Patrick Drahi, le nouveau propriétaire de SFR qui viendrait de proposer près de 7,5 milliards d’euros pour racheter Bouygues Télécoms, et Xavier Niel, le fondateur de Free, se font la guerre sur tous les terrains. Un choc de personnalités, aussi.

Depuis cet incident, ils ne s’adressent plus la parole. Le 21 mars 2011, Xavier Niel découvre le violent portrait que lui a consacré le quotidien israélien «Yediot Aharonot». En plein processus d’attribution d’une licence mobile dans le pays, l’article prend un malin plaisir à rappeler les débuts canailles du patron de Free dans les peep-shows et le Minitel rose… Pour ce dernier, cela ne fait aucun doute : Patrick Drahi est à la manœuvre. N’est-il pas un proche du propriétaire du journal, Arnon Mozes, avec qui il s’est associé dans un opérateur télécoms local ? Niel décroche son téléphone, furibard : «C’est impardonnable, je ne te parlerai plus pendant dix ans», lui explique-t-il en substance.

Jusqu’alors, les deux hommes dînaient ensemble au moins deux fois par an. Sans être amis, le polytechnicien né à Casablanca et l’autodidacte de Créteil avaient en commun de s’être faits tout seuls, contre l’establishment. Mais depuis quatre ans, la ligne est toujours coupée et les sujets de fâcherie se sont même multipliés au fil de leurs ambitions tentaculaires. Télécoms, médias, éducation… il ne se passe plus un mois sans que l’un intervienne sur le terrain de l’autre. On n’avait plus vu un tel affrontement dans le business français depuis la guerre que s’étaient livrés François Pinault et Bernard Arnault au cours des années 1990 dans l’univers du luxe.

Télécoms : Niel veut relancer la guerre des prix pour asphyxier SFR

«On va lui expliquer comment ça marche», glisse Xavier Niel à ses troupes au sujet de la prise de contrôle de SFR par Altice, le groupe de Patrick Drahi. On le sait, ce dernier a contracté une montagne de dettes pour racheter l’opérateur au carré rouge l’an passé. Et il a désormais l’œil rivé sur ses marges, indispensables pour rembourser. Free compte relancer la guerre des prix dans le mobile pour déstabiliser son nouvel adversaire.

A défaut de pouvoir suivre sur ce terrain, Drahi a commencé à tailler dans les coûts de SFR, réputés élevés. Mi-novembre, il a d’abord débarqué la quasi-totalité des membres du comité exécutif, ainsi qu’une quarantaine de directeurs. «Ca a créé un vrai choc chez les salariés et une ambiance glaciale au siège», commente Fabrice Pradas, délégué syndical central Unsa. Dans la foulée, dès le 18 décembre, la nouvelle direction a présenté ses quinze chantiers prioritaires en comité central d’entreprise. «C’est impressionnant de voir comment ils ont scanné la boîte en si peu de temps, poursuit Fabrice Pradas. Ils sont très pointus techniquement.» Déjà, SFR commence à mettre fin aux contrats de nombreux sous-traitants – ils étaient parfois quatre sur une même tâche ! – ou à renégocier leurs tarifs. Ce n’est pas tout, Drahi serait prêt à faire une nouvelle grosse acquisition en France : il viendrait de proposer près de 7,5 milliards d’euros pour Bouygues Télécoms, offre qui aurait été refusée mais les discussions se poursuivraient.

Le duel entre les deux milliardaires des télécoms, qui n’ont pas souhaité nous recevoir, ne se cantonne pas à l’Hexagone. En plus d’Israël, ils pourraient bientôt s’affronter en Suisse, où Xavier Niel vient de racheter l’opérateur mobile Orange pour 2,3 milliards d’euros. Et serait tenté de le transformer rapidement en fournisseur d’accès Internet afin de concurrencer l’offre de Green.ch, propriété d’Altice.

Au vu de leur boulimie, les zones de conflits devraient vite se multiplier. Déjà présent en Belgique et au Luxembourg, Patrick Drahi finalise l’achat de Portugal Telecom pour 7,4 milliards d’euros. Quant à Xavier Niel, s’il a raté T-Mobile aux Etats-Unis, il a racheté Monaco Telecom en mai, puis investi en juillet dans MyRepublic, un opérateur singapourien actif en Nouvelle-Zélande et qui ambitionne de se développer en Australie ou en Malaisie. A titre personnel, Niel est aussi actionnaire d’opérateurs en Afghanistan, au Kosovo et dans une demi-douzaine d’autres pays qu’il garde secrets.

Israël : après le mobile, leur duel se déplace dans le téléphone fixe

Alors qu’il aurait pu jouer les entremetteurs entre Patrick Drahi et Xavier Niel, Michaël Boukobza a au contraire renforcé leur inimitié. En 2009, l’ancien directeur général de Free avait rejoint Patrick Drahi en Israël pour l’aider à lancer un opérateur mobile, Hot. Et ce malgré l’avertissement de Niel : «Méfie-toi, tu vas te faire avoir.» De fait, la collaboration n’a pas duré longtemps. Boukobza, qui a adopté le nom de Golan en Israël, a rompu mi-2010 avec son partenaire, lui reprochant de ne pas lui avoir confié les responsabilités et les parts du capital promises. Pire, il a lancé son propre opérateur en 2011, Golan Telecom. «Il est parti nous concurrencer avec le business plan de Hot mobile sous le bras», fulmine-t-on dans le camp Drahi. Depuis, les deux sociétés se rendent coup pour coup. Quand Hot baisse son forfait illimité à 40 shekels (environ 9 euros) le 29 décembre dernier, Golan Telecom réplique deux jours plus tard en descendant le sien à 37 (8 euros). Courant 2015, ce conflit s’élargira au triple play (Internet, téléphone fixe, télévision). «Hot le propose à 80 euros par mois, on va venir dynamiter ce marché», indique-t-on dans l’entourage de Michaël Golan. Pour Drahi, l’enjeu financier est important. Le bénéfice qu’il réalise avec Hot – 363 millions d’euros d’Ebitda en 2013 – pèse très lourd dans les comptes de son groupe. Au point que, selon nos informations, démenties par l’intéressé, il aurait tenté de racheter Golan Telecom l’été dernier en proposant 300 millions d’euros à ses vieux ennemis.

