« Parle aux enfants d’Israël et dis-leur: Quand vous serez entrés dans le pays que Je vous donne, la terre sera soumise à un chômage en l’honneur de l’Éternel. Six années tu ensemenceras ton champ, six années tu travailleras ta vigne, et tu en recueilleras le produit; mais, la septième année, un chômage absolu sera accordé à la terre, un Shabbat en l’honneur de l’Éternel. Tu n’ensemenceras ton champ ni ne tailleras ta vigne. Le produit spontané de ta moisson, tu ne le couperas point, et les raisins de ta vigne intacte, tu ne les vendangeras point: ce sera une année de chômage pour le sol. Ce sol en repos vous appartiendra à tous pour la consommation: à toi, à ton esclave, à ta servante, au mercenaire et à l’étranger qui habitent avec toi; ton bétail même, ainsi que les bêtes sauvages de ton pays, pourront se nourrir de tous ces produits. » (Lévitique 25: 2-7)

Les cycles du temps sont au cœur de la vie juive. Tout comme les fêtes rythment l’année, le Shabbat rythme la semaine.

Moins connue, mais non moins négligeable dans le cycle du temps Hébraïque, nous avons la Shmita, « l’année de la jachère », plus populairement nommée année sabbatique pour la terre.

Au cours de ces douze mois, les dettes doivent être annulées, les terres agricoles doivent être mises en jachère, les propriétés foncières privées doivent être ouvertes aux biens communs et les produits de base, tels le stockage de la nourriture et les récoltes pérennes, doivent être librement redistribués et accessibles à tous.
D’une part, les lois de la « shmita » et du « yovel » (jubilé) soulignent que la propriété ultime de la terre et la tutelle sur son utilisation appartiennent exclusivement à Dieu.
D’autre part, ils soulignent l’importance de la libération de toutes oppressions, la valeur de notre responsabilité envers la terre et du pouvoir du repos – non seulement pour les humains mais pour le monde qui nous entoure. Nous vivons dans un monde où toutes sortes de personnes recherchent des modèles de traitement de l’environnement. Cette partie de la Torah offre une contribution considérable à ces discussions éthiques en cours.
Certes, si ces lois créent un cadre éthique centré sur la justice agricole, une part sombre y est tout de même présente.

« Ton esclave ou ta servante, que tu veux avoir en propre, doit provenir des peuples qui vous entourent; à ceux-là vous pouvez acheter esclaves et servantes. Vous pourrez en acheter encore parmi les enfants des étrangers qui viennent s’établir chez vous, et parmi leurs familles qui sont avec vous, qu’ils ont engendrés dans votre pays: ils pourront devenir votre propriété. Vous pourrez les léguer à vos enfants pour qu’ils en prennent possession après vous, et les traiter perpétuellement en esclaves; mais sur vos frères, les enfants d’Israël, un frère sur un autre! Tu n’exerceras point sur eux une domination rigoureuse. » (Vaykra 25: 44-46)

Une lecture attentive révèle une réalité plus inconfortable.
L’ensemble de ceux dont il est question ici ne seront pas tous libérés. Le public de la Torah se compose de personnes libres, d’individus qui possèdent et d’autres qui resteront asservis. La discussion sur le « yovel » insiste sur le fait que tout Hébreu qui se vend en esclavage devra être libéré l’année du jubilé, cette décision n’inclut pas les non-hébreux asservis.
Le traitement de ces commandements est à la fois inspirant et profondément troublant. Cela suppose une réalité économique dans laquelle certaines personnes sont des esclavagistes et d’autres sont réduites en esclavage, et ces distinctions s’inscrivent dans le cadre de lignes religieuses et éthiques.

Et pour être clair, la Torah reconnait l’esclavage comme étant mauvais.
Après tout, le texte décrit également Dieu comme Celui « qui vous a fait sortir du pays des Égyptiens pour ne plus être leurs esclaves, qui a brisé les barres de votre joug et vous a fait marcher la tête haute. » (Lévitique 26:13)
Alors que faire lorsque nous rencontrons de telles tensions éthiques dans la Torah?
Nous concentrons-nous sur « les bonnes choses » et interprétons-nous les éléments gênants?

Maintenons-nous le respect de la Torah pour la terre et son bien-être comme une éthique éternelle tout en contextualisant son acceptation de l’esclavage comme un produit (peut-être progressif) d’une époque particulière, à présent dépassée?
Ou, d’emblée, rejetons-nous tout cela comme étant moralement compromis?
Il n’y a guère, ici, de réponses faciles.
S’engager avec la Torah invite à une lecture attentive, à une pensée critique et à une réflexion morale. Cela nécessite de voir la plénitude de ce qu’elle est, de s’asseoir avec sa complexité et ses tensions, et de tenir compte à la fois de ce qu’elles ont signifié historiquement et de ce qu’elles peuvent signifier aujourd’hui.
À la fin des bénédictions et des malédictions de cette portion, la Torah dit :
«Tels sont les commandements que l’Éternel donna à Moïse pour les enfants d’Israël, au mont Sinaï.» (Lévitique 27:46).
La Torah est un don de Dieu et comme pour tous cadeaux, c’est aux destinataires de savoir quoi en faire, ici et maintenant!
L’observation consciente et méticuleuse de ces lois avec leur application rabbinique peuvent élargir notre conscience de la vraie nature de la réalité. L’abstinence obligatoire de tenter de contrôler physiquement et commercialement la terre et le commandement positif de renoncer à tout sentiment de propriété de ses produits peuvent nous libérer de l’esclavage d’une poursuite constante des biens consommables et de l’illusion idolâtre que les choses matérielles servent de testament à notre existence.
Pour beaucoup d’entre nous, certains des commandements de la Torah peuvent sembler obscurs, dépassés, hors de propos.

