Dans le système juridique israélien, il n’existe pas de Constitution formelle. L’État s’est doté, à la place, de lois fondamentales, appelées à constituer progressivement le socle constitutionnel du pays. Celles-ci se distinguent des lois ordinaires, qui régissent la vie juridique courante et peuvent être modifiées ou abrogées par une majorité simple à la Knesset. Les lois fondamentales, en revanche, occupent un rang normatif supérieur et structurent l’équilibre institutionnel.
C’est dans ce cadre que la Knesset a adopté, le 19 juillet 2018, la Loi fondamentale « Israël, État national du peuple juif ». Cette adoption a suscité un sentiment de redondance. L’affirmation selon laquelle Israël est l’État du peuple juif figurait déjà explicitement dans la Déclaration d’indépendance de 1948 et se trouvait inscrite dans la Loi du Retour de 1950. Pourquoi, dès lors, éprouver le besoin de réaffirmer ce principe ?
La réponse tient au statut juridique de ces textes. La Déclaration d’indépendance, bien que centrale sur le plan historique et symbolique, ne possède pas de valeur juridique contraignante. Elle exprime une intention fondatrice, mais ne constitue pas une norme constitutionnelle. Quant aux lois établissant le lien entre l’État et le peuple juif, tant qu’elles ne relèvent pas du registre des lois fondamentales, elles peuvent être modifiées ou abrogées par une majorité parlementaire simple, au gré des configurations politiques.
Cette fragilité normative est apparue de manière de plus en plus nette à partir des années 1990, lorsque le système juridique israélien a engagé un mouvement de constitutionnalisation des droits humains. L’adoption de lois fondamentales consacrées à la dignité humaine, à la liberté individuelle et à des principes connexes a conféré aux droits de l’homme un statut normatif élevé, renforcé par l’élargissement du contrôle juridictionnel. Les droits civiques et libéraux se sont ainsi trouvés solidement ancrés dans l’architecture constitutionnelle émergente.
Or ce processus ne s’est pas accompagné d’une inscription équivalente du caractère juif de l’État dans le corpus des lois fondamentales. Il en est résulté une dissymétrie structurelle : les droits de l’homme bénéficiaient d’un ancrage constitutionnel explicite, tandis que la définition d’Israël comme État du peuple juif continuait de reposer sur des textes dépourvus de valeur constitutionnelle. C’est cette asymétrie que la loi de 2018 entend corriger.
La loi de 2018 n’introduit pas un principe nouveau et ne transforme pas la nature du régime. Elle confère un statut constitutionnel à une donnée fondatrice qui, jusque-là, reposait sur des textes juridiquement fragiles. Son objectif est de combler une lacune : inscrire explicitement le caractère juif de l’État dans l’architecture constitutionnelle, afin que cette définition ne dépende plus uniquement de déclarations fondatrices ou de lois ordinaires.
Il convient en outre de souligner que la loi de 2018 ne définit pas Israël comme un État-nation au sens classique, mais comme un État national. Il ne s’agit pas de l’État d’une nation civique homogène, mais d’un État référé à un peuple historique dont l’existence et la continuité excèdent le cadre territorial de l’État.
Israël demeure pour autant un État doté d’une citoyenneté unique et d’un ordre juridique commun. Tous ses citoyens participent aux mêmes institutions, disposent des mêmes droits civiques et relèvent du même cadre légal, indépendamment de leur appartenance nationale ou religieuse. La communauté civique est unifiée, même si elle est nationalement plurielle.
La loi « Israël, État national du peuple juif » de 2018 ne marque donc pas une rupture, mais une clarification normative. Elle vise à stabiliser juridiquement une définition de l’État déjà présente dès l’origine, tout en corrigeant un déséquilibre né de la constitutionnalisation progressive des droits humains. Elle rend ainsi visible la singularité du modèle israélien : un État civiquement inclusif, mais nationalement référé à un peuple qui dépasse ses frontières. C’est cette configuration particulière, plus que toute autre, qui permet de comprendre à la fois la nécessité de la loi et les débats qu’elle continue de susciter.
Daniel Horowitz
Ashdodcafe.com
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