Après une longue pratique en pédopsychiatrie auprès d’enfants autistes, Pierre Coret, a exercé de pair, durant trente ans, la profession de psychiatre homéopathe et celle de psychothérapeute.

Son activité actuelle est essentiellement centrée sur la pratique et la transmission d’une psychothérapie conjuguant l’approche de la Gestalt Thérapie à celle de la Psychanalyse Jungienne. Depuis 1991, il a fondé avec son épouse, Elizabeth Leblanc, elle-même, psychologue clinicienne et psychanalyste jungienne, une école de formations en psychologies et en psychothérapies, SAVOIR PSY, qui propose différents modules d’enseignements ouverts à tous, ainsi qu’une formation de Psycho Praticien Humaniste.

Comment définissez-vous la normalité, en tant que psychiatre ?

Question piège !

Il n’y a pas si longtemps, le premier personnage de la scène sociale, c’était le roi, et le second, c’était le fou du roi !

Pendant des siècles, le fou a été considéré comme celui qui pouvait lire les messages du ciel, parler avec les plantes, vivre une forme d’intuition non accessible à la majorité des gens.

Dans la plupart des sociétés traditionnelles, celui qui présente une difficulté à se maintenir dans « une enveloppe du moi étanche », quelqu’un qui a un peu trop la tête dans les étoiles – va être choisi pour devenir le chamane ou l’homme médecine. Dans ce type de sociétés, il y a une tolérance importante envers tout ce qui relève du surnaturel, de l’irrationnel, permettant à ceux qui étaient un peu « hors normes » d’y être pleinement intégrés.

Après le Moyen-âge, le fou va être relégué autour des grandes villes dans les anciennes léproseries qui deviendront les hôpitaux psychiatriques. Il est le bouc émissaire, celui sur lequel le groupe social projette son ombre, sa propre folie. Quand il dérange ou qu’il présente un caractère de dangerosité, il est alors considéré comme possédé par le démon et peut être condamné à être brûlé vif. On peut imaginer toutes les dérives qui ont pu s’ensuivre…

De nos jours  »la folie », est traitée essentiellement par des neuroleptiques, des médicaments efficaces pour anesthésier la douleur affective et morale de la personne. La souffrance du schizophrène (c’est aussi une dénomination qui effraie) peut être épouvantable. J’ai travaillé en tant qu’interne dans des hôpitaux psychiatriques, et aussi en tant qu’interne en médecine. Les accidentés que je voyais arriver avec de graves blessures m’ont toujours paru souffrir beaucoup moins qu’un schizophrène en pleine crise de décompensation*. Dans ce contexte, je considère la prescription de neuroleptiques comme incontournable. Néanmoins, mon expérience de psychiatre homéopathe m’a permis d’obtenir d’excellents résultats chez de jeunes patients présentant une première décompensation* psychotique avec une riche symptomatologie, mais un degré moindre de souffrance.

La folie serait donc à la fois cet espace d’accès à d’autres formes de connaissance et celui de la souffrance la plus insupportable ?

Il y a une frontière entre des individus présentant un type de personnalité capables de garder une insertion sociale correcte, et ceux qui décompensent sévèrement, dans une souffrance abominable. Dans cette souffrance-là, un schizophrène n’est plus capable de la moindre rationalité. Ma conclusion, c’est qu’à partir du moment où il y a une impossibilité totale de véritable contact, d’insertion et de partage avec autrui, il s’agit d’une décompensation qu’il est juste de traiter avec des médicaments permettant de calmer la souffrance.

L’état des personnes va donc du tolérable – donnant accès à d’autres réalités – à de l’intolérable – une souffrance trop envahissante, source d’isolement. D’où provient selon vous la différence de degré entre ces états ?

