Dix-huit facultés, trois Prix Nobel… L’Institut technologique de Haïfa est le vivier de toute l’industrie israélienne, dans ce petit pays devenu un géant de la high-tech. A l’origine de 80 entreprises, le Technion fonctionne comme un incubateur et évolue régulièrement pour suivre au plus près les techniques.

« En Israël, on trouve quasiment un diplômé du Technion derrière chaque usine de dessalement d’eau, chaque autoroute et chaque start-up.  » Issu de l’Institut technologique de Haïfa, souvent présenté comme l’équivalent du célèbre MIT, Yossi Vardi parle en connaissance de cause. A 72 ans, ce « serial entrepreneur » a participé à la création d’une bonne soixantaine d’entreprises high-tech dans l’informatique, l’énergie, le traitement de l’eau ou Internet… Et la jeune génération n’est pas en reste. Originaire de Kiev, Kira Radinsky, 27 ans, n’a pas attendu la fin de son doctorat en informatique au Technion pour découvrir le milieu de l’entreprise : remarquée par Microsoft, elle a eu la chance de travailler trois ans aux Etats-Unis sur un logiciel prédictif avec Eric Horvitz, le codirecteur de la recherche du géant de Redmond. « En 2012, j’ai cofondé la start-up SalesPredict qui offre aux entreprises des solutions logicielles pour améliorer leur performance commerciale », explique-t-elle depuis Tel Aviv, où elle présentait son « bébé » devant l’Institut Orange, le think tank de l’opérateur français dédié aux innovations numériques. Sélectionnée par le MIT parmi les 35 chercheurs mondiaux les plus prometteurs, Kira Radinsky ne compte pas en rester là. « A 40 ans, j’espère que j’aurai accompli de grandes choses, avec une vision et pas dans le seul but de gagner de l’argent ou d’inventer un meilleur algorithme de trading ! » confie cette énergique brunette qui aspire « à changer le monde » en marchant dans les pas de Bill Gates. Rien de moins.

Une start-up pour 2000 habitants

Avec une densité record d’une start-up pour 2 000 habitants, Israël se considère d’ailleurs volontiers comme « une start-up nation » . Pas plus grand que la Bretagne, dépourvu de ressources naturelles, ce petit pays de 8 millions d’habitants, au milieu naturel aride et à l’environnement géopolitique hostile, a très tôt lutté contre l’adversité. Faute de pouvoir établir des relations commerciales avec ses voisins, il a très vite misé sur la matière grise et la grande exportation, en priorité vers l’Amérique du Nord. Les parcours de Yossi Vardi ou de Kira Radinsky illustrent à merveille ce qui caractérise le pays : l’appétit d’entreprendre et la volonté de participer à un projet collectif. Israël continue d’ailleurs à attirer des immigrants – dont de plus en plus de Français -, guidés par leurs convictions ou l’esprit d’aventure. « J’ai tout laissé tomber pour venir ici en 1998, à 21 ans, raconte Jérémie Kletzkine. Sans réseau ni diplôme, mais avec une petite expérience de développeur informatique, j’ai appris tout seul la technologie Flash, puis monté une entreprise de services avec un autre Français. » Depuis, Jérémie Kletzkine a accumulé les expériences aux Etats-Unis et en Asie. Après la vente à Apple de l’entreprise PrimeSense, dont il avait en charge le développement commercial, il s’apprête à rebondir. L’homme est également actionnaire ou conseiller d’une douzaine d’entreprises innovantes et de l’accélérateur du Technion.

80 entreprises à son actif

A lui seul, l’Institut a enfanté quelque 80 entreprises dans des secteurs aussi variés que l’informatique (Comverse), les télécoms (AudioCodes) ou encore le biomédical (Given Imaging). Et il investit régulièrement dans des sociétés créées hors de son giron. Très tôt, le pays a dû innover sous contraintes. Conçu au début du XXe siècle par des ingénieurs sionistes venus d’Allemagne, le Technion s’est d’abord concentré sur le développement des infra-structures pour couvrir les besoins en eau, en nourriture et en énergie d’une population très dense. « Dès les années 60, rappelle le vice-président de la recherche, Noam Adir, l’institution a diversifié ses enseignements vers la microélec¬tronique, orientant le pays vers le high-tech, devenu le véritable moteur de l’économie israélienne. » Une spécialité qui a été fortement poussée par les impératifs de défense des frontières de l’Etat hébreu et dopée avec l’arrivée massive d’ingénieurs russes dans les années 90. A elles seules, les technologies de pointe représentent 15% du produit intérieur brut et 40% des exportations.

La vitalité de l’écosystème du Technion suscite l’appétit des grands de l’infor¬matique, des télécoms et d’Internet qui viennent régulièrement faire leurs emplettes sur le campus du mont Carmel, à Haïfa. De nombreuses entreprises étrangères se sont implantées à proximité, dans le Silicon Wadi, l’étroite bande côtière qui s’étire de Haïfa à Tel Aviv. C’est le cas d’IBM, la première américaine à installer sur place un chercheur en 1972. « Au départ, il était même hébergé sur le campus », raconte Alain Azagury, directeur de la stratégie technique des logiciels du groupe. Les équipes locales comptent aujourd’hui 2 300 personnes et IBM a construit son propre centre de R&D à moins de 5 km de là pour assurer une veille technologique et, au besoin, racheter de jeunes pousses prometteuses ! Le géant a récemment acquis Trusteer, un spécialiste des systèmes de sécurisation des transactions via Internet. « C’est important de nouer des liens avec les start-up dès le début pour qu’elles créent leurs produits sur la base de ceux d’IBM, précise Alain Azagury, lui-même diplômé du Technion en informatique. Le groupe identifie ainsi une dizaine de technologies innovantes par an, dont certaines impactent directement sa stratégie mondiale. »

