Le Centre Moshe Dayan pour les études sur le Moyen-Orient, le plus grand centre de recherche sur la région en Israël, et le Centre Alliance d’études iraniennes de l’Université de Tel-Aviv ont tenu mardi 17 juin 2025 un important séminaire sur les implications régionales de la guerre avec l’Iran, rassemblant des spécialistes sur les différents pays et acteurs de la région y compris les Etats-Unis, qui ont présenté un panorama nuancé et complet de la situation géopolitique complexe servant de cadre au conflit.
(Crédit : Majid Asganipour/WANA via REUTERS/ INSS.org.il)
Vue géopolitique globale
« En octobre 2023, le Hamas a lancé une attaque brutale sur Israël, assassinant des centaines de personnes et en kidnappant de nombreuses autres », a rappelé le Prof. Amos Nadan, Directeur du Centre Moshe Dayan. « Il y a eu alors une vraie crainte pour la sécurité du pays, entouré d’ennemis se surnommant ‘l’axe de la résistance’, dont le but déclaré est de le détruire et de viser les Juifs, et bien sûr par la suite l’ensemble des soi-disant ‘infidèles’ ».
« Aujourd’hui, la situation a changé de manière significative. Malheureusement la guerre n’est pas encore finie à Gaza où des otages israéliens sont toujours retenus captifs, leur retour restant la priorité absolue. Cependant, il ne s’agit plus d’une menace existentielle sur l’ensemble du pays comme par le passé. Au nord, le Hezbollah n’est plus entièrement impliqué dans les combats. La Syrie a à présent un nouveau président qui, malgré ses antécédents djihadistes, pourrait être intéressé à normaliser ses relations avec Israël. Les Houthis du Yémen, bien qu’ils lancent encore des missiles de temps en temps, ne constituent plus un danger existentiel non plus. La principale menace aujourd’hui reste l’Iran, qui a directement attaqué Israël pendant le conflit et se trouve à présent confronté à une puissante contre-attaque. Officiellement, le but d’Israël est d’éliminer ou au moins de repousser la capacité de l’Iran à développer l’arme nucléaire ».
« Au-delà du front militaire nous assistons à un phénomène fascinant dans la région. De plus en plus d’Etats, qui valorisent leur souveraineté et leur stabilité plus que le djihadisme et les fantaisies impérialistes cherchent à s’aligner avec Israël dans l’espoir de promouvoir un nouvel ordre régional, avec le soutien des Etats-Unis et d’autres alliés tels que le G7 qui a déclaré son soutien à Israël sur la question iranienne. Sur le plan militaire, l’opération israélienne est un succès phénomènal, dans les limites de ce que Tsahal peut réaliser, et il y a une pression grandissante sur le gouvernement israélien pour passer de l’action militaire aux négociations ».
Un régime vicieux, extrêmement anti-israélien et antisémite
D’après le Prof. Meir Litvak, Directeur du centre Alliance d’études iraniennes, l’Iran s’est tourné vers l’option nucléaire, tout d’abord parce qu’il s’agit d’un régime paranoïaque, dont la principale peur est que les Etats-Unis tentent de le renverser, et qui voit le nucléaire à la fois comme une assurance contre les attaques étrangères, et comme une question d’honneur national. Les pays possédant la capacité nucléaire appartiennent à la ‘ligue majeure’, et les autres à la ‘ligue mineure’. Mais jusqu’à présent l’Iran ne poursuivait pas un programme d’armement nucléaire. Sa stratégie reposait sur les missiles balistiques et ses proxys, au Liban, à Gaza et en Syrie. La raison directe de l’attaque israélienne hormis l’échec des négociations entre l’Iran et les Etats-Unis, est la crainte d’Israël, reposant probablement sur les informations de ses services de renseignement, selon lesquels l’Iran avait décidé de passer à la fabrication d’une bombe atomique, peut-être parce que sa précédente stratégie avait échoué, avec la quasi-neutralisation du Hamas et du Hezbollah et la chute d’Assad en Syrie. En même temps, Israël seul n’avait pas les capacités techniques d’éliminer les installations nucléaires sous-terraines iranienne.
