Interview de l’ambassadeur de France à Tel-Aviv, Christophe Bigot,
(par Boaz Bismuth, pour Israel Hayom.adaptation française jssnews.com).
La semaine dernière, l’UE a décidé d’imposer un embargo historique sur le pétrole iranien. Ces sanctions n’entreront en vigueur qu’en juillet. Monsieur l’ambassadeur, puisque nous sommes tous conscients que le temps nous est compté, pourquoi attendre juillet?
Depuis 2003, nous avons essayé de mettre un terme au projet nucléaire iranien. Nous avons travaillé dur pour atteindre cet objectif. Nous avons d’abord essayé de persuader les Iraniens, pour obtenir des réponses claires de leur part, des promesses. Nous avons essayé de nouveau en octobre pour obtenir des réponses claires concernant l’enrichissement d’uranium, mais nous n’avons pas obtenu de réponse de leur part. En novembre, l’Agence internationale de l’énergie atomique a publié son rapport, qui a décrit ce que beaucoup d’entre nous savaient déjà : le programme nucléaire iranien a été orienté à des fins militaires. Dans la foulée du rapport, le président français Nicolas Sarkozy a réclamé des sanctions sans précédent contre l’Iran. Vous devez vous rappeler que le pétrole représente 80% des exportations iraniennes, nous avons donc décidé un embargo sur le pétrole iranien. En outre, nous avons également décidé de geler les avoirs appartenant à la banque centrale iranienne. Nous touchons ici au cœur de la question : toucher l’argent. Ce n’est pas quelque chose que l’on fait en un jour. Je suis conscient du fait qu’il y a ceux qui s’élèvent et demandent : «Pourquoi attendre et laisser le temps aux Iraniens? ». De nombreux pays ont des accords avec l’Iran, des accords qui doivent arriver à terme. Dans les pays qui n’ont pas d’accord, l’embargo est déjà entré en vigueur, et les marchés réagissent déjà à l’embargo. On peut voir que cela a déjà un impact. L’économie iranienne commence à s’effondrer.
Israël doit-il en être satisfait ?
Israël semble croire être seul à faire face à la menace nucléaire iranienne, mais Israël n’est pas seul. D’abord, parce qu’Israël a des amis, et aussi parce que la menace iranienne est dirigée contre toute la région. Le programme nucléaire iranien est une menace pour le monde entier. Le programme nucléaire iranien constitue une menace existentielle. Nous avons besoin d’acheter moins de pétrole en provenance d’Iran, et ceux qui continuent de le faire, en achetant du pétrole iranien à bas prix, font que de toute façon, l’Iran est du côté des perdants.
Qu’en est-il d’une nouvelle série de sanctions du Conseil de sécurité?
Nous en avons l’espoir, mais les Russes et les Chinois rejettent cette idée.
Est-ce que l’option militaire est légitime?
Je ne dirais pas cela ainsi. Chaque pays a le droit de se défendre. Mais nous n’en sommes pas encore là. Nous sommes actuellement en phase exploratoire, pour déterminer le moyen le plus efficace que nous pouvons utiliser pour changer la situation en Iran. La chose la plus efficace est, pour toute la communauté internationale, de se joindre à ces sanctions sans précédent contre l’Iran. C’est ce que nous essayons de faire. Pour certains, ce sera toujours trop peu, trop tard. Mais lorsqu’on examine les décisions de la semaine dernière, elles sont sans précédent. « Face à l’Iran, nous devons agir rapidement »
On parle beaucoup du printemps arabe qui a débuté en Tunisie, mais il y a ceux qui croient qu’il a commencé avec le mouvement de protestation en Iran après les élections présidentielles volées de 2009…
Je suis absolument d’accord avec vous sur ce point.
Est-ce que le président américain Barack Obama a fait une erreur en n’étendant pas son soutien aux manifestants iraniens? N’était-ce pas une erreur de l’Occident que de s’interdire d’aider la vague d’agitation?
