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Sur « Le discours de la servitude volontaire » (Etienne de la Boétie) Rony Akrich

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La plupart des libertaires (et non des libertins) n’ont jamais entendu parler d’Etienne de La Boétie. Il vécut de 1530 à 1563.
Il est, surtout, l’auteur de l’un des documents les plus révolutionnaires jamais écrits : «Le discours de la servitude volontaire». Le propos était différent de tout essai politique écrit avant cette époque : il s’agit d’un appel à la désobéissance civile de masse et à la défense de la liberté. Il a, non seulement, mis en doute la légitimité de l’autorité sur les autres, y compris les dirigeants élus, mais il a, également, osé demander pourquoi les gens acceptaient de devenir esclaves.

« La terreur et la force ne suffisent pas pour imposer l’obéissance » a expliqué La Boétie.

Il apostrophe les masses afin de résister à l’oppression, non par l’effusion de sang, mais en retirant leur consentement.

« Soyez résolus de ne plus servir et vous voilà libres. » « …pour ne plus subir le pouvoir du tyran, il suffit de ne plus le lui donner… »

Il est donc facile de comprendre pourquoi les libertaires devraient s’intéresser à ce traité. Et en effet, certains en seront conscients très rapidement.
Celui-ci fut écrit vers 1549 et publié clandestinement en 1574 sous le titre de ‘Contr’un’ par les monarchomaques protestants (Les monarchomaques étaient des libellistes [Un libelle est un petit livre de caractère satirique, insultant ou diffamatoire.] qui s’élevaient contre l’absolutisme et les persécutions royales établies à la fin du 16eme siècle, en Europe occidentale).

Ce livret offre une formidable prospective à l’esprit anti- jupitérien qui commence là une belle carrière au sein du royaume. Suite au massacre de la Saint-Barthélemy, la question devenait légitime: quelle devait être leur position face à la tyrannie, surtout devant l’exigence de s’en défaire? Cette publication précipitée priva Montaigne (grand ami de La Boétie) d’associer l’œuvre dans ses Essais.

La Boétie nourrit ici une pensée très inédite pour son temps. L’intensité du texte même minoré par un modèle référentiel extrait de l’Antiquité, et ce, pour mieux protéger son auteur, le peu de contingence religieuse concernant l’idée du pouvoir et la notion de désobéissance civile seront matière à agitations et remis au goût du jour bien plus tard.
Pourtant la pensée de La Boétie, oubliée pendant longtemps, se manifeste de temps à autre: sous la Révolution française, Marat le copia dans ‘Les Chaînes de l’esclavage’. Mais ce n’est qu’au 19eme siècle, avec Hugues-Félicité Robert de Lamennais, que ‘Le Discours de la servitude volontaire’ sera finalement distingué comme ouvrage capital.

Par la suite des philosophes comme Henri Bergson, Simone Weil ou Pierre Clastres, anthropologue qui analysa les sociétés sans pouvoir étatique, firent ainsi rêver la contestation populaire: « comment dans la balance sociale, le gramme l’emportait-il sur le kilo ». Bien après, Wilhelm Reich, Gilles Deleuze et Félix Guattari feront de ce sujet le mystère essentiel de la philosophie politique, particulièrement dans ‘L’Anti-Œdipe’.
Ajoutons la célèbre analyse de Paul Nizan dans ‘Les chiens de garde’, elle nous offre, dans cette ébauche, une étude des procédés servant à maintenir la dépendance. Sans oublier les interlocuteurs ‘collabo’, génération après génération, ces intellectuels et ces philosophes amis des pouvoirs.

Je considère la vision de La Boétie, sur les fondements psychologiques de l’autorité, comme très perspicace. Les gens n’obéissent pas simplement par peur, écrit-il, ils obéissent par habitude, par intérêt personnel à courte vue, par cupidité et par amour des privilèges, ou par l’influence d’infidèles, de propagande et de symboles de l’État.

La Boétie a bien vu que la plupart des gens acceptent ce qu’on leur enseigne et ce à quoi ils sont habitués, remettant rarement en question le statu quo.
«Les hommes s’habitueront à l’idée qu’ils ont toujours été soumis», écrit-il, «que leurs pères vivaient de la même manière; ils penseront être obligés de souffrir de ce mal et se persuaderont par l’exemple et l’imitation des autres, en investissant enfin ceux qui les commandent de droits de propriété, en se basant sur l’idée que cela a toujours été ainsi. Le nombre de personnes qui remettent en question, sans parler de résister, une autorité injuste est faible et en tout lieu. »

Il est le premier théoricien de la stratégie de désobéissance civile massive et non violente contre les chartes et abus de l’État. Bien que le discours ne soit pas un document subversif, il était un important précurseur intellectuel de l’anarchisme et de la désobéissance civile, inspirant Tolstoï, le contestataire allemand Gustav Landauer et les écrivains de la Révolution française.

La Boétie présumait que les gens finissaient par aimer leur servitude, d’où le ton, en grande partie pessimiste, de son essai.
Cependant, on peut y déceler un soupçon d’optimisme :

« Il y a dans notre âme une graine de raison naturelle qui, nourrie de bons conseils et bien entraînée, devient une vertu, mais qui, en revanche, peut ne pas résister aux vices qui l’entourent et ainsi être étouffée et brûlée. »
« Même si la moyenne des gens ne le souhaite pas, quelques individus bien-pensants peuvent la sauver : Même si la liberté avait entièrement péri de la terre, de tels hommes l’inventeraient. Pour eux, l’esclavage n’a aucune satisfaction, même déguisée. »

Nous pouvons espérer que l’esprit libertaire moderne servira cet objectif.
La Boétie comprenait parfaitement le fonctionnement des gouvernements.

« Les tyrans distribuaient des largesses, un boisseau de blé, un gallon de vin et un sesterce: et alors tout le monde criait sans vergogne: ‘Vive le roi!’. Les imbéciles ne se sont pas rendu compte qu’ils récupéraient simplement une partie de leurs biens et que leur dirigeant n’aurait pas pu leur donner ce qu’ils recevaient sans l’avoir d’abord pris. »
Si seulement plus de gens réalisaient, aujourd’hui, que c’est exactement ainsi que fonctionnent les gouvernements, même les plus bénins.

Donc, quand je dis qu’aucune bibliothèque libertaire moderne ne devrait s’en passer, j’espère que mes lecteurs ne considéreront pas cette affirmation comme une hyperbole. C’est une joie pure de le lire.
Je ne connais rien de tout aussi confondant dans la littérature moderne, si ce n’est le savant et l’authentique Michel Onfray, mais cela n’engage que moi.

Rony Akrich pour Ashdodcafe.com

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