Pourtant, en approfondissant, au-delà de la surface d’une loi donnée, nous trouvons des ouvertures pour recouvrer une pertinence par rapport à bon nombre de ces valeurs et principes. Nous nous référons à la Torah comme un document éternel.
Et si celle-ci doit vraiment être éternelle, alors nous devons nous pousser à la voir comme quelque chose de plus qu’un simple visage d’une culture passée!
Nous devons trouver des moyens pratiques de maintenir son opportunité en puisant dans les valeurs plus profondes, fondement de ses lois et pratiques.

Même si la « Shmita » est une loi obligatoire, uniquement pour les Juifs vivant en Terre d’Israël, ses valeurs nous offrent à tous une ouverture pour nous engager plus profondément dans les cycles de notre vie de manière proactive.

La Parashat Bech’ukotai contient un avertissement sur ce qui se passera si les Hébreux désobéissent à ces lois ultimes: la ruine.
Soit vous suivez les lois Divines de votre plein gré et laissez la terre se reposer, soit vous en serez exilé et la terre se reposera malgré vous! C’est une image effrayante, une sorte de justice expéditive.
La « Shmita » aura lieu soit selon vos conditions, soit selon celles de Dieu!
Le parallèle est plus qu’évident, dans notre relation à la terre, aujourd’hui : si nous en prenons soin, elle nous fournira avec abondance, sinon nous risquons un avenir sans ressources.
Si nous ne laissons pas la terre se reposer, elle réclamera sa propre « shmita » – le changement climatique et les catastrophes naturelles nous empêcheront de continuer à profiter de sa générosité.
Il nous faut savoir que notre équivalent d’une « mise en jachère » (Lévitique 25 :2) signifie: freiner notre consommation rapace, marcher, faire du vélo ou prendre les transports en commun, réduire nos voyages en avion, coûteux en carbone, importer des produits hors saison du monde entier, et vivre une vie plus simple. Pourtant, ces changements de mode de vie sont très embarrassants, nous innovons donc des moyens de justifier notre consommation ou utilisons des « échappatoires » telles les compensations ‘carbone’ pour les éviter.
Laisser, volontairement, la terre reposer semble souvent sans importance pour ceux d’entre nous qui s’agenouillent rarement pour déraciner une carotte, mais ne pas adopter le concept de « shmita » aura un coût.
Nous qui dépouillons la terre de ses ressources naturelles à un rythme fou,
Nous qui avons la plus grande marge de manœuvre financière pour réduire notre production et notre consommation,
Nous qui sommes les plus détachés de notre environnement, sommes encore les moins touchés par les prix de cette négligence.

Au lieu de cela, les pauvres du monde, les moins responsables du rejet de carbone dans notre atmosphère, sont directement touchés par nos actions. Le changement climatique, bien sûr, expose tout le monde à davantage d’inondations, de sécheresses et d’autres catastrophes naturelles, mais l’impact de ces catastrophes sur les personnes est presque entièrement déterminé par leur vulnérabilité matérielle et physique.
Pour cette raison, les indigents supporteront le poids écrasant de l’augmentation des catastrophes naturelles dues au changement climatique.
Ceux qui gagnent leur vie en cultivant, dont la vie dépend de la façon dont la rivière coule, ont besoin que nous embrassions le concept de « shmita » parce qu’ils subissent les conséquences de notre complaisance.

Le message de cette partie de la Torah est clair: si nous ignorons la volonté de Dieu de prendre soin de la terre maintenant, nous risquons de tout perdre à l’avenir.
Dans notre cas, cela se produira par le changement climatique plutôt que par l’exil biblique.
Les lois de « shmita » peuvent paraître étrangères à ceux d’entre nous vivant loin de la terre, en dehors de la Terre d’Israël, mais tous, nous devons apprendre des leçons qu’elles enseignent: sauvegarder et protéger la terre, de peur que notre surexploitation de ses ressources ne nous force à une situation où nous n’aurons plus la possibilité de la sauvegarder, de la protéger !
Cela sonnerait-il le glas ?

Il est de la responsabilité de l’Humanité, toute entière, de ramener toute la création à une relation appropriée avec son Créateur. Lorsque nous nous abstenons de planter, d’élaguer, de labourer, de récolter ou de toute autre forme de travail de la terre, la terre est autorisée à se détendre et à se rénover vers la réalisation de l’union première du Shabbat.
Pourtant, en dépit des dommages causés par l’Humanité, la « Shmita » nous enseigne que nous devons avoir la foi, Dieu est omniscient et omnipotent. Il attend une véritable réforme de nos manières négligentes et égoïstes. Nous devons également savoir que le battement d’ailes de tout changement matériel, dans notre relation à la Création, provoquera une tornade de circonvolutions au sein de nos mondes spirituels.

Quand nous parvenons à une relation appropriée avec la terre en lui donnant du repos et du respect, à travers les commandements de la « Shmita », la splendeur impressionnante de notre Divine terre se révèle.
Les yeux sensibles de l’individu, attentionné et éclairé, s’ouvrent au rayonnement de la Parole céleste circulant à travers toute la Création, car elle rapproche lentement, mais sûrement, le, monde vers son état de perfection

Rony Akrich pour Ashdodcafe.com