Le 12 novembre 2023, alors que plusieurs centaines de milliers de Français défilent dans les rues contre la haine antisémite, Emmanuel Macron choisit de ne pas participer à la manifestation. Ce refus, lourd de sens, intervient non pas dans un contexte d’indifférence, mais à la suite de recommandations de Yassine Belattar, humoriste médiatique condamné à une peine de prison avec sursis pour menaces de mort¹ — mais néanmoins reçu à l’Élysée.

Belattar met en garde : la présence du président pourrait troubler les banlieues. Ainsi, au lieu d’assumer une parole claire et fédératrice dans un moment de tension collective, le chef de l’État préfère s’absenter, au nom d’un équilibre social devenu tabou. Cet épisode, symptomatique d’une réticence croissante à nommer l’antisémitisme lorsqu’il vient de certains segments de la société française, est la logique politique qui conduira quelques mois plus tard à la reconnaissance unilatérale de la Palestine : le souci de ménager les faiseurs de trouble, fût-ce au détriment de la cohérence républicaine et de la vérité historique.

La décision d’Emmanuel Macron de reconnaître un État de Palestine s’inscrit dans une gestuelle politique qui se veut audacieuse, mais qui repose sur des fondements douteux tant sur le plan juridique que diplomatique. Cet acte ne constitue ni une avancée vers la paix, ni un rééquilibrage utile de la politique étrangère française ; il prolonge une tradition confuse d’ambiguïté morale et de stratégie symbolique, plus préoccupée de posture que de conséquence. En reconnaissant un État qui n’existe pas en droit, qui ne maîtrise pas son territoire, qui n’a ni unité politique ni frontières stables, la France prétend agir en puissance diplomatique alors qu’elle cède à une pression idéologique persistante, héritée du tiers-mondisme et du mythe postcolonial².

Aucun des critères classiques permettant de définir un État n’est rempli par la Palestine dans sa configuration actuelle. Ni le Hamas ni le Fatah ne représentent un gouvernement légitime à l’échelle de l’ensemble du territoire qu’ils revendiquent. La guerre civile larvée entre Gaza et la Cisjordanie, la corruption endémique de l’Autorité palestinienne, le rejet explicite d’Israël dans les chartes du Hamas³, tout cela aurait dû conduire à une extrême prudence. En agissant unilatéralement, la France court-circuite toute logique de négociation, encourage les plus radicaux, affaiblit les modérés, et conforte l’illusion que la création d’un État peut résulter d’une reconnaissance symbolique, sans accord de paix préalable.

Cette décision s’explique moins par une lecture réaliste du terrain que par un logiciel idéologique propre à la diplomatie française : une vision moraliste du conflit, où la Palestine incarne la figure de l’opprimé, du dominé, du souffrant, face à un Israël perçu comme puissance coloniale, arrogante, voire illégitime. Ce renversement est d’autant plus saisissant que l’histoire du conflit israélo-arabe ne permet nullement une lecture binaire. Le peuple juif est en Israël chez lui. Il s’agit d’un retour historique adossé à une légitimité politique et tragiquement consolidée par la Shoah. Pourtant, c’est au nom d’une mémoire postcoloniale mal digérée que l’on promeut aujourd’hui une reconnaissance qui ne repose sur aucun processus de paix, mais qui offre au contraire une prime à l’intransigeance.

Ce n’est pas la première fois que la France cède à ce penchant. Depuis De Gaulle, une ligne diplomatique s’est peu à peu dessinée, alliant suspicion à l’égard d’Israël et fascination pour la cause palestinienne. Le discours du Général en 1967, dénonçant le peuple juif comme « sûr de lui et dominateur »⁴, a ouvert une ère où la critique de l’État d’Israël devient un moyen commode de réaffirmer une autorité morale dans un monde où la puissance française décline. Mitterrand, en recevant Arafat à l’Élysée⁵, avait déjà donné à la France le rôle de puissance médiatrice entre les deux camps, mais cette médiation n’a jamais été équitable : d’un côté, un État démocratique, allié historique de l’Occident ; de l’autre, un mouvement entaché de terrorisme et incapable de proposer une alternative politique.

Cette attitude ambiguë s’est prolongée sous les présidences suivantes. La critique systématique de la politique israélienne, l’abstention française lors des votes sensibles à l’ONU, le soutien à des ONG qui remettent en cause l’existence même de l’État juif⁶, tout cela contribue à une dégradation du discours diplomatique français, qui n’est plus dicté par la recherche de la paix, mais par une exigence d’équilibre moral artificiel. L’antisionisme voilé, parfois dissimulé sous des formulations diplomatiques convenues, s’infiltre jusque dans les plus hautes sphères de l’État.

