Une étude réalisée sous la direction du Prof. Oded Rechavi du Département de neurobiologie et de l’Ecole des Neurosciences de l’Université de Tel-Aviv, par son étudiante, le Dr. Leah Khoury-Zeevi, dévoile trois lois qui régissent la transmission héréditaire épigénétique, c’est-à-dire celle qui ne passe pas par des changements des séquences de l’ADN. L’étude, réalisée sur des vers, éclaire les mécanismes moléculaires et la dynamique mystérieuse par lesquels les parents préparent leur progéniture aux difficultés auxquelles ils ont été eux-mêmes confrontés.

Oded RechaviElle a été publiée dans la prestigieuse revue Cell.

La plupart des expériences que nous acquérons au cours de notre vie ne seront pas transmises à nos descendants. Par exemple, notre entraînement en salle de sport aujourd’hui ne rendra pas nos enfants plus forts. Ces dernières années, cependant, les études sur l’hérédité épigénétique montrent qu’il existe des traits acquis qui sont hérités, remettant en question notre perception concernant les limites de l’évolution. « L’hérédité épigénétique découle des réactions à l’environnement et se produit indépendamment des changements dans les séquences d’ADN, par le biais d’autres molécules », explique le Prof. Rechavi. « En réponse aux changements de l’environnement, par exemple une situation de stress, des molécules dites petits ARN font « taire » l’expression de certains gènes ou les bloque. Des études menées ces dernières années sur des vers de type C.elegans, ont montré que ces petites molécules peuvent également passer aux générations futures, transmettant ainsi des caractéristiques de génération en génération ».

La survie des générations futures

Selon lui, le ver C.elegans est le modèle biologique privilégiée pour la recherche épigénétique car sa période de renouvellement générationnel est de trois jours et demi, ce qui permet d’observer plusieurs générations en un temps très court. De plus, chaque vers donne naissance à des centaines de descendants, augmentant la puissance statistique des observations. Enfin, il est possible d’en contrôler parfaitement l’exposition environnementale et en outre le ver se féconde lui-même, de sorte que les différences génétiques (dans l’ADN) d’un spécimen à l’autre sont pratiquement nulles.

Lors de précédentes études, le Prof. Rechavi et son équipe ont déjà découvert que ces vers léguaient à leur progéniture de petites molécules d’ARN contenant des informations sur l’environnement de leurs parents, comme l’état nutritionnel, les infections virales et même l’activité cérébrale, contribuant ainsi à la survie des générations futures. Dans l’étude actuelle, ils ont tenté de comprendre s’il existe des règles qui régissent cette hérédité épigénétique, ou s’il s’agit d’une transmission passive et aléatoire.

« De nombreux laboratoires ont remarqué que l’hérédité épigénétique par les petits ARN chez les vers dure dans la plupart des cas environ trois à cinq générations », explique le Dr. Khoury-Zeevi. « Une précédente étude menée dans notre laboratoire a révélé le mécanisme qui contrôle cette durée, et prouvé qu’il s’agit d’un processus héréditaire contrôlé. Mais la question demeure de savoir pourquoi certains vers héritent fortement des réactions acquises, tandis que d’autres pas du tout, même si tous les descendants sont presque génétiquement identiques. La manière dont la substance épigénétique est distribuée entre les descendants reste complètement mystérieuse. Nous voulions savoir s’il existe un modèle qui explique et prédit quels sont les spécimens qui héritent des traits épigénétiques, et pendant combien de générations ».

Les lois de Mendel de l’hérédité épigénétique ?

Pour cette expérience, les chercheurs ont utilisé un ver génétiquement modifié, porteur d’un gène produisant une protéine fluorescente qui le fait briller à la lumière ultraviolette. Les chercheurs ont activé une réaction de silençage induite par des petits ARN contre le gène fluorescent et ont examiné quelle progéniture a hérité de cette réaction et donc cessé de briller, et laquelle a « oublié » la réaction parentale et est revenue à l’expression du gène après plusieurs générations.

Lea Huri Zeevi« Le Dr. Khoury-Zeevi a examiné des dizaines de lignées de vers et un total de plus de 20 000 vers individuels », explique le Prof. Rechavi, « mais la partie la plus difficile du travail a consisté à déchiffrer les différents modèles d’hérédité et à comprendre ce qu’il y avait derrière ». Cette analyse a permis aux chercheurs de découvrir trois lois qui régulent la transmission des informations épigénétiques :

– Première loi : l’héritage est identique parmi les vers provenant de la même mère, c’est-à-dire de la même lignée. Les chercheurs ont été surpris de constater que les différences héréditaires observées jusqu’à présent dans les études précédentes découlaient en fait de l’examen de populations entières de vers au lieu de lignées distinctes.

– Deuxième loi : l’héritage est très différent entre les vers qui proviennent de mères différentes, bien qu’apparemment ces mères soient également supposées être identiques, puisque le ver se féconde lui-même. Les chercheurs se sont attachés à l’étude du mécanisme qui produit ces différences entre les descendants de mères génétiquement identiques et ont découvert qu’elles découlaient de divers ‘états internes’ adoptés au hasard par les différentes mères. En fait, l’état interne de la mère et le degré d’activité du mécanisme d’hérédité à l’intérieur de chacune d’entre elles détermine la durée de l’hérédité et donc le sort des générations futures.

– Troisième loi : les chercheurs ont constaté que plus l’hérédité épigénétique dure de générations dans une lignée particulière, plus il est probable que la transmission se poursuive à la génération suivante, par une sorte d’impulsion intergénérationnelle, comparable à la ‘loi de la main chaude’ au basket-ball (selon laquelle un joueur a plus de chance de réussir un tir s’il vient juste d’en réussir un).

« On ne sait pas encore si l’hérédité épigénétique intergénérationnelle existe aussi chez l’homme », conclue le Prof. Rechavi. « Nous espérons que le mécanisme que nous avons découvert existe également dans d’autres organismes, mais devrons attendre patiemment pour le prouver. Rappelons cependant que la recherche en génétique a également commencé avec les travaux du moine Gregor Mendel sur des pois ; et aujourd’hui nous utilisons les lois de Mendel pour prédire si nos enfants auront les cheveux raides ou bouclés ».

« L’idée de traits acquis hérités est aussi ancienne que scandaleuse », ajoute-t-il. « Même avant Darwin et Lamarck, les Grecs se disputaient à ce sujet. De plus elle est incompatible avec l’hérédité génétique par l’ADN. Cependant les vers ont changé ces règles en nous montrant qu’il existe une hérédité en dehors de la séquence génétique, qui passe par les petits ARN, à l’aide de laquelle les parents préparent leur progéniture aux difficultés auxquelles ils ont été eux-mêmes exposés. D’étude en étude, nous éclairons les mécanismes moléculaires et la dynamique mystérieuse de cette hérédité épigénétique, et la présente étude fournit des règles et met de ‘l’ordre dans le chaos’».

Photos:
1. Le Prof. Oded Rechavi
2. Le Dr. Leah Khouri-Zeevi.

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