Les méthodes brutales du milliardaire franco-israélien lui valent un grand nombre d’inimitiés. Sa percée foudroyante dans les télécoms (ce n’est sans doute pas fini, malgré le refus de Bouygues de céder à Patrick Drahi sa filiale Bouygues Telecom) et les médias en fait aussi l’homme à abattre.

Les politiques

Cultiver son réseau politique, cela n’a jamais été le point fort de Patrick Drahi. A tort. Le 23 mars, Emmanuel Macron , le ministre de l’Economie, et Axelle Lemaire , la secrétaire d’Etat au Numérique, l’ont convoqué à Bercy, après avoir reçu les plaintes de nombreux prestataires de Numericable SFR. «Ils lui ont rappelé les règles de la vie économique française, ainsi que le respect des délais de paiement et des contrats», raconte un témoin de la scène. Surtout, ils ont imposé à Drahi une médiation avec les fournisseurs mécontents. «Mais Macron reste prudent, souligne un concurrent. Il sait qu’il y a un gros risque de casse sociale à trop déstabiliser SFR.» Et plus encore, si Patrick Drahi parvient à mettre la main sur Bouygues Telecom.

Les clients

Le milliardaire franco-israélien se serait bien passé de ce trophée. En mars, avec 30% des réclamations dans la catégorie mobile, SFR est arrivé en tête du bilan annuel des plaintes de consommateurs reçues par l’Association française des utilisateurs de télécommunications, dirigée par Jacques Pomonti. Une critique qui s’ajoute aux blâmes récurrents de l’UFC-Que choisir, présidée par Alain Bazot. A l’automne dernier, l’organisation de défense des consommateurs a encore dénoncé la mauvaise qualité du réseau de l’opérateur au carré rouge. Ce dernier a terminé troisième sur quatre de ses tests en 3G (devant Free, toutefois), et quatrième sur la 4G.

Les patrons rivaux

C’est bien simple, Patrick Drahi a réussi l’exploit de mettre tous les opérateurs d’accord… contre lui. Ainsi, le 24 avril, lors d’une réunion à Bercy, un Emmanuel Macron médusé a vu Stéphane Richard (Orange), Martin Bouygues et Maxime Lombardini (Free) taper de concert sur Numericable-SFR. «Quand une bête est blessée, la meute attaque», s’amuse l’un des assaillants, en référence à la récente baisse du nombre d’abonnés mobiles de l’opérateur. «C’est bon signe, ça veut dire qu’on leur fait peur», réplique un proche du dirigeant de SFR. Ses adversaires l’ont d’abord attaqué sur ses publicités, lui reprochant de s’affirmer comme le numéro 1 de la fibre, alors que son réseau utilise la technologie câble. «J’ai une relation personnelle très agréable avec Patrick Drahi, mais cette campagne induit les consommateurs en erreur», explique à Capital Stéphane Richard, qui a saisi la Direction de la concurrence (DGCCRF) pour la faire stopper. Ce dernier a également menacé Drahi d’une plainte si SFR ne cofinançait pas le fibrage des campagnes comme il s’y était engagé en 2011. Avec Martin Bouygues , les relations sont tout aussi conflictuelles. Même s’il s’en défend, ce dernier serait l’initiateur de l’enquête en cours de l’Autorité de la concurrence, à qui il aurait envoyé une plainte dès le 17 novembre. Mais le pire ennemi de Patrick Drahi reste Xavier Niel . Le fondateur de Free n’adresse plus la parole à son rival depuis 2011 et un article hostile (et téléguidé?) d’un journal israélien tenu par un ami de Drahi. En Israël toujours, ils sont en concurrence frontale depuis que Michaël Golan, associé de Niel, a lancé Golan Telecom, face à l’offre à bas coût de Hot, détenu par Drahi.

