Paracha MIKETZ – vendredi 19 décembre 2025, 28 Kislev 5786
Hag Hanoucca Saméa’h : ce soir, après la tombée de la nuit, on allume la 6 ème lumière de la fête mais également celles de Shabbat et de Roch Hodech puisque nous célébrons ce soir, demain et dimanche les deux premiers jours du mois de Tévét 5786. C’est également pour les juifs d’origine tunisienne, la tradition de “Roch Hodech Bnét”, la fête des filles.
HORAIRES DE Shabbat
TEL AVIV et NETANYA – 16h20 – 17h19
JÉRUSALEM – 16h02 – 17h18
HAÏFA – 16h10 – 17h16
EILAT – 16h24 – 17h25
ASHDOD – 16h20 – 17h21
BEER SHEVA – 16h18 – 17h16
PARIS – 16h37 – 17h51
MARSEILLE – 16h46- 17h54
LOS ANGELES – 16h28 – 17h29
MIAMI – 17h16 – 18h12
NEW YORK – 16h13 – 17h17
Mikets : le sens ne tombe pas du ciel, il se construit. Par Rony Akrich
Je tiens à venir et dire, dès le début de mes propos, un immense merci aux intervenants invités de l’Université Populaire Gratuite d’Ashdod cette semaine: Mme Yonit Kariv Cohen et le Rav Yoav Yossef Akrich. Leurs paroles m’ont profondément touché, m’ont ému, et ont allumé en moi l’étincelle dont est née cette écriture, par inspiration et par gratitude.
L’essence de Mikets est d’apprendre à distinguer le temps comme simple chronologie du temps comme maturation. La plupart de nos vies ressemblent à une suite de journées semblables : un matin de plus, un effort de plus, un retard de plus, un silence de plus du côté du monde. Pourtant la Torah ouvre par le mot « Mikets » pour dire que le temps n’est pas seulement ce qui nous traverse ; il est aussi ce qui nous prépare. On entend ici un écho profond de ce qu’Aristote appelait un processus de devenir : non pas un “événement” ponctuel, mais la formation d’un caractère. L’homme n’est pas seulement jugé par ce qui lui arrive, mais par ce qu’il devient à l’intérieur de ce qui lui arrive. La fosse n’est pas seulement un lieu d’impuissance ; elle peut être un atelier de l’âme, où se vérifie la solidité intérieure, la discipline, la capacité de tenir sans public et sans applaudissements. En ce sens, Mikets enseigne que les périodes “bloquées” ne sont pas forcément du gel ; elles peuvent être une maturation cachée.
De là naît une première intuition pratique : faire confiance au temps n’est pas de la passivité. Ce n’est pas un “ça ira” qui recouvre la paresse, la peur ou la procrastination. C’est une confiance de type stoïcien : distinguer ce qui dépend de nous de ce qui n’en dépend pas, et choisir de vivre avec dignité dans l’espace qui nous est confié. Sénèque aurait dit : nous ne gouvernons pas le vent, mais nous gouvernons les voiles ; et Joseph l’illustre. Il n’exige pas que le temps se justifie ; il devient capable de porter le temps, et lorsque le moment arrive, il n’en est pas effrayé. Faire confiance au temps, c’est persévérer dans la qualité de l’acte même quand la récompense n’est pas immédiate, construire un outil intérieur et extérieur pour le jour où la porte s’ouvrira.
Mais Mikets ne prêche pas la “foi seule”. Au contraire : dès que Joseph interprète le rêve de Pharaon, il accomplit un geste rare, philosophiquement et moralement : il ne s’arrête pas au sens, il propose un plan. Ici apparaît une deuxième intuition pratique : une vérité qui ne se convertit pas en action devient parfois un narcissisme intellectuel. Aristote appelait cela la « phronèsis », la prudence ou sagesse pratique : savoir ce qu’il convient de faire ici et maintenant, dans des conditions déterminées. Joseph devient “un homme avisé et sage” non parce qu’il est seulement brillant, mais parce qu’il sait transformer une connaissance en structure : stockage, répartition, gestion du risque, préparation aux années dures. C’est une intelligence sans pose, une intelligence qui sauve des vies.
On devine aussi un modèle qui rappelle Platon : non pas le “philosophe-roi” enfermé dans une tour d’idées, mais le dirigeant capable d’articuler une vision et un ordre politique. Pharaon incarne la puissance sans profondeur ; Joseph apporte une profondeur capable d’opérer à l’intérieur de la puissance sans se muer en brutalité. Et l’épreuve est là : entrer au cœur du système et rester un homme. C’est pourquoi la Torah insiste : « Ce n’est pas moi ; Dieu répondra », l’humilité qui empêche le talent de devenir une idole de soi. En Hebreu, c’est la jonction entre bitahon et hishtadlout : non une foi qui remplace la responsabilité, ni une responsabilité qui efface la foi.
