Cinq jours en Pologne, dix jours en Israël, quinze jours pour revivre cinquante ans d’histoire du monde juif ! L’une tragique, l’autre enivrante ! Tel est l’enjeu de la Marche des Vivants à laquelle participent des milliers de lycéens: en tant qu’enseignant j’ai la chance d’accompagner  un groupe venant de Marseille.
D’abord  il y a Treblinka. C’est le second cimetière juif dans le monde, si les traces du génocide ont disparu, des centaines de pierres jonchent le sol,  chacune d’elle représente une communauté disparue. On sait alors, ces étendues infinies, tout un monde n’est plus, réduit en cendres.
Puis Maidanek où nos pas sont transis par le poids des preuves, chaque élément du puzzle effroyable est mis en place. On entre complètement dans le monde de l’indicible. La tête retentit de questions ; comment cela  a-t-il été possible ? Qu’aurais-je fait à la même époque ? Et si c’était mon frère, mon fils dont je retrouvais ici les vêtements. C’est avec réticence que nous pénétrons dans les baraques encore baignées d’ombre et de silence. Une allée centrale entre des milliers de chaussures est comme un ascenseur qui nous conduit aux portes de l’enfer. Des souliers d’enfants donnent une image insupportable.
Quand la visite du camp de Maidanek s’achève, c’est dans un élan commun que nous nous assemblons afin de prier. L’office de l’après-midi, minha,  nous procure un certain soulagement. Il est temps de regagner les cars qui nous servent d’abris pendant les longs trajets sur les routes défectueuses de Pologne.
Enfin il y a Auschwitz, dont le nom à lui seul suscite tant d’appréhension.  Depuis 1947  ce site est devenu un lieu de mémoire qui a été le théâtre d’affrontements de mémoires concurrentes: catholique, communiste, nationale et juive. Près de quarante mille photos anthropométriques de détenus et détenues, principalement polonais surplombent des vêtements provenant des magasins du « Canada » où étaient entreposés, triés, réexpédiés vers l’Allemagne ce  que les déportés juifs avaient emporté avec eux.
Après Maidanek, Auschwitz nous parait moins éprouvant à cause de son organisation en forme de musée. Pourtant chaque objet que l’on nous présente derrière une vitrine est chargé d’une histoire. On est suffoqué devant l’existence de toutes ces preuves. En particulier, sept mille kilos de cheveux  qui servent de  » pièces à conviction ».
Le commentaire du guide polonais parait certaines fois superflu. On aimerait tant entendre une voix émue nous relater cette histoire, au lieu de cela, on subit une visite froide, stéréotypée, presque indécente.
Et les questions précises reviennent ? De quoi est composé le Zyklon B ? Combien de victimes enferme-t-on dans une chambre à gaz ? Quels sont les  chiffres exacts des convois ? Un événement effroyable se déroule alors, une personne faisant partie de l’encadrement israélien retrouve une valise portant le nom de sa mère. C’est terrible pour elle et pour nous qui sommes incapables d’affronter cette réalité. La douleur est tellement personnelle.
Malgré la précision des explications données par le guide polonais, le décalage entre la froide présentation des faits et le sentiment d’un vécu tragique créé un malaise. Allons nous sortir du cauchemar ?
Quelques heures plus tard, la cérémonie du Yom Ha Choa a lieu dans la synagogue de Cracovie. Quelle immense joie de découvrir ce magnifique bâtiment construit au XIXe siècle, qui montre l’importance de l’ancienne communauté juive. Nos brèves rencontres avec les Polonais nous ont montré l’ampleur des réactions antisémites. Ainsi les regards entièrement braqués sur nous, nous marchons avec fierté dans les rues de Cracovie. Une sorte de revanche pacifique face à ce milieu tant hostile. Notre présence massive sur le sol polonais, deux générations plus tard, est déjà une victoire: la meilleure réponse à la tentative d’extermination.
Quand la cérémonie de Cracovie commence, les gorges étranglées, nous sommes conscients de vivre un moment historique, de remplir une synagogue qui est restée vide depuis un demi-siècle. Tel n’est-il un des sens de la Marche des Vivants, le chant de la Hatikva résonne alors comme un formidable chant de l’espoir.
Le quatrième jour en Pologne est consacré à la marche que doivent effectuer plus de cinq mille jeunes Juifs d’Auschwitz à Birkenau, environ quatre kilomètres. Grâce à cette marche nous essayons pendant un moment de se placer dans les conditions matérielles de déportés.
Mais est-ce possible ? Au son du Chofar toutes les délégations représentant les composantes diverses du judaïsme mondial défilent sur les routes polonaises. Cette fois en hommes et femmes libres venant commémorer le souvenir de la mémoire de toutes les victimes de la barbarie nazie. Pendant deux heures, les visages sont graves, tendus, toute parole devient superflue. Seule compte notre présence massive, silencieuse et solennelle.
N’est-ce pas là la plus belle preuve de l’échec de ceux qui voulaient exterminer notre peuple ?
Au bout de la marche se tient une cérémonie pleine de dignité. Si les discours ne sont pas tout compris à cause de l’usage exclusif de certaines langues (anglais, hébreu) le message est clair notre présence n’est pas le fruit du hasard, elle est l’expression d’une volonté d’exister et de transmettre un message de vérité et de justice. E, quittant Auschwitz, toutes les délégations reprennent en cœur le cri «Israël vivra», c’est en grande hâte, certains courent, que nous sortons du plus grand cimetière juif.       Joël GUEDJ

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