Le MIT pour modèle

Réputé pour la qualité de ses formations dans l’informatique, le génie électrique, la biologie ou encore la médecine, le Technion compte actuellement dix-huit facultés. Pionnier dans la multiplication de passerelles entre la bio¬logie, l’ingénierie et la physique, il crée régulièrement de nouveaux départements au gré de l’évolution des techniques ou de l’environnement. « Ces cinq dernières années, nous avons ouvert un centre de nanotechnologies et lancé un diplôme d’ingénierie gazière, après la découverte de réserves d’hydrocarbures au large de nos côtes », explique Noam Adir. Pour Manuel Trajtenberg, le directeur du comité de planification et de budget du Conseil de l’éducation supérieure d’Israël, « le Technion se nourrit de deux ingrédients : l’ingénierie, fer de lance du high-tech local, et la science, qui a généré trois Prix Nobel. C’est le modèle du MIT adossé au Media Lab sans oublier le virus de l’entrepreneuriat, véritable trait israélien ». En effet, après deux ans d’armée pour les femmes et trois ans pour les hommes, les jeunes Israéliens sont généralement plus âgés que la moyenne des étudiants de l’OCDE lorsqu’ils entrent à l’université. Mais ils ont été confrontés à des situations inédites, parfois dangereuses, qui exigent des prises de risques et des décisions rapides. « Leur tolérance au risque est plus élevée que celle des Américains, des Chinois ou des Allemands », constate Mia Erez, responsable du centre de la connaissance de l’innovation du Technion.

Enseigner « l’entrepreneuriat technologique »

Ils bousculent davantage l’autorité et ne redoutent pas l’échec. Dov Moran en est un bon exemple. Après avoir fait fortune en inventant la clé USB en 1998, ce diplômé en génie électrique du Technion a connu de sérieux déboires avec son smartphone Modu torpillé par le lancement de l’iPhone qui l’a obligé à mettre la clé sous la porte, après avoir englouti 120 millions de dollars. Google en a racheté les brevets. « Mon passage au Technion m’a enseigné l’humilité, confie-t-il. Il m’a appris qu’une déconvenue est toujours synonyme de seconde chance. » Sans se laisser abattre, il développe à présent un dispositif destiné à transformer chaque téléviseur en « smart TV ». De longue date, à l’instar des universités américaines, le Technion encourage vivement les étudiants à transformer leurs idées innovantes en projet commer¬cial, aidés par une batterie de dispositifs de soutien et de tutorat. Dès 1986, Dan Shechtman, à l’époque professeur à la faculté des matériaux – Prix Nobel de chimie 2011 – a initié un cours sur « l’entrepreneuriat technologique ». Dispensé chaque hiver par un panel d’entrepreneurs israéliens, ce module, qui fait aussi intervenir des juristes ou des acteurs du capital-risque, a enregistré 600 inscrits dès son lancement. « Avec 10 000 étudiants formés à ce jour, c’est l’un des cours les plus recherchés du Technion, déclare avec satisfaction la vedette du campus, toujours aux manettes à 73 ans. Réservé initialement aux apprentis entrepreneurs, il est maintenant ouvert à tous : qui sait d’où viendra la prochaine idée géniale ! »

LE TECHNION EN CHIFFRES

70% des ingénieurs israéliens sont formés au Technion.
3 enseignants prix Nobel
78e du classement de Shanghai 2014 des 100 meilleures universités.
18e dans le même classement pour l’informatique.

Sources : Technion, Arwu

Le Technion a été également l’une des premières universités au monde à se doter, en 1995, d’un bureau de transfert de technologies. « A raison de 80 dépôts de brevets par an, l’institut finance déjà avec ses royalties 40% d’un budget de recherche de 80 millions de dollars, explique le directeur du développement commercial, Isaac Tzachy. L’objectif est d’atteindre 100% d’ici dix ans. »

Une institution qui sait prendre des risques

L’institut centenaire n’hésite pas à prendre des risques. Et cela paie. Il y a huit ans, le Technion avait recruté Hossam Haick et financé son premier projet de recherche, un nez électronique capable de diagnostiquer un cancer en analysant l’haleine du patient. En début d’année, l’Institut s’est engagé avec l’Inserm pour créer un laboratoire international sur le sujet, qui sera dirigé par le chercheur arabe israélien, et a signé une joint-venture avec l’américain Alpha Szenszor pour une commercialisation d’ici 2020. « C’est une institution qui sait prendre des risques, car c’est finalement la seule façon de générer de l’innovation, » reconnaît Hossam Haick, Prix d’excellence Marie Curie (une distinction décernée par la Commission européenne). A l’heure où les grandes universités se livrent une bataille féroce pour attirer les meilleurs talents, le Technion doit déployer l’artillerie lourde pour continuer à séduire. Et ce d’autant plus que la Chine et l’Inde forment à tour de bras des ingénieurs à des tarifs très compétitifs. L’Institut israélien construit de longue date un réseau d’antennes en Amérique du Nord, au Brésil, en Australie et en Europe (la prochaine ouvrira à Monaco en novembre) pour faciliter les coopérations avec le monde académique et les entreprises ; à présent il exporte sa marque. Aux Etats-Unis, il s’est associé en 2011 avec l’université Cornell pour créer un campus technologique sur la Silicon Island à New York. En Chine, il doit ouvrir en 2017 une institution sœur avec l’université de Shantou dans la province du Guangdong.

Lien : http://www.lesechos.fr/enjeux/business-stories/globalisation/0203728420387-le-technion-temple-israelien-de-la-matiere-grise-1039078.php

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