La France a offert une aide importante. Quand les gens parlent de l’Iran, les gens pensent toujours à la question nucléaire, et cela est évident, mais il y a aussi d’autres problèmes. À l’ONU et au Conseil des droits de l’homme à Genève, nous avons eu des mots très durs sur l’état des droits de l’homme en Iran et des résolutions ont été adoptées. Vous devez vous rappeler que le printemps arabe fut d’abord un « printemps persan », et que l’Iran n’est pas la Corée du Nord. Il y a des étudiants, il y a des universités, et il y a une population qui est beaucoup plus pro-occidentale que nous avons tendance à le penser. Nous devons aussi travailler dans l’aide à l’opposition, pour la renforcer. Il y a des stations de radio dont la fréquence est disponible en Iran. J’ai bon espoir que le printemps arabe, qui a commencé à Téhéran, reprendra à Téhéran. Prenez par exemple [le président iranien Mahmoud] Ahmadinejad et sa négation de l’Holocauste. Sur cette question, nous sommes aussi très clairs. Chaque fois qu’il a soulevé la question à Genève ou à New York, nous avons quitté la salle de l’Assemblée. Nous ne faisons aucun compromis sur une question comme la négation de l’Holocauste.
Est-ce que Paris a des informations quant à l’ampleur des avancements iraniens sur une arme nucléaire?
C’est une question qui relève de nos services secrets, mais je peux dire que nous devons agir rapidement. Le temps joue contre nous. C’est pourquoi les sanctions approuvées par l’UE sont tellement importantes. Maintenant, nous devons convaincre la Russie et la Chine de les signer.
Revenons au printemps arabe. Etes-vous d’accord avec l’évaluation du ministre israélien de la défense Ehud Barak, que le président syrien Bachar Assad est en sursis?
Je pense que lorsqu’un dirigeant lève la main contre son propre peuple, et le fait à plusieurs reprises, il a un sérieux problème de légitimité. Il me semble qu’il y a déjà 5000 morts en Syrie depuis le début des émeutes. L’Europe a imposé des sanctions contre le régime syrien. Nous exigeons un processus démocratique et la fin de l’oppression.
Supposons qu’Assad survive au pouvoir. Dans un tel scénario, la France pourrait-elle retravailler avec lui ?
Assad n’a montré aucun signe de retour au sommet. Nous devons regarder en avant, et regarder en avant signifie la démocratie.
La France a été la force motrice de la récente guerre en Libye. Pourquoi ne pas en faire autant en Syrie ?
La situation est différente. En Libye, il y avait deux résolutions adoptées par le Conseil de sécurité de l’ONU. Quant à la Syrie, la Russie et la Chine se sont opposées à toute résolution du Conseil de sécurité. Nous agissons selon le principe du respect du droit international. Vous devez vous rappeler qu’en Libye il y avait un soutien pour une action militaire de tous les pays de la région, y compris la Ligue arabe. En Syrie, la Ligue arabe est active, mais elle s’oppose à une intervention militaire. Les voisins de la Syrie et la Ligue arabe sont opposés à une opération militaire.
Je sais à quel point vous avez été impliqué, à la fois personnellement et émotionnellement, dans les efforts pour Gilad Shalit. Est-ce que la France en ferait autant pour ses otages qu’Israël ?
Nous ne sommes pas dans la même situation. Vous êtes dans un état de guerre depuis 1948. Ce n’est pas le cas de la France. Mais nous avons aussi chaque année de nombreux soldats qui tombent en captivité. Nous en avons eu des dizaines en Irak, au Liban, en Afghanistan, en Afrique et au Yémen.
Mais en France il n’y a pas la même pression du public sur les autorités pour libérer les prisonniers, comme en Israël.
Je suis en place en Israël depuis plus de cinq ans. J’ai appris à connaître la famille Shalit et ses parents exceptionnels. En décembre, quand il faisait froid dehors, il n’y avait pas toujours beaucoup de gens sous leur tente. La France salue la décision difficile du gouvernement israélien de libérer des prisonniers palestiniens, car nous savons qu’il y a des familles de victimes des attentats terroristes. Mais l’échange de prisonniers Shalit a donné beaucoup d’honneur à l’Etat d’Israël.
Pourquoi la France a-t-elle voté en faveur de l’adhésion de la Palestine à l’UNESCO ?
