Les Juifs allemands plébiscitent la politique étrangère de Hitler. Novembre 1933.
 Un piège destiné à montrer au monde que Hitler fait l’unanimité dans son pays.
Par André Chargueraud

Le 30 janvier 1933, le président Hindenburg nomme Hitler chancelier du Reich et lui demande de former un gouvernement. Le 23 mars 1933 Hitler obtient du Reichstag les pleins pouvoirs. La démocratie parlementaire est enterrée, la dictature est en place. Le Führer veut franchir une étape supplémentaire. Il désire obtenir l’adhésion de tout le peuple allemand à son régime et montrer au monde qu’il fait l’unanimité dans son pays.

Dans ce but, le 12 novembre 1933, Hitler saisit un prétexte. Il demande aux Allemands par référendum d’approuver le retrait de l’Allemagne de la Société des Nations. Depuis des mois, il exige une égalité de traitement pour son pays dans le domaine du désarmement. L’Allemagne est prête à renoncer aux armes d’agression si les autres pays en font autant, déclare-t-il. Il menace : « En tant que peuple continuellement diffamé, il nous sera difficile de rester au sein de la Société des Nations ». [1] Il n’obtient pas satisfaction et annonce le 14 octobre qu’en conséquence l’Allemagne se retire immédiatement de la Conférence du Désarmement et de la Société des Nations (SDN).

95% des votants approuvent la politique du Chancelier. Celui-ci a habilement utilisé un acte politique majeur qui flatte l’honneur des citoyens et met fin à des années d’amertume et de ressentiment à la suite d’une guerre perdue. Pour tous, en Allemagne comme à l’étranger, l’approbation enthousiaste du référendum sur la politique étrangère du gouvernement est considérée comme un triomphe personnel, un succès éclatant du dictateur.

Cette quasi unanimité dans l’approbation au référendum n’aurait jamais pu être obtenue si les dirigeants des différentes confessions religieuses n’avaient pas apporté leur soutien actif.  Et pourtant toutes viennent d’être, à des degrés divers, victimes de graves mesures répressives de l’arbitraire nazi.

Depuis le printemps 1933 une oppression brutale s’abat sur l’Eglise catholique. Le 24 juin les syndicats chrétiens sont occupés par les nazis, ils sont interdits et leurs biens sont confisqués. Le 14 juillet Hitler décide de n’autoriser qu’un seul parti, le parti nazi. Les deux partis catholiques, le parti du Centre et celui du Peuple bavarois, disparaissent. Pour forcer leur fermeture, des fonctionnaires sont mis à pied, des perquisitions et des arrestations se multiplient. Dans le cas du parti bavarois, le gouvernement emploie la terreur. Le 28 juin il fait arrêter 200 dirigeants et une centaine de prêtres qui sont relâchés le 4 juillet, une fois que le parti s’est dissous. Sur le plan politique et social, les catholiques ont été éliminés de force. Malgré ces sérieux revers, les plus hautes instances du clergé recommandent de voter « oui » à la consultation qui « plébiscite » Hitler.

Le cardinal Michael von Faulhaber, évêque de Munich, centre névralgique pour les 20 millions de catholiques allemands, explique pourquoi. Dans sa pastorale du 8 novembre, il soutient le référendum sur le retrait de la SDN. Dans un premier temps Faulhaber déplore les mesures prises contre les associations catholiques, la profanation du dimanche et les atteintes à la moralité publique etc.[2] Puis il explique le « oui » catholique : « Les catholiques, à la fois pour des motifs patriotiques et chrétiens, doivent élever leur voix en faveur de la paix entre les nations avec des droits égaux pour le peuple allemand ! (…) Ils déclareront une fois de plus leur fidélité à leur patrie et leur plein accord avec les larges vues et les efforts vigoureux du Führer pour sauver le peuple allemand des horreurs d’une nouvelle guerre et des atrocités du bolchevisme…»[3]

La situation des 40 millions de protestants est radicalement différente. Une majorité a rallié le mouvement pronazi des « Chrétiens allemands » dont les mots d’ordre sont scandaleux sur le plan religieux. Ils exigent dès mars que « l’Eglise s’intègre dans le IIIème Reich, soit mise au rythme de la révolution nationale, soit façonnée par les idées du nazisme ».[4] Ils appellent  les protestants à « participer à la grande heure qui vient de sonner (le nazisme) et y reconnaître une mission que Dieu a confiée à son Eglise ».[5] A ces inconditionnels du nazisme s’oppose dès septembre le pasteur Martin Niemöller. Il crée la Ligue d’urgence des pasteurs qui deviendra en 1934 l’Eglise confessante. Ses critiques du régime lui vaudront l’emprisonnement en 1938 jusqu’à la fin de la guerre. 6 000 pasteurs, soit un tiers du total du corps pastoral, le rejoignent.

