Après avoir piloté le quotidien « The Guardian », Carolyn McCall, diplômée de sciences politiques, dirige EasyJet depuis 2010. Entretien.

Capital : Air France veut faire du low-cost avec sa filiale transavia. Ça vous inquiète ?
Carolyn McCall : Non. Nous sommes attentifs à toute forme de concurrence bien sûr, mais Transavia ne nous inquiète pas plus que Ryanair ou Norwegian… Une chose est sûre, toutes les grandes compagnies traditionnelles perdent des millions d’euros sur le court et le moyen-courrier. Jusqu’ici, leurs projets dans le domaine ont échoué. Etre low-cost, ça ne s’improvise pas, ce n’est pas aussi simple que cela en a l’air. Il ne suffi t pas de réduire ses coûts de personnel pour y arriver. Nous rémunérons nos salariés au prix du marché. C’est surtout une question de culture d’entreprise : chez EasyJet, nous pensons low-cost à chaque instant, cela influence notre façon de travailler dans les moindres détails.

Capital : Concrètement, comment maintenez vous vos coûts aussi bas ?
Carolyn McCall : Nous sommes partis de zéro, il y a vingt ans, sans avoir à supporter une grosse structure de coûts comme les compagnies historiques. Notre modèle a été entièrement pensé pour qu’il soit le moins cher possible : notre flotte est composée d’avions modernes, qui ne consomment pas trop de carburant et que nous renouvelons régulièrement. Nous nous efforçons aussi de réduire les temps de rotation des appareils au sol, afin qu’ils soient le plus souvent possible en vol. Nous n’avons pas de grandes équipes de management et nous nous sommes développés en Europe sans multiplier les bureaux partout : nos collaborateurs sont très mobiles, font beaucoup d’allers-retours depuis le siège de Luton, près de londres.

Capital : Vous êtes devenue la compagnie la plus rentable d’Europe. Comment avez vous fait ?
Carolyn McCall : Nous nous sommes mis dans la peau du passager pour rendre le voyage plus facile et moins cher. Il y a quelques années, beaucoup de gens nous fuyaient parce qu’ils étaient effrayés par le système de placement libre à bord et par la cohue que cela pouvait générer : nous avons testé l’attribution automatique de sièges au moment de la réservation, ça a marché, et nous l’avons généralisée. Nous avons aussi amélioré la formation de notre personnel de cabine, afin qu’il soit plus souriant, plus attentif aux besoins des passagers. Enfin, nous avons utilisé la technologie : nous tenons nos clients informés du statut du vol en temps réel via leur mobile, nous leur envoyons par exemple des SMS en cas de retard… Tout cela nous a permis d’attirer de nouveaux clients, au pouvoir d’achat plus élevé : voyageurs d’affaires, retraités, etc.

Capital : Pourtant vous ne connaissiez rien à l’aérien quand vous êtes arrivée : vous dirigiez un groupe de presse («The Guardian»)…
Carolyn McCall : Le transport aérien est un secteur comme un autre, vous savez. On y trouve un tas d’experts qui disent connaître beaucoup de choses sur ce business : comment gérer une compagnie, organiser sa flotte, etc. C’est très bien. Mais au final, l’essentiel, c’est que les passagers soient satisfaits du produit, comme dans n’importe quelle autre entreprise.

Capital : Quelle est la part des voyageurs d’affaires dans votre clientèle ?
Carolyn McCall : Nous avons fait beaucoup d’efforts depuis quatre ans pour réussir à capter cette clientèle. L’intérêt pour nous était double : les voyageurs d’affaires permettent de remplir les avions en basse saison et dépensent plus en moyenne. Avant tout, nous avons travaillé à améliorer notre taux de ponctualité, qui est près de 90%, contre 75% il y a cinq ans. Pour cela, nous avons optimisé les opérations au sol, amélioré la gestion des incidents à l’origine des retards… Cela nous a permis d’être plus crédibles auprès de cette clientèle. Ensuite, nous avons développé des services dédiés, comme les billets Flexi, échangeables jusqu’au dernier moment, qui donnent le droit à un bagage en soute ainsi qu’à un accès prioritaire à l’embarquement. Cette année, nous avons transporté 12,3 millions de voyageurs d’affaires, un chiffre en progression de 9% par an depuis 2012. Ils représentent 20% de notre clientèle. En France, 40% du CAC40 vole avec nous, et sur certaines routes, comme Paris-Toulouse, nous comptons 45% de voyageurs d’affaires.

Capital : Ryanair vous attaque sur ce segment. Cela a-t-il eu un impact ?
Carolyn McCall : Pas du tout. Nos bénéfices, de 475 millions d’euros en 2013, vont encore augmenter d’une centaine de millions d’euros cette année. Nous sommes flattés que Ryanair veuille nous imiter, mais ils sont encore loin derrière… Cela nous a pris des années pour améliorer notre service clients, notre image, construire un réseau de destinations à la fois loisirs et affaires efficace et cohérent. Eux ne desservent pour l’instant quasiment que des aérodromes secondaires, comme Beauvais, près de Paris, ou Ciampino, à Rome, alors que nous utilisons les grands aéroports.

Capital : Etes-vous encore une compagnie low-cost ?
Carolyn McCall : Oui ! le prix moyen du billet a certes augmenté (NDLR: il est aujourd’hui de 82 euros l’aller en moyenne), mais dans les mêmes proportions que nos concurrents. Nous avons développé de nouveaux services, mais nous ne nous sommes jamais éloignés du modèle low-cost : il n’a ainsi jamais été question pour nous de créer une classe affaires ou d’investir dans de coûteux salons-lounges dans les aéroports.

Capital : Imaginez-vous de nouveaux services à bord à l’avenir?
Carolyn McCall : Nous avons un tas d’idées, mais je ne vous les dirai pas, sinon Ryanair nous copierait ! Plus sérieusement, nous essayons sans cesse des nouveautés. Récemment, nous avons testé des façons d’accélérer le processus d’embarquement, par exemple en faisant monter les passagers dans l’ordre de leur numéro de siège. Mais cela ne s’est pas révélé très concluant.

Capital : Quelles sont vos perspectives de croissance en France ?
Carolyn McCall : Le potentiel pour nous y est encore immense : le low-cost ne représente que 24% du marché court et moyen-courrier, contre 57% au Royaume-Uni. D’après nos enquêtes, trop peu de passagers savent par exemple qu’Easy Jet est l’une des compagnies les plus ponctuelles d’ Europe.

Capital : Le coût du travail en France a-t-il freiné votre développement ?
Carolyn McCall : C’est sûr qu’en France embaucher quelqu’un coûte plus cher qu’ailleurs. Mais la législation locale ne nous a pas empêchés de croître rapidement : votre pays est aujourd’hui notre deuxième marché. Nous avons cinq bases sur le territoire (Orly, Roissy, Lyon, Nice et Toulouse), où nous employons 1.022 personnes. Et cela va continuer à augmenter : en 2014, nous avons ouvert 24 nouvelles routes depuis la France (la Rochelle-Genève, Lyon-Figari, Montpellier-Rome…), et nous allons sans doute poursuivre à ce rythme en 2015.

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