Nous pensons que la solution à cette crise est un Etat palestinien. L’UNESCO est un lieu qui représente la paix et la culture, et c’était le moment approprié pour montrer qu’un jour il faut en venir à l’existence d’un Etat palestinien. Mais cette même semaine nous avons également dit que nous nous abstiendrions de voter l’admission de la Palestine à l’ONU parce qu’à ce stade, nous pensons que cela conduirait à des tensions. Cette demande ne serait pas une progression vers la paix.
L’accident avec délit de fuite qui a tué la jeune israélienne de 25 ans Lee Zeitouni [à Tel Aviv en Septembre 2011] nuit à l’image de la France, puisque les deux suspects ont fui vers la France, où ils sont en liberté. La France pourrait-elle faire plus pour agir contre ces deux suspects ?
J’ai rendu visite à la famille de Lee Zeitouni, et je ne vois pas du tout de désir de vengeance de la part de ses parents. Je leur ai promis ce jour-là que je les aiderai de mon plein appui. Ce qui est arrivé est choquant et justice doit être rendue. La France veut arrêter les suspects et les traduire en justice, mais Israël a besoin de faire une demande officielle, ou la famille a besoin de la faire. Les deux options sont disponibles. Je suis aussi frustré que les citoyens israéliens, en voyant deux suspects se promener libres. Je suis frustré parce que je sais qu’ils pourraient être traduits en justice en Israël. Il y a deux façons de les arrêter. C’est le message que j’ai envoyé à la Knesset. J’ai transmis cette information au sommet de la bureaucratie israélienne. Cela a été mentionné par le président de la République, mais cela n’a pas été fait. Pourquoi? Parce qu’ils auraient préféré voir un procès en Israël. Moi aussi, j’aurais préféré qu’ils soient jugés en Israël. Ils vivaient en Israël, ils n’étaient pas des touristes. L’accident est survenu en Israël et la victime est israélienne, mais ces gens ont dit via leur avocat qu’ils ne souhaitent pas retourner en Israël. Je suis français, et d’un point de vue moral, je pense qu’ils doivent retourner en Israël.
N’est-il pas possible de les extrader vu la gravité du crime dont ils sont soupçonnés ?
Nous n’avons pas d’accord d’extradition de citoyens français vers Israël, tout comme vers l’Australie, le Canada, les Etats-Unis, la Nouvelle-Zélande ou la Suisse. Nous ne faisons cela uniquement que dans des cas impliquant des Etats de l’UE. Alors, les gens me disent que nous devons changer la loi. Mais dans ce cas présent, la loi dispose que la France n’extrade pas ses citoyens hors des pays de l’UE. Il y a un certain nombre d’autres pays qui n’extradent pas ses citoyens. Israël a commencé à extrader en 2002. Puisque nous n’avons pas changé la loi et que ces gens ne veulent pas retourner en Israël – et je suis désolé pour cela – le seul moyen pour eux est d’avoir un procès en France. Je suis d’avis qu’il n’y a aucune possibilité pour que les suspects retournent en Israël. Je dirais que depuis l’accident, les autorités israéliennes ont fait un certain nombre de demandes secrètes et nous y avons répondu favorablement. Un juge d’instruction a été nommé et une enquête policière est en cours. Les résultats de l’enquête ont été remis aux Israéliens. Nous avons localisé les suspects en octobre. Nous savons où ils sont, mais nos mains sont liées parce que nous n’avons pas reçu de demande israélienne de les arrêter. Vous devez faire confiance au système judiciaire français. Les gens disent que les peines de prison en France sont plus légères, mais ce n’est que lorsqu’on parle de peines maximales. Les résultats sont différents lorsqu’on parle des peines qui sont infligées en moyenne. Nous sommes deux pays démocratiques, et les juges sont ceux qui prendront la décision. Je fais appel à vous : Faites confiance à la justice française. Moralement, il est inconcevable que les personnes responsables de la mort de Lee Zeitouni n’aient pas de procès. Les médias français ont rapporté de nombreux articles sur l’accident. Le président français a parlé avec le Premier ministre Benjamin Netanyahu sur la question. L’épouse de Nicolas Sarkozy a envoyé une lettre à la mère de Lee Zeitouni. Je ne me souviens pas d’un cas où un accident qui n’a pas eu lieu en France a été couvert de façon si extensive.