Comme Faulhaber, malgré son opposition au régime, Niemöller recommande de voter « oui » au référendum. Il est inquiet de la sécularisation de l’Allemagne et espère encore que Hitler revitalisera les Eglises. Il approuve les plans économiques du régime qui ont entrepris de redresser une économie exsangue.[6]

Plus surprenante est la recommandation positive de la communauté juive allemande. Au premier abord, elle semble paradoxale. Hitler s’est attaqué aux institutions des autres religions, mais pour la religion juive, ce sont les individus qui sont sa cible. En quelques mois la loi élimine les Juifs de la fonction publique, du service de la santé, des professions liées à la culture, journalisme, cinéma, théâtre, musique.[7] Un numerus clausus de 1,5% est institué pour l’admission des Juifs à l’université. Les magasins sont boycottés. Les Juifs naturalisés après 1918 peuvent se voir retirer la nationalité sans explication.

Devant une telle avalanche d’atteintes à la personne, à défaut d’un appel au vote négatif, on aurait pensé qu’aucune consigne de vote n’aurait été donnée. Ce n’a pas été le cas. Le rabbin Léo Baeck, président de la Représentation des juifs du Reich (Reichsvertretung der Deutschen Juden), encourage ses membres à approuver le référendum.[8] Il le leur explique : « En même temps que le peuple allemand, on nous demande, à nous aussi, citoyens juifs, de voter sur la politique étrangère du Reich. On l’exige afin d’assurer à l’Allemagne, dans le concert des nations, une place égale à celle des autres, pour la réconciliation des nations entre elles et la paix du monde ! En dépit de ce que nous avons pu subir, le vote des Juifs allemands ne peut être que oui ».[9]

Hitler a compris qu’il fallait poser une question qui entraîne l’adhésion irrésistible et massive du peuple allemand, même des citoyens qui ont voté contre lui quelques mois plus tôt. Ils représentaient pourtant pratiquement 50% de la population. Quel Allemand peut contrer l’appel du Führer pour la paix et ne pas le soutenir lorsqu’il exige, quinze années après la fin de la guerre, d’être traité d’égal à égal avec les autres nations ? Ce sont ces termes que les leaders religieux ont approuvés. Mais ils ont été piégés. La propagande a transformé l’acceptation d’une politique extérieure en une consécration de la personne même du Chancelier. Le référendum s’est transformé en plébiscite. C’est ce qui fut ressenti par le public à l’époque, c’est ainsi que nombre d’historiens le considèrent aujourd’hui.[10]


[1] KERSHAW Ian, Hitler, 1889-1936 : Hubris, Flammarion, Paris, 1998, p. 699.
[2] FABRE Henri, L’Eglise catholique face au fascisme et au nazisme, Editions espace de liberté, Bruxelles, 1994, p. 90.
[3] LACROIX-RIZ Annie, Le Vatican et le Reich, de la Première Guerre mondiale à la guerre froide, Armand Colin, Paris, 1996, p. 269.
[4] CONWAY J S, La Persécution Nazie des Eglises 1933-1945, Editions France Empire, Paris, 1969, p. 95.
[5] REYMOND Bernard, Une Eglise à croix gammée : Protestantisme allemand au début du régime nazi, 1932-1935, L’Age d’Homme, Lausanne, 1980, p. 117.
[6] LITTELL Franklin, et LOCKE Hubert, The German Struggle and the Holocaust, Wayne University Press, Detroit, 1974, p. 136.
[7] Ces exclusions touchent en 1933 entre un quart et la moitié des personnes concernées.
[8] Organisation communautaire juive indépendante du pouvoir politique.
[9] DAWIDOWICZ Lucy, La Guerre contre les Juifs, 1933-1945, Hachette, Paris, 1975, p. 295.
[10]  De grands historiens comme Ian KERSHAW ou William SHIRER parlent de «  plébiscite » et non de « référendum». Le plébiscite c’est « le vote direct du corps électoral par oui ou par non sur la confiance qu’il accorde à la personne qui a pris le pouvoir (Petit Robert 2003, p. 1975). Le référendum c’est « le vote de l’ensemble des citoyens pour approuver ou rejeter une mesure proposée par le pouvoir exécutif ». (Petit Robert 2003, p. 2 209.)

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