Paracha VAYIGASH – Vendredi 26 Décembre 2025 – Yom Chichi 03 Tevet 5785 – Samedi 27 Décembre 2025 –Yom Shabbat 04 Tevet 5785
HORAIRES DE CHABBAT – Paracha VAYIGASH
TEL AVIV et NETANYA – 16h23 – 17h24
JÉRUSALEM – 16h02 – 17h23
HAÏFA – 16h13 – 17h20
EILAT – 16h28 – 17h28
ASHDOD – 16h24 – 17h25
BEER SHEVA – 16h25 – 17h26
PARIS – 16h41 – 17h55
MARSEILLE – 16h50- 17h58
LOS ANGELES – 16h32 – 17h33
MIAMI – 17h19 – 18h16
NEW YORK – 16h16 – 17h22
Chers Amis, Hanouka est terminé et en ce mois de Téveth nous n’avons pas de festivités sinon un jeûne (le plus bref de l’année) qui possède toutefois la particularité de ne jamais être reporté même s’il tombe un vendredi et même s’il tombait un shabbat, on jeûnerait le 10 du mois de Téveth à cause de son caractère extrêmement grave puisqu’il annonce la chute de Jérusalem progressivement aux mains de nos persécuteurs. Ce jeûne ne tombe jamais un shabbath grâce à la longueur des mois du calendrier hébraïque qui est soit de 29 jours soit de 30 jours !
Vayigash : du contrat à l’alliance, naissance politique d’un peuple. Par Rony Akrich
« Vayigash » n’est pas un mot neutre. Ce n’est pas seulement la description d’un mouvement dans l’espace, un homme qui s’approche d’un autre, mais un geste moral et politique : sortir de l’esquive pour se tenir face à une autorité, face à une vérité, face à une responsabilité. S’approcher, ici, signifie cesser de se cacher derrière les circonstances, refuser la facilité des explications, consentir à apparaître comme sujet engagé. Dans la paracha Vayigash, Yehuda s’avance vers Yossef alors qu’il le croit vice-roi d’Égypte, c’est-à-dire une puissance quasi intouchable, et pourtant il parle une langue qui n’est pas celle de la peur, mais celle de l’obligation envers l’autre. À partir de ce point, le récit cesse d’être une simple « dramatique familiale » et devient une naissance politique : le passage d’une famille à un peuple. Non pas un passage biologique ni administratif, mais un changement de fondation : de quoi est fait notre « être-ensemble » ? D’intérêt et de contrat, ou de fraternité et d’alliance ?
On peut lire l’histoire de Yossef et de ses frères comme un laboratoire politique primitif : que devient une communauté lorsque les liens entre frères se structurent principalement par l’intérêt, l’équilibre de puissance et la dissimulation ? Yossef a été perçu comme une menace : menace pour le statut des frères aux yeux du père, menace pour la hiérarchie symbolique de la maison, menace pour l’honneur et l’avenir. Quand le frère devient menace, il cesse d’être frère : il devient rival. La « solution » adoptée, l’éliminer de la scène, relève d’une logique de survie. Même si les frères ne formulent pas une théorie, ils obéissent à un mécanisme très proche de celui que Hobbes décrit : lorsque la confiance est absente, l’autre est d’abord un risque, et la stabilité se paie par la contrainte, la violence ou la mise à l’écart. Ensuite vient le mensonge à Yaakov : un pacte de silence interne qui maintient l’édifice familial en apparence, mais le laisse brisé en profondeur. C’est un ordre minimal, pas une alliance.
C’est ici qu’apparaît le premier axe : l’intérêt et le contrat à l’intérieur même de l’intrigue. Une grande tradition politique moderne, de Hobbes jusqu’à des conceptions contractuelles plus récentes comme celle de Rawls, pense la société comme un arrangement : des individus acceptent des règles afin d’obtenir stabilité, sécurité, et (dans le cas de Rawls) équité. Cet arrangement peut être rationnel et nécessaire ; il peut réduire la violence. Mais le récit des frères met en lumière sa fragilité dès lors qu’il n’est soutenu que par l’utilité et la dissimulation. Le « contrat » familial non écrit, se taire, continuer, sauver les apparences, fonctionne pendant des années. Puis survient la crise : la famine. L’édifice est soumis à la pression, et sous la pression un pacte de silence ne produit pas de fidélité, il produit de la panique. Les frères descendent en Égypte par besoin, parlent la langue de la transaction, et tout semble réductible à l’échange : nourriture, liberté, dignité, et même la place d’un homme.
Voilà le danger : quand le « nous » repose sur l’intérêt, il tient tant que l’intérêt est lisible. Mais dès que l’intérêt entre en collision avec la honte, la culpabilité, la mémoire d’une faute, les règles ne suffisent plus. Même une justice de type rawlsien, soucieuse de conditions équitables, présuppose en arrière-plan que les partenaires acceptent de rester dans le jeu. Or qu’est-ce qui retient un homme dans le jeu quand il devient coûteux ? Qu’est-ce qui l’empêche de rompre, de fuir, de sacrifier l’autre ? C’est ici que la fraternité devient décisive. Sans elle, le contrat est une architecture sans souffle : une loi sans loyauté.