Bahya ibn Paquda, dans les Devoirs des cœurs, formule ce principe : le cœur s’appuie sur Dieu, mais les mains travaillent dans le monde. Maïmonide, par son exigence rationnelle, enseigne aussi qu’invoquer la Providence n’est pas un laissez-passer contre l’intelligence ; c’est au contraire une convocation à l’usage du discernement : planifier, distinguer le possible de l’impossible, vivre selon la vérité plutôt que selon le souhait. Mikets devient ainsi une leçon de “foi adulte” : une foi qui comprend que le Créateur ne se substitue pas à l’homme, mais le met face à sa tâche.
Dans le même mouvement, la paracha place une question morale aiguë : que se passe-t-il quand une bonne gestion se transforme en mécanisme de dépendance ? Joseph sauve l’Égypte de la famine, mais le résultat est aussi une concentration du pouvoir au profit de Pharaon. D’où une troisième intuition pratique : la crise est toujours une fenêtre, pour le salut et pour la domination. L’histoire montre que c’est presque une loi. Mikets ne le dissimule pas. Dès lors, une éthique du leadership s’impose : la réussite n’est pas seulement l’efficacité, ni même les “bonnes intentions”. Elle se mesure à ceci : réduire la souffrance sans étendre l’asservissement ; fortifier la capacité des hommes à tenir debout plutôt que les habituer à vivre courbés. Les Sages avertissaient déjà du danger du pouvoir : “la charge enterre son maître”. L’intelligence sans frontière morale devient cynisme ; la morale sans intelligence devient naïveté. Mikets exige l’union des deux.
Une quatrième intuition pratique touche à la mémoire et à l’oubli. Joseph est oublié, et l’homme moderne y voit un pur scandale. Pourtant certaines injustices sont aussi des seuils. Non que tout retard soit “bon”, certes, mais il arrive que le retard nous sauve d’une libération prématurée, d’une porte ouverte avant que nous soyons capables de supporter la lumière. Ramban, et dans un autre registre le Maharal, suggèrent chacun à leur manière que l’histoire n’est pas seulement un enchaînement de causes ; elle possède un mouvement dont le sens se révèle parfois après coup. Il faut apprendre l’humilité de ne pas savoir immédiatement : je ne comprends pas maintenant, donc je me garde de transformer ma douleur en jugement définitif sur le réel. Ce n’est pas justifier la souffrance ; c’est refuser d’en faire un principe qui détruit l’âme.
Cinquième intuition, très concrète : la parole est un instrument de délivrance. Joseph ne comprend pas seulement ; il parle. Il sait traduire un rêve en concepts, des concepts en politique, une politique en mécanisme. La philosophie classique savait déjà que la langue n’est pas un ornement mais une puissance qui façonne le monde, chez Aristote, la rhétorique est l’art de médiation entre la vérité et la cité. Et dans la tradition juive, “le monde est créé par la parole” : le mot bâtit. Ainsi, nous restons parfois “au fond de la fosse” non parce que nous manquons de vérité, mais parce que nous manquons de traduction. Celui qui ne sait pas vêtir la vérité d’une langue audible demeure en marge même quand la porte est ouverte. D’où un travail pratique : apprendre à dire, à préciser, à formuler ; transformer une intuition en valeur, une valeur en tâche, une vision en plan.
Et peut-être l’essentiel : Mikets enseigne que sortir de la fosse n’a pas pour but de “prouver qu’on avait raison” ou de “vaincre ceux qui nous ont blessés”, mais de convertir l’épreuve en responsabilité. C’est le moment où l’on cesse de demander seulement “pourquoi cela m’arrive” et où l’on commence à demander “à quoi suis-je appelé dans le monde”. On entend ici un voisinage avec Lévinas : l’éthique n’est pas une émotion agréable, mais un appel qui m’assigne. Joseph ne sort pas pour célébrer une liberté privée ; il sort pour nourrir un peuple affamé. Et voilà un principe philosophique et pratique : le sens ne naît pas du succès, mais de l’engagement.
Ainsi, quand la vie semble “bloquée dans une fosse”, il se peut que ce ne soit pas la fin, mais Mikets, un point de maturation. Mais lorsque le “terme” arrive, on n’attend pas un miracle ; on bâtit de l’intelligence, un plan, et une morale. Plus profondément encore : on conquiert une liberté adulte, non la liberté de “faire ce qui me plaît”, mais la liberté de ne pas être l’esclave de la peur, de la paresse, de l’ego ou du hasard. Une liberté qui grandit dans le temps et se vérifie dans l’acte. C’est la sagesse de Mikets : croire au temps sans s’endormir dans la croyance, agir dans le réel sans perdre son âme.
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