PARASHAT TOLEDOT 5781 – Vendredi 20 Novembre 2020 -Yom Chichi 04 Kislev 5781 – horaires Ashdod  16 h 19 – 17 h 18

Isaac, fils d’Abraham et de Sarah est un homme « parfait ». Il est né de parents possédant une foi inébranlable en un D. Unique. Voici que la Torah résume le récit de son existence qui peu à peu s’étire vers la fin.

Isaac est d’un âge avancé et il est aveugle. Le Midrash, les commentaires évoquent chacun une raison à cette cécité : les uns mettent en cause le fait qu’étant lié sur l’autel au Mont Moriah, les anges ont versé de chaudes larmes devant cette scène et, Isaac, visage tourné vers les Cieux aurait reçu quelques-unes de ces larmes ce qui aurait nui à sa vision. Pour d’autres, ce ne sont pas ces larmes qui ont endommagé la vue du patriarche mais, bien le fait que le jeune homme ligoté a aperçu la Shekhina et sa vue se brouilla plus tard jusqu’à ce que l’homme devint aveugle…

D’autres avancent, comme nous le verrons plus bas, que les vapeurs de l’encens utilisé par les femmes idolâtres d’Isaac, étaient responsables de l’obscurcissement de la vue du vieil homme. En ce cas, pourquoi, Rivka ne fut-elle pas incommodée ? Les Sages pensent qu’elle avait été accoutumée à la fumée dégagée par l’encens chez Laban !

Souvent, se pose la question pour laquelle Isaac était tant attaché à son fils aîné, à Esaü, et, apparemment, moins à Jacob, pourquoi tenait-il tant à bénir Esaü au détriment même de Jacob ? Lors de la naissance des jumeaux, tant Isaac que Rivka purent se rendre compte de la grande différence entre ces deux frères tellement différents : Esaü est né roux[1] et l’autre brun, Esaü était velu, l’autre pas et…  Jacob est né circoncis, donc « parfait ». Certains commentaires font le parallèle entre Jacob et Moïse : lorsque Moïse naît, Yokhéved constate qu’il est circoncis ce qui fait, affirment certains Sages, qu’elle s’exclame : « il est bien » (d’autres commentaires font état d’autres qualités). Craignant pour la vie d’Esaü, Isaac ne procéda pas à la circoncision au 8ème jour mais il pensa qu’il le ferait à ses 13 ans – ce qui effraya alors Esaü qui n’accepta pas cet acte.

La plupart des exégètes partagent la même opinion concernant l’amour inconditionnel d’Isaac pour Esaü (Tanhouma) : celui-ci, connaissant la piété de son père qui avait instauré le prélèvement de la dîme, le matin, avant de s’aventurer sur les terrains de chasse connus de lui seul, il prêtait l’oreille devant la Yéshiva où Jacob étudiait et, le soir, en revenant, il faisait état de ce qui lui avait semblé être le centre des débats du jour devant son père et lui posait des questions sur des points spécifiques ce qui avait pour objectif de faire croire au
Patriarche  qu’il s’intéressait aux questions de Torah…

Le jour de la petira (du décès) d’Abraham, les célèbres jumeaux avaient des occupations bien différentes : Esaü, de bon matin, s’en alla chasser ne dérogeant à rien à son habitude.  Le décès de l’aïeul intervint puis l’ensevelissement et alors, Isaac et Ishmaël se tinrent dans la souccat avélim (tente des endeuillés) et Jacob reçut la charge de préparer la seoudat avélim (le repas des endeuillés).

Le repas que les endeuillés prennent avant la semaine de deuil (la shivea) est, selon la coutume calquée sur cette « séoudat havraa », à base de lentilles ou d’œufs durs ou d’olives noires et de pain. La raison symbolique de ces aliments de forme ronde ou ovale est qu’ils illustrent en quelque sorte le cycle de la vie : peu importe d’où l’on part, on arrive toujours, en fin de parcours, au même point de départ ou bien, en d’autres termes : tu viens de la terre et tu retournes à la terre.

Ce jour du décès d’Abraham qui était la figure dominante du monothéisme, en quelque sorte, fut aussi le jour du décès de Nimrod qui fut lui au contraire d’Abraham, le grand officier de l’idolâtrie car, nous explique le Midrash, ce monarque tyrannique se vêtait de la tunique de peau dont le Créateur revêtit Adam et Eve après la faute originelle. Sur cette tunique étaient représentés toutes sortes d’animaux quadrupèdes et de volatiles ce qui attirait ces bêtes vers celui qui portait cette tunique mais, cela conférait aussi au porteur une sorte d’immunité et il devenait intouchable. Ce jour-là, dit le Midrash, Esaü réussit à arracher la tunique de Nimrod qui tomba, alors victime des blessures portées par l’aîné des jumeaux. Puis, celui-ci s’appropria la tunique qui attirait vers sa personne toutes les prochaines prises de chasse.

