« Souviens-toi des jours antiques, médite les annales de chaque siècle; interroge ton père, il te l’apprendra, tes vieillards, ils te le diront ! » (Devarim 32,7)

Je ne peux, ni ne dois, effacer, briser, mettre à terre mon histoire et mon passé mais seulement apprendre d’eux, leur gloire et leur honte !
Les gens vivent dans le présent.
Ils planifient et s’inquiètent pour l’avenir.
L’Histoire, cependant, est l’étude du passé.
Compte tenu de toutes les exigences qui poussent à vivre dans le présent et compte tenu de toutes celles qui incitent à anticiper ce qui reste à venir, pourquoi s’embêter avec ce qui a été ?

Compte tenu de toutes les branches de connaissances souhaitables et disponibles, pourquoi insister – comme le font la plupart des programmes éducatifs – sur l’Histoire, encore plus d’histoire?

Les historiens n’effectuent pas de transplantation cardiaque !
Ils n’améliorent pas la conception des autoroutes !
Ils n’arrêtent pas les criminels !

Dans une société aspirant, à juste titre, à une éducation qui serve à des fins utiles, les fonctions de l’histoire peuvent sembler plus difficiles à définir que celles de l’ingénierie ou de la médecine. L’Histoire est en effet très utile, voire indispensable, mais les produits de son étude sont moins tangibles, parfois moins immédiats, que ceux issus de ces autres disciplines.
Elle doit être étudiée car essentielle aux individus et à la société, elle recèle la beauté et la laideur. Il existe de multiples façons de discuter des fonctions réelles du sujet, car il existe de nombreux talents historiques disparates et de nombreuses voies différentes vers la signification chronologique. Cependant, toutes les définitions de l’utilité de la généalogie reposent sur des faits fondamentaux.
En premier lieu, l’histoire offre une mine d’informations sur le comportement des personnes et des sociétés, difficile de comprendre leur fonctionnement, même si un certain nombre de disciplines tente de le faire.
Une dépendance exclusive à l’égard des savoirs actuels entravera inutilement nos efforts.

Comment pouvons-nous évaluer la guerre si la nation est en paix – à moins d’utiliser des matériaux historiques ?
Comment pouvons-nous comprendre le génie, l’influence de l’innovation technologique ou le rôle que les croyances jouent dans le façonnement de la vie familiale, si nous n’utilisons pas les acquis des expériences du passé ?

Certains spécialistes des sciences sociales tentent de formuler des lois ou des théories sur le comportement humain. Ces recours dépendent, également, d’informations historiques, sauf cas limités, souvent artificiels, dans lesquels des expérimentations peuvent être conçues pour déterminer leur conduite.

Les principaux aspects du fonctionnement d’une société, comme les élections de masse, les activités missionnaires ou les alliances militaires, ne peuvent pas être définis comme des expériences précises. Par conséquent, l’Histoire doit servir aussi imparfaitement que notre laboratoire, et les données du passé doivent être notre preuve, la plus vitale, dans la quête inévitable pour comprendre pourquoi notre espèce, complexe, se comporte ainsi dans des contextes sociétaux définis. C’est pourquoi, en absolu, nous ne pouvons pas nous éloigner de l’Histoire : elle offre la seule base probante, suffisamment étendue pour la contemplation et l’analyse empirique des sociétés. En conséquence, les intéressés doivent pouvoir entendre et comprendre l’activité de ces dernières et ainsi permettre de mieux gérer notre présent.

En second lieu, l’Histoire est incontournable car chaque fois que nous essayons de savoir pourquoi quelque chose se produit – un changement dans la domination des partis politiques, un changement majeur du taux de suicides chez les adolescents, une guerre dans les Balkans ou au Moyen-Orient – nous devons rechercher des facteurs qui ont pris forme auparavant. Parfois, un évènement assez récent suffit pour expliquer un développement majeur mais, souvent, nous devons regarder en arrière pour identifier les causes d’une telle révolution.

Ce n’est qu’en étudiant l’Histoire que nous comprenons comment les choses évoluent.
Ce n’est qu’à travers elle que nous commencerons à déchiffrer les facteurs a l’origine de ces bouleversement.
Et c’est encore à travers cette Histoire que nous appréhenderons les éléments d’institutions ou de sociétés résistant envers et contre tous changements.
Le récit offre également un terrain de vigilance morale.

L’étude du vécu des individus et des situations dans le passé nous permet de tester notre propre sens des valeurs, de les affiner contre certaines des complexités réelles auxquelles nous avons été confrontés lors de situations difficiles. Les personnes ayant contrarié l’adversité non seulement dans certains ouvrages de fiction, mais dans des circonstances historiques réelles peuvent être une source d’inspiration.
«L’enseignement de l’histoire par l’exemple» est une expression qui décrit cette utilisation d’une étude du passé – une étude non seulement des héros, des grands hommes et femmes de légende ayant réussi à surmonter des dilemmes moraux, mais aussi ces personnages malfaisants, barbares et inhumains qui nous amènent à réfléchir, analyser et en entendre les leçons.

