PARACHA LEKH LEKHA 5786 – vendredi 31 octobre 2025, 9 Hechvan 5786
HORAIRES DE Shabbat
TEL AVIV et NETANYA – 16h33 – 17h29
JÉRUSALEM – 16h15 – 17h27
HAÏFA – 16h24 – 17h27
EILAT – 16h34 – 17h31
ASHDOD – 16h32 – 17h30
BEER SHEVA – 16h31 – 17h29
PARIS – 17h13 – 18h19
MARSEILLE – 17h13- 18h14
LOS ANGELES – 17h42 – 18h38
MIAMI – 18h21 – 19h15
NEW YORK – 17h35 – 18h34
Nous lisons demain à la synagogue, une magnifique paracha, préférée des nouveaux immigrants, LEKH LEKHA, la troisième du Premier Livre de la Torah
La paracha Lekh Lekha nous enseigne :
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Le courage de partir pour se trouver soi-même. 
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La foi qui avance même sans certitude. 
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La responsabilité d’être une bénédiction pour le monde. 
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La résilience face à l’épreuve. 
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Et la fidélité à une alliance qui relie le divin à l’humain. 
LEKH LEKHA – La naissance du marcheur. Rony Akrich
« Et l’Éternel dit à Abram: Va vers toi, quitte ton pays, ta patrie et la maison de ton père, vers le pays que je te montrerai. »
(Genèse 12,1)
Ce verset n’est pas seulement l’ouverture d’une aventure spirituelle : il marque l’aube de la conscience humaine elle-même. Si le livre de la Genèse raconte la création du monde, la paracha Lekh Lekha raconte la création de l’homme libre. L’ordre « Va vers toi » n’est pas une simple migration géographique: c’est une rupture métaphysique, un arrachement à la certitude, un exode hors de toutes les appartenances qui enferment l’être.
Quitter sa terre, sa patrie et la maison de son père, c’est se défaire de trois cercles d’identité, le collectif, le culturel et le familial, pour affronter le vertige d’une existence sans repères. L’homme est appelé à sortir de tout ce qui le définit pour devenir ce qu’il est. C’est pourquoi le commandement s’adresse à Abram, non à une communauté: Lekh Lekha, va vers toi. La marche physique devient ici la métaphore d’une transformation intérieure.
La foi, dans la Bible, ne se pense jamais en termes d’immobilité. Elle est mouvement, passage, risque. Elle ne consiste pas à posséder Dieu, mais à marcher avec lui. Buber l’avait saisi, entre l’homme et Dieu, il n’y a pas de concept ; il n’y a qu’une relation. En répondant à la voix, Abraham ne s’incline pas devant une idée ; il entre dans un dialogue. La parole divine n’ordonne pas; elle convoque. Elle ne s’impose pas comme loi ; elle invite comme appel. L’homme, en écoutant, devient partenaire de la parole créatrice.
Levinas poursuivra cette intuition en la plaçant sur le terrain de l’éthique: avant d’être un savoir, la rencontre avec Dieu est une responsabilité. L’appel « Va vers toi » signifie: sors de toi, quitte le règne du Même pour répondre à l’Autre. L’humanité commence lorsque l’homme entend une voix qui le tire de son centre, qui l’arrache à la clôture du moi. Dans cette perspective, la foi n’est pas une croyance, mais un rapport à l’altérité. Elle n’est pas soumission, mais ouverture.
Mais il est un penseur pour qui ce geste d’Abraham prend une dimension vertigineuse: Søren Kierkegaard dans Crainte et Tremblement, il voit en Abraham non le père du monothéisme, mais le chevalier de la foi. Il est celui qui accepte de se tenir seul devant Dieu, dans l’isolement absolu du rapport singulier à l’Absolu. Pour Kierkegaard, Abraham accomplit la suspension téléologique de l’éthique: il quitte le domaine du général, du moral, pour répondre à une exigence qui n’appartient qu’à lui. L’homme de foi n’est plus un citoyen du monde éthique; il devient un exilé dans le royaume du paradoxe.
Déjà dans Lekh Lekha, cette logique est présente. Dieu ne donne ni raison ni but, mais une promesse : « vers la terre que je te montrerai ». La foi naît là où la raison s’interrompt. Marcher sans savoir, avancer sans voir, c’est consentir à ce que Kierkegaard nomme le saut : un acte qui défie la médiation rationnelle. Le croyant ne prouve rien; il se jette. Mais ce saut n’est pas absurde. Il est l’affirmation de la liberté humaine: la liberté de répondre à l’appel, même quand nul autre ne l’entend.
Camus, dans un tout autre registre, parlera du même élan. Pour lui, l’homme absurde continue de vivre sans garantie de sens; il se révolte contre le silence du monde. Mais Abraham, lui, ne se révolte pas: il fait confiance. Sa foi est lucide; elle ne nie pas l’absurde, elle l’habite. Là où Sisyphe pousse sa pierre dans la solitude du non-sens, Abraham marche dans le désert du sens promis. Tous deux refusent la résignation, mais l’un marche dans l’ombre du désespoir, l’autre dans la lumière de l’espérance.
