La célébration de «Tou Bishvat», le Nouvel an des Arbres, nous engage au souvenir d’un célèbre Midrash: Rabbi Yohanan Ben Zakaï dit: «Si quelqu’un était entrain de mettre en terre un plant et qu’on vienne soudain lui annoncer l’arrivée du Messie, il ne faut pas hésiter et lui dire: plante d’abord ce plant et seulement ensuite va et accueille le Messie» (Avot de Rabbi Nathan, version b, alinéa 31).

Voici un propos bien étonnant, s’il est toutefois évident que la fertilisation de la Terre d’Israël relève d’une priorité essentielle, comment peut-on la présenter comme favorite face à la venue d’un Messie tant attendu depuis des siècles?
Ces deux conduites ne sont guère opposées, vouloir féconder la Terre d’Israël lorsque l’on s’apprête à recevoir le Messie n’a rien de banal, au contraire, être témoin de la renaissance d’une terre désolée depuis si longtemps, la voir refleurir, augure l’époque messianique, l’ère de la délivrance.

Cette proclamation relative au temps du dénouement de l’exil est extraite du chapitre 36 du Livre d’Ezéchiel. Les propos du Prophète annoncent de manière claire et limpide les vastes tableaux de l’Histoire pré-messianique, nous remarquons immédiatement que ce chapitre n’interpelle point les humains mais plutôt les harmonies parfaites de la Création: «Et toi, homme, prophétise sur les montagnes d’Israël, et dis leur: Montagnes d’Israël, écoutez la voix de D.ieu».

Dans cette même section, le texte, par la suite, nous apprend que l’un des signes significatifs de la dispersion du peuple juif n’est autre que la ruine de notre sol national, de ses cités, de ses sommets et de ses plaines dévastées.
Alors que nous atteignons, au travers du récit, le verset capital de ce formidable chapitre: «Et vous, montagnes d’Israël, donnez vos branches, et portez vos fruits à mon peuple d’Israël, car Il revient», le célèbre commentateur biblique, Rachi, affirme que si la Terre d’Israël venait à octroyer ses fruits avec profusion, il n’y aurait pas d’indices plus révélateurs et plus éclatants du dénouement de l’exil, et nous sommes dans l’attente que la fin du verset se réalise tout autant, à savoir: «Car ils sont proches de venir».

Pourtant, s’il est de bon ton d’éviter tout spéculation eschatologique à propos de la date de la venue du Messie, chaque décision dispose bien sûr d’une dérogation à elle même. Ainsi, Rabbi Aba (Traité talmudique Sanhédrin, p. 98a), discerne-t-il indubitablement nombres de messages incontestables et annonciateurs de la fin des temps.
La conclusion s’impose de manière probante, nos décisionnaires ne refusaient que la prospection de manifestations ténébreuses et illuminées dont l’herméneutique, le sens des signes et des symboles, est spécialement complexe, mais non point les appels indiscutables des prémices de cette fin d’Histoire.

Ces signes, disent nos Sages (Traité talmudique Méguila 17b), sont tellement justes, que la notoire prière des dix-huit bénédictions psalmodiée debout, trois fois par jour, fut échafaudée selon la nature de ces signes.
Ceux-ci ont été parfaitement classés selon le déroulement logique de l’événement humain dans la rédemption du peuple juif. La bénédiction correspondant à la réussite agricole anticipe celle se rattachant à la sonnerie du Grand Shofar prélude à la délivrance reconquise par notre peuple et suivi du Rassemblement de ses exilés.
Le Prophète Ezéchiel nous convie donc à appréhender l’essence des événements, ne pas envisager le renouveau du peuple juif sur sa Terre comme un déménagement primaire d’individus ni à voir dans l’épanouissement du terroir une manifestation agricole lapidaire, mais à y déceler la promesse divine de mettre un terme à l’exil, d’entrainer la renaissance du peuple Hébreu au lieu dit.

Mais voilà qu’avec notre retour, il y a plus d’une centaine d’années, nous recommençons à trouver grâce aux yeux de notre Terre et celle ci nous accorde à nouveau son crédit: le sauvage se refleurit et l’aride s’irrigue.

Nonobstant les entraves de tout ordre auxquelles nous sommes confrontés dans notre patrie, dans son ensemble celui ci propose de toutes parts une existence juive ranimée et ravivée au gout de l’Hébreu. D’où une absolue sérénité nous permettant à nouveau de retrouver nos énergies et de poursuivre avec opiniâtreté et assiduité notre contribution à cette formidable renaissance. Intimement convaincus que ces préliminaires de la fin, qui se sont révélés par le réveil des implantations agricoles en Eretz Israël et que nous célébrons à Tou Bishvat, ne sont en vérité que les commencements modestes de ce qui sans nul doute progressera et s’accroitra jusqu’à la rédemption finale.