Comme le disait Vladimir Jankélévitch dans les années 1970, « l’antisionisme, c’est l’occasion d’être démocratiquement antisémite. On ne dit plus sale juif, on dit sale sioniste, c’est plus propre »⁷. Cette remarque résonne aujourd’hui avec une acuité troublante. Le vocabulaire a changé, mais la cible demeure. Ce que le philosophe dénonçait, c’est moins une opinion politique que le travestissement d’une haine ancienne sous des dehors acceptables. L’antisionisme, lorsqu’il nie à Israël le droit d’exister comme État juif, ne critique pas une politique : il récuse une légitimité.

Le moment choisi pour cette reconnaissance aggrave encore la situation. Un an et demi après le massacre du 7 octobre, où des civils israéliens furent assassinés, violés, enlevés, par des commandos du Hamas⁸, affirmer la reconnaissance de la Palestine revient à désigner implicitement Israël comme obstacle à la paix. Cette symétrie est une injure à la mémoire des victimes, et une faute politique. Elle accrédite l’idée selon laquelle la violence palestinienne, même dans ses formes les plus barbares, trouve sa justification dans le refus d’Israël de faire « un geste ». En réalité, les gestes n’ont jamais manqué : les retraits, les négociations, les offres territoriales – toutes ont été refusées ou sabotées par un leadership palestinien qui, depuis un siècle, préfère le martyre à la coexistence.

Dans cette même logique biaisée, on se souviendra de la réaction troublante d’Emmanuel Macron à l’agression du Hezbollah libanais, qui bombarda le nord d’Israël dans les jours suivant le 7 octobre. Plutôt que de condamner cette attaque, le président français appela Israël à la retenue⁹, comme si l’agressé devenait suspect dès lors qu’il répond à la violence. Cette équivalence implicite entre légitime défense et provocation constitue l’un des symptômes les plus inquiétants de la dérive morale de la diplomatie française. Elle révèle une confusion persistante entre équilibre géopolitique et relativisme éthique.

En reconnaissant l’État palestinien sans condition, Emmanuel Macron prend le risque de renforcer le Hamas, de marginaliser les accords d’Abraham, et d’isoler davantage la France sur la scène diplomatique moyen-orientale. Tandis que des États arabes pragmatiques – comme les Émirats, Bahreïn ou le Maroc – choisissent la normalisation avec Israël, la France s’arc-boute sur une position figée, hors-sol, héritée des luttes anti-impérialistes des années 1970. Ce décalage affaiblit la voix française dans la région, où les acteurs attendent désormais des postures responsables, orientées vers la stabilité, non des incantations humanistes sans prise sur le réel.

L’illusion d’un État palestinien reconnu dans ces conditions n’apportera ni justice, ni paix, ni avenir. Elle consacrera une vision déformée du conflit, où le droit international est manipulé au service d’une émotion politique, et où la diplomatie devient une scène de théâtre pour satisfaire une opinion publique mal informée, plutôt qu’un outil au service de la sécurité collective.

L’Histoire jugera sévèrement ce geste si, comme tout l’indique, il produit davantage d’illusions que de solutions. La reconnaissance d’un État ne saurait être une incantation. Elle doit être l’aboutissement d’un processus de paix, non son préalable. À défaut, elle devient une mascarade diplomatique.

Notes

  1. Yassine Belattar a été condamné en avril 2023 à six mois de prison avec sursis pour menaces de mort à l’encontre d’un chroniqueur politique ; voir Le Figaro, 5 avril 2023.
  2. Sur la survivance idéologique du tiers-mondisme dans la diplomatie française, voir Pascal Bruckner, La Tyrannie de la pénitence, Grasset, 2006.
  3. La charte du Hamas de 1988 affirme notamment : « Israël existera et continuera à exister jusqu’à ce que l’islam l’efface, comme il a effacé ce qui existait avant lui. »
  4. Conférence de presse du général De Gaulle, 27 novembre 1967.
  5. Yasser Arafat fut reçu officiellement à l’Élysée en mai 1989.
  6. Voir les rapports de NGO Monitor sur les financements français d’ONG comme Al-Haq ou B’Tselem.
  7. Vladimir Jankélévitch, entretien avec Gilles Anquetil, Le Nouvel Observateur, 28 avril 1979.
  8. Voir les rapports du gouvernement israélien et les témoignages recueillis par Human Rights Watch et l’ONU après les attaques du 7 octobre 2023.
  9. Emmanuel Macron, conférence de presse à Amman, 24 octobre 2023 : « Israël a le droit de se défendre, mais il doit le faire dans le respect du droit international et avec retenue. »

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