Nous provenons tous d’un état d’indifférenciation primordiale. Le bébé naît indifférencié. D’une certaine façon, des gens ont gardé un pied dans l’indifférencié, en particulier des génies comme Einstein qui, jusqu’à l’âge de 4 ans, ne parlait pas, au point que son entourage se demandait s’il n’était pas attardé mental. Je pense que tous les grands génies sont dans ce cas, avec le risque de « se barrer » de l’autre côté après un choc. Le film « Un homme d’exception » met cela en scène à travers le personnage de John Nash, un extraordinaire mathématicien. Lorsque l’on est capable de garder un pied dans l’indifférencié tout en maintenant l’autre dans le réel, on peut commencer à être génial grâce à la fonction « intuition » qui nous relie à l’indifférencié. Ce qui fait la différence entre celui qui reste capable de s’insérer, et le fou, c’est que le premier garde cette enveloppe du moi (même si elle est un peu poreuse), tandis que le second (l’anormal, le schizophrène) la voit exploser. Il se retrouve alors dans l’indifférencié où le pire côtoie le meilleur. Certains patients reviennent parfois d’un « voyage extatique » où ils se sont vécus comme tout puissant, nageant dans un bonheur total… et trois jours après, on les retrouve aux prises avec des pulsions meurtrières ou une angoisse démesurée, parce qu’ils sont allés voir du côté opposé. On peut dire, en reprenant Freud, que les psychotiques ont l’inconscient à ciel ouvert : c’est le chaos.

Comment être fou de façon constructive ?

Par le génie (rires). Un génie est quelqu’un qui est capable de conserver son intuition, sans pour autant se laisser complètement posséder par elle. Pour cela, on se met en quête de connaissance de soi-même, on ouvre ses propres œillères à ce qui relève de l’inexploré. Plus j’avance dans ma propre quête, et plus je me rends compte que la dimension de l’inconscient offre des espaces d’une immensité absolument incroyable par rapport à un niveau de conscience plus ordinaire, et que l’inexploré est infiniment plus vaste que l’exploré. En fait, on ne connaît vraiment pas grand-chose ! Nous vénérons le scientisme: l’homme se croit dans la toute-puissance, capable de tout connaître. Alors qu’en fait, plus on connaît, plus l’espace de l’inconnu s’ouvre.

Disposez-vous d’outils – intuitifs ou cliniques – vous permettant de faire la différence entre un phénomène de nature pathologique (de l’ordre de l’irréel) et un phénomène de nature extraordinaire, non pathologique (de l’ordre du réel)?

On peut rapprocher cette question de la grande différence qui existe entre une vision et une hallucination. Le visionnaire est quelqu’un qui a les pieds sur terre, qui est ancré dans le réel et qui va essayer de mettre ses visions au service de sa communauté. Le visionnaire reste conscient pendant sa vision, il est capable d’un regard critique et d’un questionnement par rapport à elle, il témoigne en étant ancré dans la réalité et dans sa relation à l’autre.

Au contraire, en cas d’hallucination, le schizophrène va avoir des visions du diable par exemple, et en même temps des hallucinations auditives, avec la conviction délirante que tout cela est réel, et en le clamant partout. Il va alors se sentir assujetti à ce support visuel au point qu’il n’est plus sujet, mais objet de son hallucination. Aujourd’hui, malheureusement, beaucoup de gens confondent le visionnaire avec l’halluciné.

La société peut-elle accepter ce genre d’approches ?

Si un initie comme Saint François d’Assise venait aujourd’hui dans le cabinet d’un psychiatre très scientiste, il serait immédiatement envoyé à Sainte-Anne pour y recevoir en urgence une injection de neuroleptiques. Saint François dialoguait avec les oiseaux, les plantes, l’environnement, ce qui faisait de lui un visionnaire extraordinaire d’une grande transparence, totalement adapté à son propre milieu, à sa réalité contextuelle du moment, même s’il était loin des standards de la pensée unique des marchands de son époque. A-t-on le droit, de nos jours, de se tenir loin des standards de la pensée unique de notre société de consommation ? C’est la grande question, certes dangereuse mais à laquelle je m’expose néanmoins, car je pense que si l’homme est assujetti à cette pensée unique, il perd sa dignité de sujet et chute au rang d’objet de consommation pour lequel tout est préprogrammé, aseptisé, standardisé. Il perd son âme. Or, ce qui fait que l’humain a une âme est sa capacité à s’ouvrir à l’inexploré, à la dimension de l’indifférencié, en s’attachant à mettre en lumière ce qu’il n’a pas encore compris ; plus il avance dans sa compréhension et son exploration de ce qu’il ne connaît pas, plus il élargit le champ de conscience de sa société.

Avez-vous eu des patients témoignant d’expériences spirituelles ?