Concernant le régime iranien, le Prof. Litvak le qualifie de « vicieux, extrêmement anti-israélien et antisémite. Il s’agit d’un régime puissant, brutal, prêt à utiliser la répression contre sa propre population qui vit dans la peur. Il contrôle l’Internet, empêchant l’opposition de s’organiser ». Cependant, selon lui, c’est une erreur de penser qu’on puisse le renverser de l’extérieur. « Je pense que le régime iranien a été affaibli, mais ce n’est pas à des étrangers de renverser le régime, cela doit être laissé au peuple iranien ». Cependant le Prof. Litvak ajoute que l’Iran, l’un des principaux producteurs de pétrole, souffre néanmoins d’une pénurie de pétrole et de gaz, en raison d’une mauvaise gestion et d’installations industrielles obsolètes, et donc les coupures d’électricité sont courantes dans les grandes villes. « Ajoutez cela à la crise de l’eau, l’inflation galopante et autres problèmes qui ne feront que s’exacerber avec la guerre : le régime iranien devra se confronter à de nombreux problèmes dans un avenir proche ».
Des effets à long terme sur la scène palestinienne
Concernant la réaction des Palestiniens à la guerre contre l’Iran, le Dr. Harel Chorev, spécialiste des questions palestiniennes au Centre Moshe Dayan, différencie la scène publique de la scène politique. Au niveau du public, on assiste généralement à des démonstrations de joie à Gaza, dans les territoires de Judée Samarie et sur les réseaux sociaux chaque fois que des missiles tombent sur Israël. Cependant, les Palestiniens ne peuvent pas ignorer les autres voix qui se font entendre dans le monde arabe, ni la presse qui fait état de l’effondrement de ‘l’axe de la résistance’. Ils sont donc pris entre ce qu’ils voudraient croire et la réalité. Sur le plan politique, selon le Dr. Chorev, la guerre n’aura pas de conséquence particulière sur le comportement du Hamas concernant par exemple les otages. Depuis un an, le Hamas a compris que l’Iran n’était pas aussi fort qu’il le pensait et ne pouvait pas le soutenir comme il l’aurait espéré. Cependant sur le long terme, les évènements qui sont en train de se passer sont cruciaux, car ils brisent le cadre à l’intérieur duquel agissaient le Hamas, le Jihad islamique et le Hezbollah depuis environ 2008.
L’Autorité palestinienne, pour sa part, malgré tous ses problèmes, va probablement sortir renforcée du conflit, et apparaitre comme l’option palestinienne légitime en termes internationaux. Les effets de la guerre contre l’Iran se feront donc sentir à long terme sur la scène palestinienne.
Les Etats du Golfe pour une stabilisation de la région
Selon le Dr. Brandon Friedman, spécialiste des Etats du Golfe au Centre Moshe Dayan, ceux-ci, en particulier l’Arabie saoudite, souhaitent une désescalade rapide du conflit, et un passage à la diplomatie. « Ils veulent la stabilité dans la région, et considèrent toutes les guerres avec Israël comme une source de radicalisation et de mobilisation de leurs populations qui les inquiètent profondément pour la sécurité de leur propre régime. En revanche, les Saoudiens en particulier, considèrent les succès d’Israël comme posant les bases d’une hégémonie régionale israélienne, et ils en craignent les effets sur le gouvernement actuel de droite en Israël et son attitude sur la question palestinienne », explique-t-il. Troisième point : les Saoudiens ont un programme de développement à long terme de leur économie intérieure et craignent que la guerre actuelle mette en danger les investissements étrangers. Les EAU en particulier Abu Dhabi seraient contents de voir Israël infliger un coup sérieux au programme nucléaire de l’Iran. Par contre, Dubaï en particulier, travaille depuis 2019 à une désescalade avec l’Iran. Mais en gros, les Emirats seraient contents de voir ce régime iranien particulier subir un coup sérieux, bien qu’ils ne le disent pas publiquement. Le Qatar et Oman, quant à eux, essaient de jouer un rôle d’intermédiaire entre l’Iran et les EU. Cependant le Qatar, qui partage son infrastructure de gaz et d’énergie avec l’Iran adjacente, est inquiet de la possibilité d’un élargissement des opérations militaires israéliennes vers le Golfe persique, centre nerveux de l’industrie d’exportation du pétrole iranienne. D’autre part, le Qatar perdant l’appui de l’Iran risque de se rapprocher de la Turquie. « Je pense que si Israël réussit à détruire ou repousser substantiellement le programme nucléaire iranien, nous pouvons nous attendre à ce que les Etats du Golfe, surtout l’Arabie saoudite, soutenus par l’Egypte et la Jordanie, s’expriment clairement en faveur d’une zone libre d’armes de destruction de masse au Moyen-Orient, y compris une campagne de pression diplomatique sur le programme nucléaire israélien ».