Ce mouvement d’Abraham inaugure une anthropologie nouvelle: l’homme n’est plus défini par son origine, mais par sa direction. Être « hébreu » signifie passer, traverser, franchir. L’identité n’est plus une essence mais un devenir. La vérité n’est pas dans la possession mais dans la marche. Le nom d’Abraham ne désigne pas un lieu fixe mais un chemin vers un sens à construire. Ainsi, la promesse divine ne se donne pas comme une vision immédiate, mais comme un horizon: « Je te montrerai.»
Dans le désert de l’incertitude, la parole divine devient souffle intérieur. Aucune certitude dogmatique, aucune institution ne vient garantir la foi; elle est, pour reprendre les mots de Kierkegaard, « une passion infinie pour le possible ». L’homme croyant ne sait pas; il espère. Il ne s’appuie pas sur la preuve, mais sur la fidélité. Cette tension entre le visible et l’invisible, entre le savoir et la confiance, fonde ce qu’on peut appeler une phénoménologie de la marche.
Levinas et Kierkegaard se rejoignent ici : tous deux voient en Abraham l’homme de la réponse. Chez Levinas, il est celui qui dit me voici devant l’autre. Chez Kierkegaard, celui qui dit me voici devant Dieu. Chez l’un comme chez l’autre, l’existence s’accomplit dans l’obéissance à un appel qui n’est pas extérieur mais intérieur. Ce n’est pas la loi qui précède la foi, mais la voix.
Toute la vie d’Abraham ne sera que l’interprétation de cette parole première. Chaque étape, la famine, la séparation d’avec Lot, la guerre, la promesse, le sacrifice, prolonge l’unique geste du départ. Et chaque homme, à sa manière, entend encore cette voix. Car Lekh Lekha n’est pas seulement un épisode fondateur du monothéisme: c’est la condition humaine elle-même. Vivre, c’est partir.
Dans un monde saturé de certitudes, de confort et de conformisme, cette injonction résonne comme une provocation: quitte ce que tu connais, ose le non-savoir, franchis le seuil du possible. Ne reste pas prisonnier des systèmes ni des dogmes. L’existence n’est pas à posséder, elle est à traverser.
Abraham devient alors non seulement le père d’un peuple, mais le prototype de l’homme libre. Il marche non pour obéir, mais pour exister. En ce sens, Lekh Lekha est l’acte de naissance du sujet spirituel: celui qui assume le risque de la réponse.
La foi d’Abraham n’est pas la négation de la raison, mais son dépassement : elle est la raison devenue espérance. Comme le dira Levinas, « la foi d’Abraham est la vigilance de l’esprit qui se sait toujours appelé ». Et selon Buber, cette foi se définit par le Tu: Dieu n’est pas une idée mais une rencontre.
Dans cette lumière, Lekh Lekha unit les deux gestes essentiels de l’humanité: celui de Camus, qui persiste malgré l’absurde, et celui de Kierkegaard, qui saute dans l’invisible. Elle est la conjonction de la lucidité et de la confiance, de la pensée et du pas.
Ainsi, la marche d’Abraham demeure la plus haute métaphore de la condition humaine : nous ne possédons pas la vérité, nous marchons vers elle. La terre promise n’est pas un lieu, mais un devenir. Ce n’est pas la destination qui sanctifie le chemin, mais le chemin qui sanctifie la vie.
Et peut-être est-ce là le sens ultime de la parole divine: Va-t’en pour toi. Non pour me servir, non pour posséder, mais pour devenir. Pour découvrir que le sens n’est jamais donné d’avance, mais qu’il s’invente dans le pas, dans l’écoute, dans la fidélité à une voix plus haute que soi.
Lekh Lekha: la marche comme naissance, la foi comme liberté, l’homme comme réponse.
Celui qui ose partir, même sans savoir vers où, participe à la création., et c’est peut-être cela, être à l’image de Dieu: être capable, à son tour, de dire « que la lumière soit », et de marcher.
Bibliographie indicative
* La Bible hébraïque, Genèse, chapitres 12–22.
* Kierkegaard, Søren, Crainte et Tremblement, trad. Knud Ferlov et Jean-Jacques Gateau, Paris, Gallimard, 1941.
* Levinas, Emmanuel, Du sacré au saint. Cinq nouvelles lectures talmudiques, Paris, Minuit, 1977.
* Buber, Martin, Je et Tu, trad. Geneviève Bianquis, Paris, Aubier-Montaigne, 1969.
* Camus, Albert, Le Mythe de Sisyphe, Paris, Gallimard, 1942.
* Heschel, Abraham J., Dieu en quête de l’homme, trad. André Neher, Paris, DDB, 1968. (complément utile pour la perspective prophétique)
* Ricoeur, Paul, Le conflit des interprétations, Paris, Seuil, 1969. (pour une lecture herméneutique contemporaine de la foi et du sens)
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