Ainsi, Esaü, éreinté par cette longue journée, surpris de voir la souccat avélim et son frère affairé, demanda à celui-ci, sans montrer la moindre affliction, de lui servir rapidement à manger.

Les Sages ajoutent que ce même-jour, Esaü se rendit coupable non seulement de l’assassinat de Nimrod mais encore de 4 autres graves fautes parmi lesquelles il dédaigna son titre de premier-né, et il dénia la résurrection des morts.

L’importance du droit d’aînesse est que l’aîné de chaque famille devait être le prêtre. Mais, peu importait, à Esaü, l’exercice du culte et c’est la raison pour laquelle assouvir sa faim était à ses yeux beaucoup plus important.

Au cours des années précédentes nous avons largement disserté sur les différentes opinions exprimées au sujet du droit d’aînesse : Jacob n’était-il pas, en réalité, l’aîné selon la considération suivante : celui qui est conçu le premier sort de la matrice maternelle en dernier.

A ce moment de cession du droit d’aînesse, les Sages des différents Midrashim analysent le comportement de Jacob face à son frère : il lui donne tout d’abord du pain, façon de commencer à combler sa faim puis, il lui servit le ragoût de lentilles (nezid adashim) qu’il désigna simplement par sa couleur rouge. Esaü était roux il était attiré par tout ce qui pouvait représenter la violence, les combats et le sang, ce serait la raison pour laquelle il désira fortement manger de ce plat.

Pour Esaü, la Torah était bien loin de ces préoccupations. Lorsqu’il atteignit l’âge de 40 ans, il se décida à prendre des épouses qu’il ne choisit que parmi la population locale, hittite, au grand déplaisir de Rebecca. Mais, dans le souci de plaire à son père, il appela sa première épouse Yéhoudith alors qu’elle s’appelait en réalité Aholibama et était idolâtre.

Esaü put demeurer à côté de son père bien qu’il eût fondé une famille et malgré le fait que le mode de vie de ses épouses ne convenait en nul point à la sainteté qui régnait dans la tente d’Isaac et la fidélité à la Torah dont faisait preuve Jacob. Pour quelle raison le vieillard ne chassa-t-il pas son fils ? C’est, nous éclairent les Savants qui ont consacré leur existence à décortiquer et à examiner chaque mot et chaque lettre de la Torah, pour que ne soit écartée aucune possibilité de teshouva de son fils bien-aimé qui procédait au respect des parents en dehors de toute autre considération.

La cécité d’Isaac n’était qu’organique. Il avait conservé toute sa prophétie mais il usait d’indulgence vis-à-vis d’Esaü ne pouvant accepter que son descendant fût sans possibilité de « réparation ». Il savait que parmi la descendance d’Esaü naîtraient des êtres d’exception qui serviraient de luminaires spirituels du Judaïsme tels que Rabbi Akiba et Onkelos !!!

Jacob et Esaü sont des « hommes faits » d’après leur âge : ils ont 63 ans… Mais, Jacob n’est pas encore marié. Il n’est donc pourtant pas marié donc « incomplet » bien que lors de sa naissance il naquit « parfait » (circoncis)[2]

Rashi émet l’opinion selon laquelle HaShem provoqua cette cécité pour que Jacob puisse recevoir la bénédiction paternelle.

Les réflexions d’Isaac avant de bénir Jacob s’attachent au toucher et à l’audition : les mains sont celles d’Esaü et la voix est celle de Jacob. Le vieux patriarche se sert aussi de son odorat : il respire les vêtements de Jacob. Dans cette odeur, il décèle l’odeur de l’encens qui sera utilisé au Beith HaMikdash lorsque sera arrivé le temps de la Gueoula. Le sens du goût est également évoqué par le fait que le Patriarche mange des préparations culinaires de son fils.

Le Rav Dessler écrivit dans son Mikhtav  MéEliahou qu’il convient de saisir le sens du mot « begadav » (ses vêtements) non pas comme ses vêtements mais comme ceux qui le trompent (boguedim).

D’après les Sages, le repas présenté par Jacob à son père eut lieu le 14 nissan, veillée du seder de Pessah et les deux agneaux présentés à Isaac étaient l’un pour le sacrifice pascal et l’autre pour le repas, Jacob présenta à son père les deux mets l’un pour manger et l’autre en signe de « dessert » ou AFIKOMEN ce qui impliqua qu’Isaac ne put plus rien manger après….. D’autres Talmudistes considèrent que ces deux agneaux sont en réalité le sacrifice pascal mais aussi celui de Haguiga….