Le Dr. Joel Parker, spécialiste de la Syrie et du Liban au Centre Moshe Dayan, relève la neutralité de la Syrie et du Liban dans le conflit entre l’Iran et Israël. « Au Liban, le silence du Hezbollah créé justement pour réagir en cas de confrontation directe entre Israël et l’Iran, est une preuve parlante de l’affaiblissement de l’axe de la ‘résistance’ dans la région. Le mouvement lui-même a été sérieusement ébranlé par l’affrontement avec Israël et l’anéantissement de Nasrallah et craint la réaction d’Israël s’il s’impliquait. La neutralité de la Syrie est importante pour Israël qui utilise son espace aérien pour presque chacun de ses vols vers l’Iran, et une preuve que le nouveau régime est en faveur de l’affaiblissement de l’Iran par l’Etat hébreu. L’Iran était un des piliers essentiels du régime d’Assad. Le nouveau régime est encore très fragile et n’a pas encore réussit à incorporer tous les éléments de la société syrienne. Il a besoin d’un espace de manœuvre politique pour forger sa stabilité. Bien que beaucoup de Syriens et de Libanais considèrent encore Israël comme un ennemi, ils voient d’un bon œil l’affaiblissement de l’Iran, qui pourrait constituer un pas dans le processus de normalisation des relations avec Israël ».
Un plan détaillé et coordonné entre les Etats-Unis et Israël
Bien que le séminaire ait eu lieu avant l’attaque américaine du 21 juin, le Dr. Chelsi Muller, spécialiste des Etats-Unis au Centre Moshe Dayan, a centré ses propos sur le président Trump et sa diplomatie coercitive envers l’Iran. Selon elle, bien que Trump ne soit pas connu pour la clarté et la cohérence de ses messages, ses déclarations sur le sujet au cours des deux derniers mois ont pourtant été étonnamment claires et cohérentes. Dès le début des négociations il a fait savoir à l’Iran qu’elle avait 60 jours pour démanteler son programme d’armement nucléaire sous peine de l’élimination de ce programme par des frappes militaires faisant de nombreuses victimes. Après exactement 60 jours de négociations, au cours desquels l’Iran a utilisé toutes sortes de manœuvres d’atermoiement sans accepter aucunes des offres américaines, Israël a lancé sa spectaculaire attaque préventive. « Ce qui est remarquable, c’est que cette attaque a été une surprise complète pour l’Iran et pour tout le monde, alors que Trump en avait en fait annoncé publiquement la date au jour près ». Selon le Dr. Muller, les soi-disant divergences entre Trump et Israël pendant cette période avaient délibérément pour but de tromper l’Iran, en particulier à la veille de l’attaque. « Nous sommes témoins d’un plan détaillé et coordonné mis au point depuis plus de deux mois, ayant pour but d’obtenir une solution politique de la question nucléaire iranienne. En effet, bien que la campagne ait basculé dans ce que Clausewitz a décrit comme ‘la politique par d’autres moyens’ – la phase de guerre, Trump a clairement fait savoir que le but final restait une solution politique, l’acceptation par l’Iran du démantèlement de son armement nucléaire, de son programme de missiles balistiques et d’un contrôle international », autrement dit une capitulation totale du régime iranien.
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1. Crédit : Majid Asganipour/WANA via REUTERS/ INSS.org.il
2. Le Prof. Amos Nadan
3. Le Prof. Meir Litvak
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7. Le Dr. Chelsi Muller
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