Vient alors le deuxième axe : fraternité et reconnaissance. Yehuda s’avance, et dans ce geste il fait ce que l’intérêt ne sait pas faire : il se propose à la place de Benyamin. Il n’offre pas un dédommagement, il ne négocie pas une transaction plus avantageuse, il ne cherche pas la ruse efficace : il se met lui-même en gage. C’est un renversement de structure, pas un élan sentimental. Aristote, pour qui la politique n’est pas seulement gestion d’intérêts mais formation des vertus, aiderait ici à comprendre la nature de l’acte : Yehuda passe d’un réflexe de survie tribal à une disposition morale d’obligation. Il cesse de voir Benjamin comme une variable dans une équation, et il le voit comme un être dont l’effacement détruirait le monde du père et celui des frères. La fraternité, ici, n’est pas une émotion : c’est une responsabilité incarnée.
Hegel offre un concept précis pour décrire ce basculement : la reconnaissance. L’homme devient pleinement « je » dans la relation au « tu », mais il existe une reconnaissance instrumentale, je te reconnais comme utile, et une reconnaissance existentielle, je te reconnais comme sujet. Jusqu’ici, les frères se reconnaissaient sous le régime de la rivalité : qui compte, qui menace, qui pèse. Ce régime transforme l’autre en objet. Yehuda, au moment de Vayigash, produit une reconnaissance d’un autre ordre : Benjamin n’est pas échangeable, il n’est pas convertible, il oblige. Et en reconnaissant la vulnérabilité de Yaakov, Yehuda comprend que l’alliance n’est pas seulement entre individus : elle est entre générations, entre passé et avenir. La fraternité devient ainsi la condition du temps long.
Le troisième axe apparaît enfin : la fraternité comme condition d’un désaccord non violent. Car si Yehuda incarne l’émergence de la garantie (la responsabilité), Yossef incarne l’émergence d’une limite au pouvoir. Au moment où Yossef se révèle, il détient une puissance totale. Il pourrait transformer la vérité en arme : humilier, punir, faire payer l’impuissance qu’il a subie. C’est une épreuve politique fondamentale : non pas seulement « qui a raison », mais « que fait le pouvoir lorsqu’il rencontre ceux qui l’ont blessé »? Montesquieu a montré que le pouvoir doit être contenu, sinon il se transforme en tyrannie. Ici, il n’y a pas d’institution pour contenir Yossef : il n’y a que lui-même. Yossef choisit l’auto-limitation : il refuse de convertir la vérité en vengeance. Il ouvre la possibilité d’une vérité qui n’écrase pas.
Tocqueville, qui insistait sur les mœurs et les habitudes civiques comme condition de la démocratie, dirait qu’une société tient lorsque ses membres possèdent des dispositions intérieures qui empêchent le conflit de devenir guerre de camps. La fraternité, au sens politique, est une de ces dispositions : elle autorise la dispute sans autoriser la destruction. Habermas, de son côté, pense le lien social à travers l’espace public et des règles de discussion rationnelle ; mais ces règles ne flottent pas dans le vide. Elles reposent sur une hypothèse plus profonde : que l’autre, même fautif, demeure un partenaire dans un monde commun. Joseph rend cette hypothèse possible : il dit la vérité, mais il ne prononce pas, par la vérité, une sentence d’exclusion.
On peut même convoquer John Stuart Mill comme arrière-plan : la confrontation des points de vue est nécessaire à la vérité et à la liberté, mais elle n’a de sens que si elle ne vire pas à l’anéantissement du contradicteur. Joseph permet que la faute soit reconnue sans que l’homme soit réduit à sa faute. Il rend possible le travail du temps : non pas l’oubli, non pas la naïveté, mais une réparation qui ne s’identifie pas à la revanche.
Ainsi, Vayigash devient le lieu où la famille cesse d’être une coalition d’intérêts et commence à devenir une alliance. L’intérêt et le contrat peuvent produire de l’ordre ; ils peinent à produire de la réparation. La fraternité et la reconnaissance créent une identité commune qui ne dépend pas de la rentabilité. Et la fraternité, dans son sens politique le plus profond, est la condition pour que le désaccord ne glisse pas vers la violence : elle impose au pouvoir une limite intérieure et donne à la parole la capacité de porter la vérité sans la transformer en arme.
C’est pourquoi l’idée « sans réparation entre frères, il n’y a pas d’histoire hébraïque » n’est pas seulement morale : elle est politique et existentielle. Un peuple ne naît pas d’une idéologie, ni même de la peur. Il naît de la capacité à établir un « nous » qui ne se brise pas lorsque le passé s’avère coupable. Vayigash enseigne que l’alliance commence là où l’homme s’avance, assume, et retient sa puissance ; alors seulement la descente en Égypte n’est plus une simple migration de survivants affamés, mais l’entrée d’une communauté dans le temps long, celui qui sait porter le conflit sans se détruire.
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Bibliographie
Hobbes — Le Léviathan (1651) ; Du citoyen (1642)
Rawls — Théorie de la justice (1971) ; Libéralisme politique (1993)
Aristote — La Politique ; Éthique à Nicomaque
Hegel — Phénoménologie de l’esprit (1807) ; Principes de la philosophie du droit (1820/21)
Montesquieu — De l’esprit des lois (1748)
Tocqueville — De la démocratie en Amérique (1835–1840)
Habermas — L’espace public (1962) ; Théorie de l’agir communicationnel (1981) ; Droit et démocratie : entre faits et normes (1992)
J. S. Mill — De la liberté (1859); Considérations sur le gouvernement représentatif (1861)