Education : ils se battent pour repérer les meilleurs étudiants

En avril dernier, Patrick Drahi a signé l’un des plus gros accords de mécénat dans l’éducation en s’engageant à verser 10 millions d’euros sur dix ans aux écoles de l’Institut Mines-Télécom afin de les aider à développer des Mooc (Massive online open courses), ces fameux cours sur Internet qui se répandent partout dans le monde. Il aidait déjà les étudiants boursiers de ces établissements à hauteur de 100.000 euros par an. Mais au petit jeu de qui donne le plus, c’est Xavier Niel qui a fait le plus gros chèque. Et il ne se prive pas de faire la comparaison dans les dîners parisiens. Totalement gratuite, l’école d’informatique 42, qu’il a ouverte fin 2013, devrait lui coûter 70 millions d’euros sur dix ans. Et plus encore s’il ouvre des antennes. Le fondateur de Free réfléchit en effet à développer le 42 dans le quartier de la Défense, voire aux Etats-Unis.

Médias : face au groupe Le Monde-L’Obs, Drahi construit Libération-L’Express

En privé, Xavier Niel se moque de son rival, qui n’achèterait des médias que pour renforcer son pouvoir d’influence, quand lui mènerait une vraie stratégie d’industriel, en compagnie de ses associés Pierre Bergé et Matthieu Pigasse. Après avoir remis les comptes du «Monde» d’équerre et entamé une grosse restructuration de «L’Obs», le patron de Free aimerait mettre la main sur LCI, recentré sur le contenu vidéo haut de gamme et payant. Il n’a pas perdu espoir de convaincre Martin Bouygues de passer outre son inimitié personnelle et de lui céder la chaîne.

En face, Citizen Drahi revendique aussi une «stratégie industrielle». Le groupe Altice Media Group, qu’il est en train de bâtir en association avec Marc Laufer, pourrait peser 300 millions d’euros de chiffre d’affaires. En plus de «Libération» et de «L’Express», on y trouve «L’Expansion», «01 net», «Mieux vivre», «Lire», «Studio» et peut-être bientôt Radio Nova, pour laquelle Patrick Drahi a déposé une offre. La chaîne d’info en continu i24news, qu’il a lancée à Tel-Aviv en 2013, fait également partie de la structure. Ce n’est pas la préférée de Xavier Niel qui, en privé, la juge un peu trop proche de l’actuel gouvernement israélien. Même sur la politique, on ne les mettra pas d’accord !

Gilles Tanguy

PARICK DRAHI

Avril 2014 : il offre 10 millions d’euros aux écoles télécoms

Avril  2014 : il s’empare de SFR, le 2e opérateur français

Décembre 2014 : il achète Portugal télécoms pour 7,4 milliards d’euros

Janvier 2015 : il se paie « L’express », huit mois après « Libération »

XAVIER NIEL

Mars 2013 : il créé une école informatique gratuite à Paris

Janvier 2014 : il achète « le nouvel Obs », après « le Monde »

Décembre 2014 : il acquiert Orange Suisse, après Monaco télécom

Année 2015 : il se lance dans le fixe en Israël, face à Drahi

Côté coulisses, tout les oppose

Drahi et la Famille : son épouse l’accompagne souvent en déplacement et, pour rien au monde, il ne raterait le dîner du vendredi soir avec ses quatre enfants. Son espoir : les enrôler chez Altice et leur passer le flambeau à terme.
Niel et la famille : comme cela se fait beaucoup aux Etats-Unis, Xavier Niel a choisi de ne pas léguer son empire à ses enfants. Tout juste leur a-t-il fait des donations.

Drahi et la tenue : depuis qu’il a racheté SFR, Patrick Drahi fait des efforts vestimentaires. Fini les costumes élimés, les chemisettes premier prix et le sac à dos de collégien qui lui servait d’attaché-case.
Niel et la tenue : au bureau comme à la maison, il ne quitte jamais son jean et sa chemise blanche, parfois négligemment déboutonnée. Il daigne simplement enfiler une veste quand il est reçu à l’Elysée.

Drahi et les mondanités :il fuit les cocktails et compte peu d’amis dans le gotha du business. Désormais poids lourd des télécoms, il est reçu par les ministres, comme Emmanuel Macron en décembre.
Niel et les mondanités :  il s’en défend, mais il a rejoint l’establishment. On le croise dans les loges de Roland-Garros, au Parc des Princes avec Nicolas Sarkozy et Jay-Z, ou aux pince-fesses de LVMH en compagnie de Delphine Arnault.

© Capital

1 COMMENTAIRE

  1. Quand vous dites que i24 News est proche du gouvernement vous faites une grossière erreur
    C’est une chaine tres s gauche loin du gouvernement de Bibi

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