Elle contribue également à fournir une identité, et c’est incontestablement l’une des raisons pour lesquelles toutes les nations modernes encouragent son enseignement sous une forme ou une autre. Les données historiques incluent des preuves sur la façon dont les familles, les groupes, les institutions et des pays entiers ont été formés et sur la façon dont ils ont évolué tout en conservant la cohésion. Pour de nombreux Israéliens, étudier la chronologie de sa famille individuelle et collective est l’utilisation la plus évidente de l’histoire, car elle fournit des faits sur la généalogie et (à un niveau légèrement plus complexe) une base pour comprendre comment cette famille a interagi lors de bouleverse-ments historiques très importants.
L’identité est ainsi établie et confirmée.

De nombreuses institutions, entreprises, communautés et groupes sociaux, comme les groupes ethniques aux États-Unis, utilisent ces archives à des fins d’identité similaires. Le simple fait de vouloir définir le collectif au présent s’oppose à la possibilité de former une identité basée sur un passé riche. Et bien sûr, les nations utilisent tout cela, en abusent parfois. Les récits nous racontent notre pays, notre peuple, mettent l’accent sur les particularités distinctives de l’expérience nationale et tendent à faire comprendre les valeurs, la fidélité et la vérité citoyenne.
La capacité d’évaluer les preuves, l’étude de notre vécu, permettent d’acquérir une expérience dans le traitement et l’évaluation de divers types de témoignages, utilisés par les historiens afin de façonner les images les plus précises possible du passé.

Apprendre à interpréter les déclarations d’anciens dirigeants politiques servira de témoignage et de référence, cela nous permettra de mieux analyser les discours prononcés au présent par les pouvoirs en place.

Apprendre à combiner différents types de preuves – déclarations publiques, documents privés, données numériques, documents visuels – permet de développer des arguments cohérents basés sur une variété de données. Cette compétence peut également être appliquée aux informations rencontrées dans la vie quotidienne.
La capacité d’évaluer des interprétations contradictoires.

Apprendre l’Histoire signifie acquérir une certaine habileté à trier des estimations diverses et souvent antinomiques. Comprendre le fonctionnement des sociétés – objectif central de l’étude – est intrinsèquement imprécis, et il en va certainement de même pour comprendre ce qui se passe de nos jours.

Apprendre à les identifier, et à les évaluer, est une compétence de citoyenneté essentielle pour laquelle l’histoire, en tant que laboratoire d’expérience humaine souvent contesté, offre une formation. Il s’agit d’un domaine dans lequel tous les avantages de l’étude généalogique se heurtent parfois aux utilisations plus étroites du passé pour construire l’identité. L’expérience dans l’examen des situations antérieures fournit un sens critique constructif pouvant être appliqué aux affirmations partisanes sur les gloires de l’identité nationale ou de groupe. Cette étude ne sape aucunement la loyauté, ou l’engagement, mais elle enseigne la nécessité d’évaluer les arguments, offrant des opportunités d’engager le débat et de mettre en perspective.

Pourquoi étudier l’Histoire?
Réponse: pratiquement, nous le devons pour accéder au laboratoire de l’expérience humaine. Lorsque nous l’étudions raisonnablement bien, acquérant ainsi des habitudes d’esprit utilisables, des données de base sur les forces affectant notre propre vie, nous émergeons avec des compétences pertinentes et une capacité accrue de citoyenneté informée, de pensée critique et d’êtres conscients.

Les usages de l’Histoire sont variés.
Son étude peut nous aider à développer des compétences littéralement «vendables», mais elle ne doit pas être limitée à l’utilitarisme le plus étroit. Un peu d’histoire localisée aux seuls souvenirs personnels des changements et des héritages de l’environnement immédiat est essentielle pour fonctionner au-delà de l’enfance. Une certaine peinture dépend du goût personnel, où l’on trouve la beauté, la joie de la découverte ou le défi intellectuel. Entre le minimum incontournable et le plaisir d’un engagement profond vient le récit qui, grâce à l’habileté cumulative dans l’interprétation du dossier humain s’y déroulant, offre une réelle compréhension au fonctionnement du monde.
Comment pourrais-je donc conclure sans les célèbres mots de ce célèbre philosophe, si incontournable:

« On dit aux gouvernants, aux hommes d’Etat, aux peuples de s’instruire principalement par l’expérience de l’histoire. Mais ce qu’enseignent l’expérience et l’histoire, c’est que peuples et gouvernements n’ont jamais rien appris de l’histoire et n’ont jamais agi suivant des maximes qu’on en aurait pu retirer. Chaque époque se trouve dans des conditions si particulières, constitue une situation si individuelle que dans cette situation on doit et l’on ne peut décider que par elle. Dans ce tumulte des événements du monde, une maxime générale ne sert pas plus que le souvenir de situations analogues, car une chose comme un pâle souvenir est sans force en face de la vie et de la liberté du présent. A ce point de vue, rien n’est plus fade que de s’en référer souvent aux exemples grecs et romains, comme c’est arrivé si fréquemment chez les Français à l’époque de la Révolution. Rien de plus différent que la nature de ces peuples et le caractère de notre époque (…). Seuls l’intuition approfondie, libre, compréhensive des situations et le sens profond de l’idée (comme par exemple dans l’Esprit des Lois de Montesquieu) peuvent donner aux réflexions de la vérité et de l’intérêt ».

Hegel, Leçons sur la philosophie de l’histoire (cours de 1822).