À l’occasion du 90ᵉ anniversaire de la disparition du rabbin Avraham Itshak Hacohen Kook, grand rabbin de la Palestine mandataire et figure majeure du sionisme religieux, il nous revient d’évoquer un aspect fondamental de sa pensée, encore trop souvent ignoré.
Si le sionisme religieux existe depuis la destruction du Second Temple, il se caractérise par la passivité. Les Juifs prient pour une Jérusalem céleste dans l’attente du Messie qui amènera la délivrance.
Les sionistes laïcs ont bouleversé cette stabilité, mais face à l’hostilité du monde religieux, leur combat semble perdu d’avance. En créant un nouveau sionisme religieux, Rav Kook, une des grandes figures de l’histoire de la Torah, va permettre d’amplifier et renforcer le mouvement sioniste dans son ensemble.
Abraham Isaac haCohen Kook, né à Grīva, aujourd’hui en Lettonie, le 8 septembre 1865 et mort à Jérusalem le 1er septembre 1935.
Dans sa jeunesse, il a une réputation d’être un étudiant exceptionnel, ce qui lui ouvre les portes des plus prestigieuses yechivot comme celle du Rav Halevi Rivlin, auteur d’une œuvre exceptionnelle halarique. Il étudie aussi à la yeshiva de Volozhin, c’était le centre le plus important et le plus fameux d’études en Europe d’où sortaient les plus grands rabbins et les plus grands érudits. À partir de 1888, le Rav Kook devient rabbin de Zaumel, petit bourg de Lituanie. C’est à cette période qu’il étudie avec l’un des plus grands de la génération à savoir Rav Eliyahou David Rabinovitch Teomim (dit « l’Aderet »), grande autorité talmudique de l’époque. Il se rapproche aussi de Rav Naphtali Tsvi Yehuda Berlin (dit « le Natsiv »), une figure centrale du judaïsme non hassidique.
En 1889, le Rav Kook perd sa femme alors que sa fille n’est âgée que d’un an et demi. Il se remarie et aura un fils, Son Tsvi Yehuda, il devient son élève, son héritier spirituel. En 1904, à l’époque de la seconde Alya, il émigre en Terre d’Israël, alors province ottomane, où il a été appelé pour être rabbin de Jaffa. Après la première guerre mondiale, il devient le premier grand-rabbin ashkénaze en Israël à l’époque du mandat britannique. Ce nouveau visage du sionisme basé sur la kabbale surprend car jusqu’à Rav Kook le sionisme est moderne, séculier et surtout laïc. Il deviendra religieux avec le mouvement des amants de Sion (1881) ou un courant religieux s’y développe.
En Palestine, il y a eu des précédents à Rav Kook comme Yehiel Michal Pines qui luttent contre les autorités religieuses traditionnelles renforcées par le fait qu’elles n’ont jamais quitté Jérusalem et ont subi toutes les occupations. On comprend mieux alors les difficultés de Pines lorsqu’il propose une autre vision du sionisme tout en restant au sein même de l’orthodoxie.
Au premier congrès sioniste, le Rav Mohiliver présente lui aussi une vision religieuse du sionisme en affirmant que « le repeuplement de notre pays vaut toute la loi et qu’il est le fondement de l’existence de notre peuple ».
À la différence de Rav Reines qui est prêt à accepter l’Ouganda comme solution provisoire, le Rav Kook n’accepte pas de compromis. Il est le premier à développer la pensée religieuse nationale, c’est pourquoi il entreprend une œuvre phénoménale, à savoir une réinterprétation radicale de l’ensemble de la tradition religieuse. Il flirte avec les limites acceptables et veille à n’apporter aucun changement religieux. Ainsi, il a su construire le lien entre les sionistes laïcs et le monde religieux pour envisager dans l’union la construction du pays d’Israël.
Sa pensée s’organise autour de trois idées essentielles; il donne l’importance au pays terrestre d’Israël et pas uniquement céleste. L’autre principe phare le rapprochement entre la religion et les laïcs sionistes. Enfin développer la philosophie juive et recentrer l’importance d’Israël « en terre sainte, l’esprit est prêt à comprendre la lumière de la prophétie et à recevoir les effusions de la Lumière divine ». Rav Kook s’oppose une fois de plus à l’ensemble de la tradition juive qui s’est accommodée de vivre en exil et renchérit en affirmant que” le peuple d’Israël, la thora et le pays d’Israël ne font qu’un. »
Autrement dit, un juif de diaspora peut respecter tous les commandements de la loi , mais le fait de résider hors du pays d’Israël, son judaïsme est privé de son essence même. Ainsi, et vivre dans l’exil équivaut à mener une vie impure, par conséquent le retour à Sion doit être un impératif immédiat pour tous les juifs.
Parallèlement, il développe l’idée déjà avancée par Kalisher et Alkalai que peu importe les motivations de ces juifs athées, ils accomplissent le plan divin et peuvent contribuer à la venue du Messie sans même y croire. Il écrit «s’opposer au nationalisme juif n’est pas permis car l’esprit de Dieu et l’esprit d’Israël sont identiques ».
Dans les années 30, Rav Kook prévoit la tragédie qui menace le peuple juif; il écrit : « La civilisation mondiale s’effondre, l’esprit de l’homme faiblit, l’obscurité enveloppe toutes les nations. ».
La lumière finira par réapparaître, mais la rédemption universelle ne peut se réaliser que par la rédemption d’Israël où la Providence retrouvera sa place. Les milieux religieux, malgré leurs réticences, ne peuvent plus ignorer que les sionistes reconstruisent le pays d’Israël quelquefois au péril de leur vie. Ils comprennent que peu à peu le centre du judaïsme se trouvera dans ce pays d’Israël. Pour cela, Rav Kook rappelle qu’Israël doit être exemplaire pour accomplir sa mission, celle d’influencer le monde entier.
La victoire de la guerre des six jours a engendré une grande espérance messianique. On a ainsi réalisé que Rav Kook avait vu juste ; il est devenu alors la référence centrale du sionisme religieux.
Eli Bensussan. Biographe.
bensf@walla.co.il
Ashdodcafe.com
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