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Cotisations sociales France-Israël : une discrimination silencieuse, par Maître Johann Habib, avocat fiscaliste franco-israélien,

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Introduction :

La mobilité internationale a fait émerger une série de conflits de législations sociales, notamment entre la France et Israël. Une anomalie majeure persiste : l’absence de mécanisme de coordination des régimes de sécurité sociale applicables aux travailleurs indépendants exerçant une activité dans l’un des deux pays tout en résidant fiscalement dans l’autre. Cette lacune a pour conséquence un double assujettissement social injustifié, une discrimination de traitement et une insécurité juridique durable pour les contribuables concernés.

  1. Fondement juridique de l’assujettissement en France :
  • Un travailleur indépendant exerçant une activité en France, même s’il réside à l’étranger, est en principe affilié aux régimes sociaux français (URSSAF, CARMF, CIPAV, etc.) dès lors que son activité y est localisée. En ce sens, le droit interne n’opère pas de distinction fondée sur la résidence pour établir l’assujettissement.
  • Par ailleurs, la jurisprudence européenne et nationale encadre les cas d’exonération de CSG et CRDS pour les non-résidents. L’arrêt CJUE, 26 février 2015, « de Ruyter », aff. C-623/13 et la décision du Conseil d’État du 27 juillet 2015 (n°385910) ont limité l’application des prélèvements sociaux aux seuls assurés affiliés à un régime français. Cette exonération, fondée sur le règlement européen n° 883/2004, ne bénéficie pas aux affiliés à un régime hors UE/EEE/Suisse – notamment israélien – faute d’assimilation réglementaire.
  • Ainsi, un résident israélien exerçant une activité indépendante en France, percevant des revenus de source française de type BNC ou BIC, demeure redevable des cotisations sociales françaises, y compris CSG/CRDS.
  1. Fondement juridique de l’assujettissement en Israël :
  • Une personne domiciliée en Israël au sens de la législation nationale est redevable de cotisations au Bituah Leumi sur l’ensemble de ses revenus mondiaux, sans distinction fondée sur l’origine géographique de ces revenus, conformément au principe d’assujettissement global en vigueur en matière de sécurité sociale israélienne.
  • La réforme fiscale de 2003 a introduit une vision élargie du revenu passif, incluant notamment les revenus professionnels réalisés à l’étranger, même si ceux-ci résultent d’une activité indépendante. Cette approche est confirmée par les instructions administratives du Bituah Leumi.
  • En 2025, les taux de cotisation applicables aux travailleurs indépendants israéliens sont :
    • 7,7 % jusqu’à 7 522 ILS/mois,
    • 18 % au-delà, avec un plafond de 50 695 ILS/mois.
  • Aucune disposition législative n’autorise actuellement la prise en compte ou la déduction des cotisations sociales versées à l’étranger.
  • En revanche, un travailleur indépendant non résident exerçant une activité professionnelle en Israël n’est pas redevable des cotisations au Bituah Leumi, sauf pour les risques liés aux accidents du travail. Cette exemption figure explicitement sur le site officiel de l’institution (ביטוח לאומי) :

« עובד עצמאי שאינו תושב ישראל – פטור מתשלום דמי ביטוח לאומי ».

  1. Une asymétrie marquée entre les deux pays :
  • Cette différence de traitement révèle une profonde dissymétrie dans l’approche des deux systèmes :
    • La France assujettit tout travailleur indépendant exerçant sur son territoire, quelle que soit sa résidence.
    • Israël, en revanche, assujettit au Bituah Leumi les seuls domiciliés israéliens, même pour leurs revenus étrangers, mais exonère les non-résidents exerçant une activité en Israël.
  • Cette asymétrie crée une situation où un résident israélien exerçant en France supporte deux régimes de cotisation, alors qu’un résident français exerçant en Israël n’est redevable que du régime français.
  • Il s’agit là d’une discrimination structurelle qui ne peut être justifiée ni par les textes bilatéraux existants, ni par une quelconque logique contributive.
  1. Carence de la convention bilatérale France-Israël :
  • La convention de sécurité sociale signée le 17 décembre 1965 (entrée en vigueur le 1er avril 1966) entre la France et Israël couvre uniquement :
    • l’assurance vieillesse,
    • l’invalidité,
    • les accidents du travail et maladies professionnelles,
    • les prestations familiales.
  • Elle ne traite ni de l’assurance maladie ni des cotisations sociales dues sur les revenus d’activité. Aucun article ne prévoit de règle de priorité ni de clause d’évitement du double assujettissement.
  • Elle est donc inadaptée aux réalités économiques actuelles et aux formes contemporaines d’activité professionnelle transnationale, ce qui engendre une discrimination structurelle dans la coordination des droits sociaux.
  1. Illustration pratique :
  • Un exemple publié en février 2009 sur net expose le cas d’un médecin israélien exerçant partiellement en France. Ce dernier s’est vu réclamer, par le Bituah Leumi, l’intégralité des cotisations sociales israéliennes, en dépit de ses paiements effectués en France.
  • Comme l’a précisé l’expert-comptable Yehoshua Minivitsky (cabinet Schiff-Hazanfratz), il n’existe aucun texte permettant de neutraliser les cotisations versées dans l’autre État. Cette analyse reste juridiquement valable en 2025.
  1. Une anomalie juridique, financière et discriminatoire persistante :
  • Cette situation constitue une discrimination indirecte à l’encontre des travailleurs indépendants domiciliés en Israël exerçant une activité en France, en ce qu’ils se voient imposer des prélèvements cumulatifs sans coordination, alors même qu’aucun mécanisme équivalent n’est appliqué dans le cas inverse.
  • Les contribuables concernés se trouvent en situation de double assujettissement, contribuant à deux régimes sans articulation claire de leurs droits.
  • Cette double charge, même lorsqu’elle ouvre théoriquement des droits dans les deux pays, n’est encadrée par aucun principe de proportionnalité ni par aucun mécanisme de remboursement, de crédit ou de priorité.
  • Il en résulte une insécurité juridique permanente et une charge financière qui s’apparente à une forme de pénalité discriminatoire pour les indépendants actifs entre la France et Israël.
  1. Appel à une réforme bilatérale urgente :

Il ne nous appartient pas de dire qui doit percevoir quoi. Il appartient aux gouvernements français et israélien d’assumer leur responsabilité réciproque en matière de coordination sociale.

Nous appelons à :

  • une refonte de la convention de 1965 intégrant les problématiques contemporaines de cotisations sociales sur les revenus d’activité,
  • l’introduction d’une clause anti-double assujettissement,
  • une clarification des droits ouverts dans chaque régime et de leur articulation,
  • et un mécanisme de priorité ou de neutralisation reconnu réciproquement.

Conclusion :

Les indépendants résidant en Israël et exerçant une activité en France sont les victimes silencieuses d’une lacune bilatérale. En l’absence de toute coordination, ils supportent des charges sociales doubles, sans garanties claires sur la couverture acquise et les droits associés. Cette situation, inéquitable, discriminatoire et juridiquement insoutenable, appelle une réponse politique ferme et technique précise.

Cet article n’est pas et ne remplace pas une consultation juridique

Maître Johann Habib
avocat fiscaliste franco-israélien
conseiller des Français de l’étranger
ancien membre de la commission finances et fiscalité de l’AFE

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