Les prestataires

Au 3e étage du siège de SFR, en face du Stade de France, des dizaines de bureaux sont désormais déserts, ordinateurs débranchés. C’est ici que travaillait une trentaine de consultants d’Accenture. Comme à de nombreux prestataires, notamment les adhérents de la fédération Syntec, Patrick Drahi a expliqué sans ménagement qu’il n’avait plus besoin d’eux. «Pour faire des économies, il réinternalise les tâches et favorise les fournisseurs de Numericable, comme Circet», commente un ingénieur informatique de la maison. Autre scénario, la nouvelle direction de l’opérateur demande, comme à SAP, des réductions tarifaires de 30%. Ou alors fait traîner le règlement de leurs factures : on parle de 400 millions d’euros d’impayés. Selon nos informations, Sogeti aurait ainsi envoyé des huissiers à deux reprises pour être réglé. NextiraOne et Cap Ingelec ont carrément porté plainte auprès du tribunal de commerce de Paris pour obtenir (avec succès) leur dû. «Patrick aime pratiquer le rapport de force, commente Stéphane Richard . Mais ses méthodes brutales de réductions de coûts posent problème.» Pour SFR, ces efforts étaient toutefois nécessaires : «Tous les consultants de Paris savaient qu’on pouvait se faire de l’argent facilement ici. C’est fini !»

Les autorités publiques

Ce jeudi 2 avril restera gravé dans les mémoires des salariés de SFR. Ce matin-là, les enquêteurs de l’Autorité de la concurrence ont débarqué dans les locaux de l’opérateur et saisi de nombreux ordinateurs ?«C’était une fouille en règle, se souvient un cadre. Ils avaient une liste de directeurs à la main et savaient parfaitement où aller.» L’organisme, présidé par Bruno Lasserre , soupçonne les dirigeants de Numericable et de SFR d’avoir travaillé ensemble, avant qu’ils en aient obtenu l’autorisation dans le cadre de leur fusion, sur la nouvelle box SFR lancée le 1er décembre 2014. Le groupe risque une amende de 570 millions d’euros. «Ils ont commis une erreur de débutant», constate un concurrent. Pierre Pelouzet, le médiateur interentreprises, est aussi sur le dos de SFR. Après avoir obtenu qu’il règle ses dettes aux prestataires, il a exigé de ses dirigeants qu’ils reviennent tous les quinze jours pour un point de suivi. Enfin la DGCCRF, pilotée par Nathalie Homobono, a ouvert une enquête sur l’opérateur : cette fois sur ses publicités sur la fibre.

Les syndicalistes

Soulagement au siège de SFR : on peut de nouveau se rendre aux toilettes sans crainte. «Pendant plusieurs semaines, nous n’avions plus de papier, car la direction avait réduit la fréquence de passage des femmes de ménage», soupire un cadre. Pour chasser les coûts, Drahi s’y entend. Alors que 120 cadres pouvaient engager des dépenses supérieures à 100.000 euros, ils ne sont plus que trois à les valider au-delà de 10.000. Plus de 200 salariés, dont une cinquantaine de directeurs, ont été remerciés. «Ils ont détruit la superbe machine commerciale de SFR et vont en payer le prix», alerte un ancien dirigeant de la maison. Les syndicalistes sont encore plus remontés. «Au service informatique, c’est le chaos», dénonce Damien Bornerand, pour la CGT. «Ces départs désorganisent les services, et comme tout est centralisé, les décisions prennent paradoxalement plus de temps», précise Jacques Defrance, le président de Smile, un syndicat interne créé en 2014 par des anciens de la CFE-CGC. Plus grave, ce management développerait des risques psychosociaux, comme le montrent les milliers de témoignages laissés par les employés sur le site Axone, créé par Smile. Une médecin du travail de SFR Business Team, à Meudon, a d’ailleurs écrit à la direction un mail que nous avons pu consulter. Elle y dénonce une hausse de l’anxiété, des troubles du sommeil et de la consommation d’anxiolytiques. Sans atteindre ce niveau, la tension monte également à «L’Express», racheté par Patrick Drahi en février. Son bras droit, Marc Laufer, a accentué les réductions de coûts : retour de l’aéroport en RER plutôt qu’en taxi, moins de déjeuners pour le service politique, baisse du budget photo… Drahi et Laufer, dont Eric Marquis (Syndicat national des journalistes) dénonce «l’absence de stratégie», auraient même l’ambition de supprimer à terme 70 cartes de presse.

Gilles Tanguy
http://www.capital.fr/

Patrick Drahi
Né le 20 août 1963, à Casablanca (Maroc)
CV: Ecole polytechnique (1983). Ecole nationale supérieure des télécommunications (1988). Fondateur de Sud Câble Services (1994). Président de Numericable (2007). Président de Numericable-SFR (2014).

LAISSER UN COMMENTAIRE

Poster votre commentaire!
Entrer votre nom ici

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.