Le système électoral israélien fonctionne comme une mécanique sophistiquée où l’apparence démocratique masque une réalité brutale : le peuple n’est pas souverain, il est simplement consulté à intervalles réguliers pour légitimer la survie des partis. On appelle cela des élections, mais ce ne sont que des cérémonies de validation d’un ordre politique confisqué.
Le citoyen ne désigne personne directement ; il ne choisit pas un visage, une voix, une conscience à qui il pourrait s’adresser. Il ne fait qu’appuyer sur un logo, tel un consommateur devant un rayon de marques. Les candidats ne lui doivent rien, puisqu’ils n’ont pas été élus par lui, mais placés par une structure partisane dont les mécanismes internes échappent totalement au contrôle public. Ce n’est pas un représentant qui sort de l’urne, c’est une entité abstraite, statistique, un siège distribué à une liste. Cette distance structurelle produit un phénomène pervers : plus le citoyen vote, plus il croit participer, et plus sa participation réelle est diluée.
Un peuple peut s’illusionner longtemps sur sa liberté dès lors qu’on lui laisse un geste symbolique à accomplir. Mais la souveraineté véritable ne consiste pas à déposer un bulletin, elle consiste à maintenir une pression permanente sur le pouvoir, à pouvoir identifier qui parle en son nom, à le révoquer, à lui demander des comptes, à interrompre une dérive quand elle se présente.
Or rien de tout cela n’est possible dans le système actuel. Les partis, eux, n’ont aucune obligation de fidélité au peuple, mais seulement à leurs équilibres internes. Ils ne représentent pas la nation, mais des clientèles, des identités sectorielles, des réseaux de pouvoir. Ils ne cherchent pas à construire une unité politique vivante, mais à garantir leur poids dans la coalition suivante, à maintenir une capacité de nuisance suffisante pour négocier. Ainsi, la vie politique ne se déploie pas dans l’espace public, mais dans les coulisses des accords d’appareil. Le centre réel du pouvoir ne se trouve pas dans la relation entre citoyens et élus, mais dans la tension constante entre petites formations capables de faire basculer un gouvernement et majorités fragiles obsédées par leur survie. Il y a, dans cette situation, une forme de trahison douce, silencieuse, presque administrative, mais redoutablement efficace : la souveraineté a été dissoute sans bruit.
On prétend que ce système garantit la pluralité des voix, mais c’est une illusion. Il garantit surtout la survie des partis comme entités autonomes, presque étrangères au peuple qu’elles prétendent représenter. Le pluralisme est une richesse lorsqu’il est porté par des individus responsables, identifiables, enracinés. Mais lorsqu’il est produit par des structures artificielles, sans ancrage réel, il devient une dispersion de la volonté nationale, une fragmentation de la parole publique. Au lieu de voix multiples dialoguant dans un espace commun, on obtient une cacophonie d’intérêts incapables de produire une direction. La coalition devient la forme unique de sens politique, et la coalition n’est pas un projet, c’est une transaction. Rien ne se décide selon une vision, tout se règle selon un rapport de force arithmétique. Le langage lui-même s’en trouve affecté : on ne parle plus de responsabilité, mais de portefeuilles, de compromis, de lignes rouges internes, de menaces de retrait. Le peuple, lui, assiste à cette chorégraphie sans prise. On l’informe après coup. Son rôle se réduit à commenter, à protester, parfois à descendre dans la rue pour tenter de compenser l’absence d’expression politique directe. C’est la preuve ultime que quelque chose a été débranché entre le pays réel et ses institutions.
Il est temps de dire les choses simplement : un peuple qui ne peut pas révoquer un élu n’est pas souverain. Un peuple qui ne peut pas désigner un représentant identifiable, relié à lui par un mandat clair, n’est pas souverain. Un peuple qui ne peut pas prendre la parole par-dessus les partis quand l’essentiel est en jeu n’est pas souverain. Sans référendum d’initiative populaire et révocatoire, il n’existe aucune garantie institutionnelle que le pouvoir ne se refermera pas sur lui-même. Le référendum n’est pas un gadget, ce n’est pas un bonus démocratique, c’est l’expression même du droit du peuple à intervenir directement dans le destin collectif. Le vote sans possibilité de correction est une délégation sans retour, une abdication organisée. Quand les partis s’écartent de la volonté du pays, le peuple doit pouvoir dire « non » sans attendre une nouvelle échéance électorale piégée par les mêmes règles. Quand une loi touche à l’identité nationale, à la sécurité, à la souveraineté, ce n’est pas à une poignée de chefs de parti de décider dans l’ombre des négociations. C’est au peuple de trancher. La souveraineté n’est pas un stock de sièges, c’est une énergie vivante, immédiate, qui doit pouvoir se manifester sans filtre.
Exiger la refonte du système, ce n’est pas rêver d’un modèle parfait, c’est réclamer le minimum vital d’une démocratie réelle : des élus qui doivent leur mandat à des électeurs identifiés, que l’on peut interpeller, juger, révoquer. Des circonscriptions où un visage, un nom, une présence se substituent à une liste impersonnelle. Un référendum inscrit dans la Constitution, non comme un outil consultatif accordé depuis le haut, mais comme un droit fondamental du peuple, activable depuis le bas. Un peuple ne se contente pas de donner la parole, il doit pouvoir la reprendre. La démocratie israélienne n’est pas morte, mais elle est détournée, saturée de procédures qui neutralisent la puissance populaire au lieu de la canaliser. Il ne s’agit pas de détruire les partis, mais de les remettre à leur place : des instruments, non des propriétaires de la représentation. Les partis devraient être des chemins vers le peuple, ils sont devenus des barrières. Il faut les contourner là où ils empêchent l’expression, les obliger à se soumettre à la sanction directe de ceux au nom de qui ils prétendent gouverner.
On ne fonde pas un pays pour laisser des appareils administrer à sa place. Israël n’est pas né d’un calcul de sièges, il est né d’un élan de souveraineté concrète. Cet élan doit être rebranché sur les institutions. Tant que le citoyen ne pourra pas dire : « Cet homme me représente, je peux lui parler, je peux l’exiger, je peux le destituer », la démocratie restera un langage sans chair. Tant qu’un peuple ne pourra pas dire « nous avons décidé », et non « ils ont négocié », la souveraineté restera une fiction. Rien ne changera tant que l’on continuera à confondre le vote avec le pouvoir. Le vote n’est qu’un instrument. Le pouvoir, le véritable, commence quand celui qui vote peut corriger, interrompre, renverser, imposer. La liberté politique ne se reçoit pas. Elle s’exerce. C’est maintenant qu’il faut la reprendre.
Rony Akrich
Ashdodcafe.com
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