A ce propos, le Sage de Troyes précise qu’il ne convient pas de parler de mirma (tromperie) mais d’une sorte de Hokhma (intelligence).

Cette affaire a occupé les plus grands commentateurs de tous courants : cabalistes ou autres,  et, si les opinions sont diverses, elles se regroupent presque toutes autour des mêmes sujets.

Sur le plan physique, Esaü était sans doute très fort physiquement, passant ses journées à la chasse et au grand air, contrairement à Jacob qui passait sa vie en étudiant la Torah. Cependant, par la suite, lorsque Jacob arrivera à proximité du terme de son voyager vers Lavan, il rencontre des bergers qui en attendent d’autres de manière à conjuguer leurs efforts pour faire pivoter une pierre qu’il déplace, lui seul, sans effort apparent !

Ainsi, en gardant Esaü près de lui, Isaac se prend à espérer que même si le niveau spirituel de son fils est très bas, il n’en demeurera pas moins qu’au moins une partie de sa descendance sera sauvée….

On évoque moins le fait que Rivka encourage son fils à présenter le repas à son père à la place d’Esaü et pourtant…. Si quelqu’un voulait trouver critiquer cet acte il y aurait de quoi… Comment une mère pourrait-elle désavantager l’un de ses fils au détriment de l’autre… les Sages nous ramènent au début de la péricope… lorsque Rivka fut inquiète de ressentir les réactions si diamétralement opposées de ces deux êtres qui exprimaient leur volonté si tôt l’un vers les lieux d’idolâtrie et l’autre devant les lieux de Torah. HaAri zal, et d’autres penseurs comme le Ohr HaHayim et d’autres encore commentent le fait que Rivka soit allée « consulter » c’est qu’elle avait besoin d’être rassurée devant une telle manifestation et c’est alors qu’elle reçut l’assurance de la part de Eber que même du côté d’Essav se trouveraient de grands Tsadikim comme Rabbi Akiva qui arriverait à avoir de très nombreux disciples ou comme Onkelos qui traduirait la Torah en araméen pour que tout le peuple puisse comprendre la Torah pendant son exil à Babylone.

Isaac est conscient du fait qu’Esaü n’est pas exactement comme il l’espérait sur le plan spirituel aussi, pendant tout cet épisode précédant la bénédiction que Jacob allait recevoir, Isaac prononcera 8 fois le mois « beni » (mon fils). Les Sages du talmud (massékheth sota) mettent cet épisode en parallèle avec l’histoire de David face à son fils Avshalom (Absalom) qui, pourtant cherche à achever son père. Les Sages du Talmud font remarquer que tant Isaac que David savaient, intuitivement, que ces enfants n’étaient pas dignes d’entrer au Gan Eden et, en soulignant le fait qu’ils étaient « beni » leur fils à 8 reprises c’était dans l’espoir de leur éviter les 7 paliers de souffrance de l’enfer (sheva medoré guéhinom שבע מדורי גהינום) et une fois de plus pour les hisser au gan Eden, car chaque Juif a droit au Gan Eden[3]

Dans le Talmud  figure une très belle métaphore concernant l’encens qui était brûlé tous les jours au Temple. Dans la composition de cet encens entraient 11 aromates dont l’un qui avait une odeur fort désagréable : comment se fait-il qu’un tel aromate soit partie intégrante de la ketoreth ? Le sens caché est qu’une société est un macrocosme composé de multiples facettes certaines plus belles que d’autres mais l’essentiel est que  ces facettes se retrouvent unifiées et que seul le bon côté de chacune donne une belle image globale. Il en est de même pour Esaü et Jacob, nés de même père et de même mère, l’un est indéniablement attaché à la Torah et aux mitsvoth alors que l’autre en est loin et qu’en tant qu’aîné il ne se préoccupe pas de son rôle spirituel mais uniquement du plan matériel.

Caroline Elishéva REBOUH

MA Hebrew and Judaic Studies
Administrative Director of Eden Ohaley Yaacov

[1]  C’est parce qu’Isaac aperçut la blancheur de la peau et les cheveux roux de son fils qu’il craignit que celui-ci fût trop faible pour le circoncire à 8 jours et qu’il pensa qu’il serait plus judicieux de le faire à 13 ans comme cela eut lieu pour Ishmaêl.

[2] Dans le midrash sont cités 13 personnages bibliques qui sont nés circoncis : Adam, Seth, Hanokh, Noé, Shem, Jacob, Isaïe et Jérémie. Certains ajoutent Terah.

[3]  Il est écrit : « kol Israël yesh lahem helek léôlam haba » כל ישראל יש להם חלק לעולם הבא mais la part est variable