En Israël, on trouve actuellement un lieu unique où les juifs ultraorthodoxes, caftans noirs, chapeau noir et longues papillotes, côtoient de bon coeur des laïcs en short et en débardeur.

Leurs regards ne s’évitent pas, ils convergent en direction des films, photos, costumes et documents réunis par le Musée d’Israël à Jérusalem, pour une exposition consacrée aux hassidim. Ce courant du judaïsme haredi – ultraorthodoxe – est certainement le plus mystérieux. Mouvement de renouveau religieux fondé au XVIIIe siècle en Europe de l’Est, le hassidisme conjugue deux objectifs majeurs : le refus du changement, de la modernité et la communion joyeuse avec Dieu, pratiquée sans réserve par le chant et la danse.

Les passants de Jérusalem croisent chaque semaine durant le shabbat les pères de famille hassidim coiffés d’un schtreimel, ce large chapeau en fourrure de forme cylindrique. Mais leur style vestimentaire hérité de leurs ancêtres, l’usage du yiddish et leur mode de vie centré sur l’étude et la famille font de leur communauté un monde à part.

« Il s’agit de la première exposition au monde sur les hassidim, personne n’avait jamais osé, note Ester Muchawsky-Schnapper, la commissaire de l’exposition. J’avais peur de heurter leurs sentiments, qu’ils n’acceptent pas ce travail objectif d’ethnographe, et qu’un rabbin dise « c’est inacceptable, il ne faut pas aller voir cette exposition ». »

Tout au contraire, les hassidim s’y pressent. Il y a encore quelques semaines, ils ne savaient pas où se trouvait le Musée d’Israël, mais l’exposition affiche d’excellents taux de fréquentation, avec une moyenne de 1 500 visiteurs par jour, dont, régulièrement, 20 % d’ultraorthodoxes.

La curiosité des uns n’est pas celle des autres. Les laïcs courtement vêtus passent rapidement la première salle de l’exposition, où s’attardent à l’inverse les hassidim, bouleversés par les premières éditions de recueils enfermés dans les vitrines : des livres qui gardent les empreintes des premiers rabbins qui ont fait l’expansion du hassidisme. La pièce maîtresse pour les visiteurs hassidim est une étroite couronne en or, sertie de pierres précieuses, ciselée par un joaillier de Vienne au XIXe siècle, et dont l’illustre Rebbe de Shtefanesht ornait ses rouleaux de la Torah.

« A peine cette pièce était-elle arrivée de Londres, du Musée Victoria & Albert, que trois « cours » ont appelé pour demander à toucher la couronne », s’amuse Ester Muchawsky-Schnapper. Le monde hassidique est en effet organisé en « cours », constituées autour d’un rebbe , le terme yiddish pour nommer celui qui a toute autorité sur sa communauté. « Il est bien plus qu’un rabbin, il est le père de toute la cour. Par exemple, si un hassid a un problème de santé, il va d’abord consulter son rebbe, explique la conservatrice du Musée. Comme on le voit dans les films de l’exposition, les fidèles donnent au rebbe un papier avec leurs souhaits existentiels, car ses prières sont plus proches de Dieu. Certains rebbe ont fait des miracles, et dans ce cas on conserve leurs habits comme les reliques d’un saint. Elles sont si précieuses qu’aucune famille n’a accepté de les prêter au Musée le temps de l’exposition. »

Les laïcs, « ceux de Tel-Aviv », comme les appellent sévèrement certains religieux, observent longuement les costumes, les caftans, les manteaux en soie et velours, la forme des chapeaux. De loin, ils semblent tous identiques, pourtant ils disent tout de l’identité du hassid qui le porte. Deux films retiennent particulièrement l’attention des visiteurs novices. Celui d’un mariage hassidique où l’on voit la timide mariée, le visage couvert d’un voile blanc, danser avec le rebbe, reliés l’un à l’autre par une longue ceinture de soie blanche. Et celui d’une fête de Pourim, au cours de laquelle les hommes de la communauté ont le devoir de boire à en perdre tout discernement

« Ce monde est tellement fermé, c’est inédit de le découvrir », s’exclame Sarah, qui habite Jérusalem et se dit religieuse. Beaucoup de collègues arabes de la conservatrice du Musée se sont précipités à l’exposition, curieux de voir comment vivent ces hommes aux costumes d’antan et au regard fuyant, et que l’on découvre dans leur intimité joyeux et chaleureux. Kadia, âgée d’une cinquantaine d’années, retrouve sur les photos certaines coutumes pratiquées par ses grands-parents religieux. « C’est merveilleux de permettre l’accès aux bons côtés de cette communauté, et d’utiliser l’art pour dresser un pont entre religieux et non-religieux », affirme-t-elle.

L’exposition constitue un petit miracle en Israël. Des hassidim heureux de se dévoiler et d’être célébrés au musée. Des laïcs passionnés par ces étranges voisins. Mais hors du musée, la magie est vite rompue. La tension est forte depuis que l’Etat cherche le moyen de partager le fardeau du service militaire avec les orthodoxes, jusqu’à présent exemptés. Plus anecdotique, cette querelle qui agite actuellement deux villes voisines au nord-ouest de Jérusalem, Modi’in et Modi’in Ilit. La première rassemble des habitants laïcs et religieux. La seconde est une colonie ultraorthodoxe de Cisjordanie. Le maire de Modi’in Ilit s’est engagé à interdire son futur site archéologique aux visiteurs non-haredim. Par mesure de rétorsion, le maire de Modi’in menace d’interdire son parc aux ultraorthodoxes. Ce pourrait être une fable, mais c’est un cas d’école.

vchocron@gmail.com

« A World Apart Next Door – Glimpses into the Life of Hasidic Jews ».

Jusqu’au 1er décembre, Musée d’Israël, Jérusalem

Véronique Falez – Le Monde et www.jforum.fr

LAISSER UN COMMENTAIRE

Poster votre commentaire!
Entrer votre nom ici

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.