Selon moi, lorsque l’on entreprend un cheminement intérieur, avec toute la part d’indifférencié incluse dans notre monde intérieur, on débouche forcément, tôt ou tard, sur la question du sens. Cette question du sens est reliée à la façon dont nous nous positionnons par rapport à la spiritualité. La question du spirituel est celle de l’Inconnu, de l’inexploré, elle peut redonner une force extraordinaire à des personnes qui sont venues consulter, prisonnières de leur propre histoire et de traumatismes dont elles se sentaient incapables de sortir. Alors, les gens s’ouvrent complètement à ce pour quoi ils sont faits, à toutes les potentialités présentes en eux mais qui avaient été jusqu’ici étouffées par leur problématique.

Considérez-vous que le domaine médical de la santé mentale manque d’outils pour travailler sur la souffrance d’une façon qui permette de préserver la richesse des états particuliers qui l’accompagnent ?

Le choix de notre société, c’est d’étendre une sorte de couverture de masse venant effacer les symptômes, la douleur, la souffrance – que ce soit dans le domaine de la médecine ou de la psychiatrie. On a oublié l’affirmation de Claude Bernard, qui disait en son temps : « Le symptôme n’est rien, le terrain est tout ». A part les homéopathes et ceux qui travaillent dans le champ des médecines alternatives, les médecins conventionnels ne s’intéressent pas au terrain et ils n’en ont d’ailleurs ni la possibilité ni le temps de passer une heure avec un patient.

De la même manière, il est facile de jeter la pierre aux psychiatres qui prescrivent beaucoup, pourtant ils répondent à une demande d’effacement pur et simple des symptômes de la part de nombreux patients qui ne veulent rien de plus. En associant un antidépresseur avec un anxiolytique et un somnifère, on arrive à tenir le coup, sans avoir rien résolu par ailleurs. C’est ainsi qu’on en arrive à une durée moyenne de traitement d’environ huit ans après la prescription d’un antidépresseur. Il y a des personnes qui ont commencé leur traitement à 30 ans et qui, aujourd’hui âgées de 60 ou 80 ans, ne peuvent plus se passer de leurs pilules; elles trouvent normal de vivre ainsi. Si ces personnes ne veulent pas aller fouiller dans leur propre histoire pour éclaircir les zones d’ombre qui font si mal à l’intérieur, quelle autre solution ?

Les solutions existent-elles justement ?

Bien sûr ! Mais elles sont décriées, à l’instar de la psychothérapie pratiquée de façon humaniste qui participe d’une approche intégrative de l’être humain et qui n’est pas du tout une chapelle. Il serait temps que les psychiatres et les psychothérapeutes sérieux collaborent les uns avec les autres. Ce sont des métiers différents. Lorsque je suis psychiatre, je ne suis pas psychothérapeute, et réciproquement.

Pendant fort longtemps le titre de psychothérapeute n’était pas réglementé et un certain nombre de charlatans s’en sont emparés. J’ai donc très tôt participé à des fédérations de psychothérapeutes qui demandaient une loi permettant de réserver le titre à des gens qui avaient une formation vraiment sérieuse en psychothérapie.

Comment évaluer la qualité d’un psychothérapeute?

C’est d’abord quelqu’un qui a fait un travail très approfondi sur lui-même, qui a suivi une psychanalyse ou une psychothérapie. Le deuxième critère, c’est d’avoir suivi une formation clinique et méthodologique sérieuse, sur plusieurs années, répondant à certaines exigences. Un troisième critère est celui de la supervision, à laquelle tout bon psychothérapeute doit se soumettre aussi longtemps qu’il exerce. Le dernier critère est celui de la reconnaissance par les pairs.

Propos recueillis par Stéphane ALLIX

*Décompensation : Lorsque la personne bascule, et que tout ce qui lui permettait de compenser les aléas de la vie – refoulement, soutien social, etc. -, s’effondre en laissant apparaître un symptôme spectaculaire – aggravation brutale, passage à l’acte, hallucinations, délires …

Yehouda M. Guenassia
Psychothérapeute

Mishmarot Street, 4 –  Jerusalem
Tel: 05 24 31 14 01

De France (appel local) :  01 77 47 17 01
From USA (local call):  72 04 77 64 16
Email:  yehouda72@gmail.com
Site:      www.therapienligne.com

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