L’avocat pénaliste, défenseur des plus grands criminels et dictateurs, est décédé jeudi soir à l’âge de 88 ans.

L’avocat français Jacques Vergès, au Palais de Justice de Bastia, le 20 novembre 2002.

OLIVIER LABAN-MATTEI / AFP L’avocat français Jacques Vergès, au Palais de Justice de Bastia, le 20 novembre 2002.

De Klaus Barbie à Slobodan Milosevic en passant par Carlos, il emporte avec lui une page de l’histoire de la justice et autant de mystères.

Les éloges sont à son image : lyriques et ambigus. Jacques Vergès, l’un des plus célèbres avocats français, est mort jeudi soir d’un arrêt cardiaque. Il avait 88 ans.« La seule chose sur laquelle tout le monde peut être d’accord, c’est que Vergès était un personnage exceptionnel, fascinant et qui emporte avec lui une grande part de son mystère », résume son confrère, Maître Jacques Kiejman.

UN RÉSISTANT

Né en 1925 dans l’actuelle Thaïlande (ex-Indochine) d’une mère vietnamienne et d’un père consul de France, Jacques Vergès grandit à la Réunion. « Pour le comprendre, il ne faut jamais oublier ses origines, indique Maître Christian Charrière-Bournazel, ancien président du Conseil national du Barreau.Tout au long de sa carrière, il a embrassé la cause des peuples colonisés, opprimés, exploités, et de tous ceux qui réclamaient la reconnaissance de leur dignité ».

Engagé à 17 ans dans les Forces français libres en Angleterre, il adhère au Parti communiste qu’il quitte en 1957, durant la guerre d’Algérie. « C’est la période la plus glorieuse de sa carrière », estime Maître Kiejman. La défense de la militante du FLN et poseuse de bombes Djamila Bouhired, condamnée à mort et dont il obtient la grâce en 1962, est l’un de ses premiers coups d’éclat. Elle deviendra sa femme.

LE DÉFENSEUR DE KLAUS BARBIE

Très médiatique, la carrière de Jacques Vergès explose lorsqu’il défend l’activiste libanais Georges Ibrahim Abdallah, en 1986, puis, l’année suivante, le criminel de guerre nazie Klaus Barbie. « Il était lyrique devant les caméras et provocateur devant les juridictions, se souvient Maître Kiejman, face à lui lors de premier procès. Il était arrogant mais aussi très loin au-dessus de tout le monde. C’était un homme de conviction, avec beaucoup d’éclat. Je crois que les faits l’intéressaient finalement moins que les idées ».

DES CHOIX CONTROVERSÉS

Par la suite, Jacques Vergès enchaîne les procès les plus spectaculaires et les plus controversés : il prend la défense du terroriste Carlos, des principaux dirigeants khmer rouge et de l’ancien président serbe inculpé de génocide, Slobodan Milosevic. Il propose ses services à Saddam Hussein et, en 2010, au chef d’État ivoirien acculé Laurent Gbagbo. « Il a eu des combats peu glorieux et on ne saura jamais quelle était la part de sincérité », lâche Maître Kiejman. De son côté, Maître Charrière-Bournazel évoque les « combats de trop » : « Sur la fin de sa carrière, il s’était égaré. Je crois que c’est difficile, pour un homme comme lui, de considérer que ses plus grands combats sont derrière lui ».

UNE INDÉPENDANCE REVENDIQUÉE

Interrogé à de multiples reprises sur ses choix « controversés », Maître Vergès avait déclaré en 2007, dans le documentaire de Barbet Schroeder intitulé « L’avocat de la terreur » : « Je suis prêt à défendre tout le monde (…) à condition qu’ils plaident coupables ». Pour Maître Charrière-Bournazel, c’est un point « extrêmement important » : « Il exigeait de ses clients la revendication pleine et entière de leurs actes, pour en expliquer l’enchaînement comme dans une tragédie grecque et pour décrypter les passions qui sont les nôtres. Il y a d’autres grands avocats, mais lui avait une liberté de propos et une indépendance qui le caractérisaient. Il ne faisait pas de compromis, il ne passait pas entre les gouttes. Il faisait face, avec courage ».

DE MULTIPLES ZONES D’OMBRE

Reste que Jacques Vergès emporte avec lui ses zones d’ombre, à l’image de ces huit années, dans les années 1970, durant lesquelles il avait disparu sans que personne ne sache, encore aujourd’hui, où il était. Les hypothèses les plus romanesques ont été envisagées, ses collègues évoquant « ses liens troubles avec le pouvoir » et la possibilité qu’il fut un espion, « un agent double ou triple » en Chine, à Moscou ou poursuivi par le Mossad israélien. Lui-même n’avait pas souhaité lever le voile sur cette période. Dans une interview, il avait seulement mentionné de « grandes aventures soldées en désastre. Nombre de mes amis sont morts et pour les survivants, un pacte de silence me lie à eux ». Le voilà définitivement scellé.

FLORE THOMASSET
la-croix.com

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