Le Hafetz Haïm, grand décisionnaire du monde ashkénaze au siècle dernier, répondit par ces mots lorsqu’on lui raconta que de nouvelles implantations agricoles avaient été créées en terre d’Israël, notamment à Petah Tikva et à Rishon-Ie-Tsion: «Cela commence», en clair: si la terre refleurit et que les exilés entreprennent de se rassembler, nous voilà face aux signes précurseurs du début de la délivrance!
C’est alors que la Terre autorisera les semences et que ses cités seront bâties tout autour de la résurrection agraire.

Durant deux mille ans de drames et de tragédies, ce pays fut délaissé et livré aux nations indignes de par l’opprobre d’Israël, D.ieu était affligé.
Cependant, voici qu’après ces longues années d’exil, la reforestation et la fructification de la Terre d’Israël nous faisaient savoir que la communication était rétablie et ainsi la conciliation entre l’Eternel et Israël carillonnait à nos portes.

Tou Bishvat est l’occasion d’activités en pleine nature puisque c’est par excellence une fête écologique. Les jeunes enfants sont sensibilisés à la beauté de la nature par des promenades dans des sites naturels.
Ce n’est cependant pas la seule occasion symbolique de planter des arbres.
En effet les Juifs ont coutume de planter un cèdre à la naissance d’un garçon et un cyprès à la naissance d’une fille.

D’ailleurs l’arbre est dans la religion juive la métaphore de l’être humain, ce qui explique qu’il ne doit pas être utilisé en période de guerre pour fabriquer des armes.
L’Arbre ne déroge pas aux normes de la sagesse et de la raison car il recèle à lui seul des sujets métaphoriques parmi les plus abondants et les plus usuels. Il existe particulièrement chez lui diverses explications allégoriques qui tournent à peu près toutes autour de la notion d’un univers vivant et d’une terre se réformant en continue.
En conséquence, sa nature périodique fait de lui un véritable portrait de la vie en pleine évolution, qui plus est, le voila dressé bras étendus vers les cieux alors que ses racines s’implantaient s’implantent aux sources de la terre.

Notre conception sensible ou fictive de l’Arbre cautionne peut être celle de son mystère en nous, étant donné qu’il concourt entre le perceptible et l’imperceptible, que ce soit matériellement ou par entité, l’Arbre obéit à une problématique constante. Sa robustesse ou sa tendreté est la nôtre, subsister comme un arbre n’est-ce pas être puissant et résistant comme lui. Concevoir simplement la possibilité d’embrasser son bois et son feuillage, sont autant d’appels à marier notre corps, notre énergie intérieure et nos pensées.

L’Arbre évoque notre aventure humaine liée à une seule existence, et cependant s’exprimant en mille et une branches différentes, impossible de fuir l’Arbre pas plus que s’enfuir de soi même. Si l’Arbre est à notre image, c’est qu’il ne diffère guère de l’homme dans sa pluralité la plus ultime.

À propos, la manière dont nous protégeons les arbres et les forêts ne coïncide-t-elle pas avec le portrait que nous tirons de nous-mêmes comme société ?
Notre affection pour l’Arbre, c’est l’affection et l’envie qui nous attachent précisément à cette Terre : comme si notre fortune ou notre vécu ici servait à comprendre parfaitement l’insolite et l’indicible dans nos ancrages. Cela veut dire pouvoir frémir sous le vent, nous plier dans la bourrasque et souffrir sans casser, d’ouïr ou d’éprouver les mouvances entre le Ciel et la Terre et de sentir la vitalité formidable qui s’élève et dévale entre les racines et la cime de l’Arbre.
Pour la première fois dans l’Histoire de l’Humanité, l’homme peut prendre conscience de l’unité de la Vie, de l’unité du genre humain, du lien qui unit l’Homme avec la Terre, dans une perspective qui est une véritable préoccupation, ce qui n’a pas toujours été le cas dans les siècles précédents.
La modernité a su travailler à couper l’homme de la nature, à couper l’homme du contact avec la terre. Elle a mis en place une forme de savoir qui demeure une représentation abstraite coupée de la vie. Sitôt que la vie s’éprouve et se reconnaît en moi, elle s’éprouve aussi et se reconnaît en dehors de moi. Le lien entre l’homme et la création ne peut pas être rompu, pas plus qu’il n’a besoin d’être restauré, parce qu’il n’a pas été instauré par une initiative humaine mais par le D.ieu Créateur.

Par contre, ce qui est advenu avec la modernité c’est qu’il a été occulté. Il a fallu des écrivains, des poètes, mais aussi et surtout, un retour aux sources bibliques pour nous ramener au sens de la Terre, dans ce que certains appellent « écologie ».
Plus on vit près de la Terre, plus on vit dans le sentiment sacré de l’amour de la Terre et plus il est évident que l’épopée du progrès technique s’est accompagnée d’une tragédie humaine sans précédent.

Seuls les optimistes naïfs, et les néopositivistes fanatiques peuvent encore croire que l’on peut s’en tenir aux « bienfaits de la technique » et rester indifférent au destin de la Terre; là aussi la rédemption d’Israël devra s’impliquer

Rony Akrich pour ashdodcafe.com