – qui dégradent explicitement les autres, approuvent de tels préjugés et/ou alimentent la violence, d’échapper à la responsabilité et aux conséquences.

Comme les gens au pouvoir, beaucoup d’entre nous peuvent apprendre à faire mieux s’il s’agit de nous tenir responsables de l’injustice et de travailler à un changement libérateur collectif. Sans dire aux autres comment ils doivent et ne doivent pas parler, nous pouvons prêter plus d’attention à la façon dont nous parlons et aux mots exprimés (à la fois en ligne et hors ligne).
Cela affecte la santé mentale des autres.
C’est ou ce n’est pas efficace.
Les polémiques politiques nuisaient à la solidarité bien avant Internet.

Nous avons besoin de temps et d’espace pour apprendre, organiser et évaluer la relative destructivité de quelqu’un qui utilise une insulte sans réfléchir, délibérément. S’il agit d’une manière qui déshumanise ou harcèle et viole, constamment, les membres d’un autre groupe social.
Des salles de classe compatissantes, aimantes et critiques – lorsqu’elles existent – peuvent être des espaces importants pour des entreprises aussi inconfortables, tout comme les articles savants, la fiction imaginative et les mouvements sociaux. J’ai énormément appris de mes élèves, de la lecture, des personnes avec qui j’ai travaillé au cours des quatre dernières décennies.

L’impulsion à tenir les individus, et les États responsables par le biais de boycotts culturels et politiques, découle de ragots subjectifs, de silence raciste, de propos impérialistes, misogynes, classistes (9) et homophobes. Un examen soutenu et véritablement réflexif des dangers posés par la soi-disant «cancel culture» (culture de l’invalidation) pour les individus, et pour la démocratie dans son ensemble, ne peut que conclure aux méfaits et aux dangers, délibérément exagérés.
Ces histoires et ces expériences se sont laissé abuser par un tas de préjugés fourvoyés, de discrimination, de déshumanisation et de violence.

L’obscurantisme de la culture d’effacement sera le titre de notre 3ème partie


1-Le troll sur Internet est une référence à la créature issue de la mythologie scandinave, c’est un individu bête et méchant, qui aime générer des polémiques quel que soit le sujet de discussion. Il peut surgir à n’importe quel instant dans une conversation en ligne publique.

2-« les vies noires comptent » ou « la vie des Noirs compte » — est un mouvement politique né en 2013 aux États-Unis dans la communauté afro-américaine militant contre ce qu’ils nomment le racisme systémique envers les Noirs. Ses membres se mobilisent contre les atteintes mortelles de personnes noires par des policiers blancs. Ils dénoncent en priorité le profilage racial, la violence policière ainsi que l’inégalité raciale dans le système de justice criminelle des États-Unis.

3-figure rhétorique destinée à embellir un texte ou le rendre plus vivant.

4-https://www.vox.com/culture/2019/12/30/20879720/what-is-cancel-culture-explained-history-debate

5- la neurodiversité rassemble les êtres humains. De par sa définition, ce concept est inclusif. L’humanité est neurodiverse. Chaque être humain est entier et complexe. Chaque humain possède une énergie et un esprit unique qui évolue à chaque instant. Tel un écosystème, l’équilibre psychologique d’un être humain peut être perturbé pour plusieurs raisons. La neurodiversité favorise donc l’épanouissement de chaque être humain, dans le respect de sa singularité, en lui apportant l’aide et le soutien nécessaire, dans une approche bienveillante, selon ses besoins qui lui sont propres.

6-Personne dont l’orientation ou l’identité sexuelle ne correspond pas aux modèles dominants.

7-acte de publier des insultes, comprenant souvent des injures ou d’autres propos injurieux, sur Internet.

8-révéler, diffuser ou transmettre, par quelque moyen que ce soit, des informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle d’une personne permettant de l’identifier ou de la localiser aux fins de l’exposer ou d’exposer les membres de sa famille à un risque direct.

9-discrimination fondée sur l’appartenance ou la non-appartenance à une classe sociale, et spécialement pour des raisons économiques.

Rony Akrich pour ashdodcafe.com