L’humain est ainsi fait, programmé pourrait-on dire, pour satisfaire ses besoins de survie comme se nourrir, se reproduire, se protéger des intempéries. Depuis sa naissance, il cherchera ‘’instinctivement’’ à fuir douleur et inconfort pour se mettre en quête permanente de plaisir afin d’éviter autant que faire se peut le…déplaisir. Selon S. Freud, le fonctionnement mental est régi par le principe de plaisir.

C’est la confrontation aux autres qui va y mettre des limites : le jeune animal, en se battant avec ses congénères, apprend qu’il n’est pas omnipotent, que les autres existent et doivent être pris en compte. Dans une société humaine, ce sont les adultes, en premier lieu les parents, qui imposent des limites à la toute puissance du jeune enfant en disant …Non ! Ainsi, apparaît au cours du développement comme modification adaptative du principe de plaisir, le principe de réalité.

La recherche du plaisir, du confort, , même la paresse ou la procrastination ne sont pas en soi des pathologies, tant que le principe de réalité s’impose à l’individu et que celui-ci accepte de se plier à des contraintes nécessaires. C’est bien le refus total de toute contrainte ou frustration qui caractérise l’individu roi.

L‘individu roi, en cherchant toujours la jouissance, n’est au fond jamais réellement satisfait. N’ayant pas assimilé le principe de réalité, il ne supporte pas la réalité, ou plutôt, il ne supporte pas les contraintes que lui imposent la réalité. Il ne veut pas se ‘’prendre la tête’’, c’est le CBB (Can’t Be Bored). Il fait preuve de procrastination, et considère que ce qui lui arrive de négatif n’est jamais de sa faute, que le ‘’lieu de maîtrise’’ de sa vie est externe  à lui (External Locus of Control). Il est donc fragile face à l’adversité et rendu ainsi fondamentalement incapable d’être heureux. Ce refus de la réalité et cette recherche de la jouissance à tout prix peuvent le  conduire à la dépression, aux addictions de toutes sortes et éventuellement au suicide.

L’individu roi considère les autres, ses relations sociales ou professionnelles, sa famille comme des faire-valoir. Il s’intéresse à eux tant qu’ils le valorisent, mais les fuit ou les délaisse lorsqu’il ne retire plus de plaisir à la relation. Il tente d’imposer son point de vue à tout prix par différentes stratégies, par exemple la séduction, et cherche à déléguer toutes les tâches contraignantes. Niant toute contrainte sociale, il fait preuve d’incivisme.

Didier Pleux spécialiste du sujet, dans sa trilogie éditée chez Odile Jacob nous indique que  certains adultes rois deviennent même incapables de faire intervenir une quelconque morale dans leurs prises de décision. ‘’Devenant amoraux, ils peuvent devenir immoraux, de véritables tyrans’’. Cette situation serait aussi un terreau favorable pour le développement du fascisme : perdu face à cette liberté sans borne, l’individu roi accepterait le cadre rigide d’un système autoritaire, et ce d’autant plus qu’il y serait valorisé et que des boucs émissaires seraient désignés comme étant la source de ses problèmes.

L’individu roi commence dans la vie en étant un enfant roi.

La plupart des enfants rois vivent dans l’impunité (ils sont apparemment imperméables aux sanctions). Ils ne se remettent jamais en cause, mais ils accusent toujours l’extérieur si un aléa de la vie survient : les ‘’C’est pas juste !’’, les ‘’C’est pas ma faute !’’ ou autres ‘’Fallait pas commencer !’’ sont leurs leitmotivs. Ces enfants sont souvent survalorisés. Ils obtiennent tout ce qu’ils veulent et réifient autrui en se faisant servir, en choisissant toutes les activités, en décidant des loisirs familiaux. Ils se démoralisent très vite lorsqu’il y a des efforts à fournir. Ils sont insatiables et réclament toujours du ‘’nouveau’’ pour s’occuper. Ils cherchent un plaisir immédiat. Ils sont le plus souvent matériellement gâtés. Ils sont intolérants aux frustrations. Ils savent provoquer l’émotionnel des parents (colère, anxiété, dépression) si ces derniers osent une quelconque opposition. Ils sont des facteurs de stress pour tous les adultes qui s’en occupent. Ils peuvent détruire pour leur bon plaisir… mais ils ne sont pas heureux.

Le slogan phare de 68 « Il est interdit d’interdire » a donné naissance à des pratiques éducatives fondées sur un laisser faire, en laissant de côté la nécessité de poser des limites à l’enfant. On prônait l’égalité des sexes et, ce faisant, la place de chacun des parents n’était plus différenciée. Cet enseignement produit d’une longue évolution aboutira à l’idée que l’enfant est une personne à part entière au même titre que l’adulte et dont la parole a autant de valeur que celle de l’adulte.

Aujourd’hui, vu le nombre grandissant d’enfants rois  ce modèle éducatif finit par être jugé trop permissif.

Un enfant roi, du fait d’un manque ou d’une insuffisance d’éducation et d’autorité, ne peut se développer normalement. A son fonctionnement initial d’enfant, n’ont pas été opposés les limites et les interdits dont il aurait eu besoin pour vivre et s’intégrer dans une société civilisée. L’enfant reste donc dominé par ses pulsions, son sentiment de toute-puissance, et fonctionne uniquement sur le principe de plaisir en tentant d’éviter celui de réalité.

Éduquer un enfant a un prix : du temps, du courage, des conflits. Certains parents ne veulent pas ou ne peuvent pas le payer. Éduquer son enfant, c’est aussi lui déplaire, le contrer, affronter sa colère et sa frustration. Il paraît donc essentiel aujourd’hui de réhabiliter et de réapprendre aux parents la valeur des limites et des interdits. Autrement dit,  leur rappeler l’enjeu et le but même de l’éducation.

L’adulte tyran est dans une dynamique de plaisir tel un enfant qui aurait oublié de grandir. Il ne souffre pas forcément de traumatisme infantile ni de carence affective. Il refuse de renoncer aux fantasmes de toute-puissance de son enfance, ce qui le pousse à se croire tantôt le centre du monde, tantôt moins que rien. D’où le besoin d’emprise sur les autres pour se sentir exister.

L’adulte tyran n’a jamais réellement intériorisé les limites du possible. Aussi ne supporte-t-il pas de s’entendre dire… Non! Seule la réalité, quand il se heurte à elle, peut l’arrêter. Ni psychotique ni pervers, il doit entreprendre de faire le deuil de ses désirs d’omnipotence et accepter ses failles pour évoluer.

L’adulte tyran n’est pas une victime, il est dans un choix existentiel. Il peut tout aussi bien décider de changer et assumer d’être seul responsable de son monde psychologique. En entamant un travail sur lui-même, sa propre analyse, il pourra enfin effectuer ce retour incontournable vers son espace de re-co-naissance. 

Yehouda Guenassia
Yehouda Guenassia est psychothérapeute, il est affilié à l’Association of Humanistic Psychology.

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