Crédits : Parlement européen / Flickr CC BY 2.0 | Montage Toute l’Europe “Marine Le Pen l’eurosceptique, Emmanuel Macron l’

Marine Le Pen et Emmanuel Macron se disputeront la présidence française au second tour des élections ce dimanche 24 avril 2022.

PARIS – Les dirigeants juifs français ont multiplié les appels à ne pas voter pour la cheffe de l’Assemblée nationale Marine Le Pen lors du second tour de la présidentielle du 24 avril, mais à voter pour le président sortant Emmanuel Macron.

Déjà le 12 avril, deux jours après le premier tour de l’élection, l’organisation faîtière des Juifs français, le CRIF appelait à bloquer la course présidentielle de Le Pen en votant massivement pour Macron.

Le président du CRIF Francis Kalifat a déclaré : « Aucun calcul, aucun prétexte ne peut être invoqué pour échapper à notre responsabilité citoyenne face à un choix, qui n’en est pas vraiment un : nous devons appeler à voter massivement pour Emmanuel Macron afin de préserver notre démocratie.

S’adressant à sa synagogue le soir de la Pâque vendredi soir dernier, le rabbin Moshe Lewin de la communauté Le Raincy n’a pas non plus mâché ses mots. « J’ose dire aujourd’hui, puisque nous sommes dans un moment grave… Nous avons aujourd’hui ce devoir envers nos enfants d’être très prudents. Aller voter n’est pas un choix comme un autre. Nous ne devons pas faire un choix que nous regretterons plus tard. Il faut dire : je vais faire en sorte qu’elle [Marine Le Pen] ne passe pas. »

Lewin, qui est également conseiller spécial du grand rabbin de France, n’était pas le seul à prêcher ainsi à sa communauté. Des dizaines d’autres rabbins à travers la France ont également saisi l’occasion du service de la Pâque pour appeler les membres de leur communauté à bloquer Le Pen à l’isoloir.

La communauté juive de France a des raisons de s’inquiéter. Certes, les sondages de cette semaine montrent que Macron est toujours en avance sur Le Pen, l’écart entre eux augmentant en fait. Un sondage publié le 20 avril a montré Macron avec 55,8% des voix, contre 44,2% pour Le Pen, la plus grande marge constatée depuis le premier tour.  Néanmoins, les dirigeants juifs français craignent que le fort taux d’abstention au premier tour ne se reproduise et ne s’accroisse même au second.

Julien, juif de 55 ans, a voté pour Zemmour au premier tour. Il compte désormais voter pour Macron. « Je vis en France et j’ai voté pour Zemmour au premier tour. Certains membres de ma famille qui vivent en Israël ont également voté pour lui. Avec tout ce qui s’est passé ici ces dernières années, le meurtre de Mireille Knol, le meurtre de Sarah Halimi, il nous faut quelqu’un qui n’ait pas peur de s’attaquer à l’islam extrême. Pourtant, je ne voterai pas maintenant pour Le Pen. Son père a été condamné pour des propos antisémites.

« A la suite des résultats du premier tour de l’élection présidentielle, avec les suffrages exprimés en faveur de Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon et Éric Zemmour, le CRIF constate un affaiblissement du camp républicain et le renforcement dangereux des partis populistes de l’extrême droite et l’extrême gauche. Le CRIF appelle à une union républicaine pour empêcher l’extrême droite d’accéder au pouvoir », indique un communiqué publié par le CRIF.

Une femme juive dans la quarantaine, qui a demandé à ne pas être mentionnée par son nom, a déclaré qu’elle voterait pour Macron, mais a noté que beaucoup de ses amis ne voteraient probablement pas du tout. « Je travaille dans le milieu des médias. Beaucoup de mes amis qui sont dans les communications, les arts et la performance ont dit qu’ils préféraient ne pas voter du tout plutôt que de soutenir Macron. Ils ont voté pour Mélenchon au premier tour. Pour moi, c’est inacceptable. Ceux qui choisissent de ne pas voter renforcent en réalité Le Pen. »

Des dizaines de groupes de la société civile habituellement non impliqués dans la politique ont formé ce qu’on appelle ici « un front républicain » contre Le Pen. SOS Racisme, par exemple, une puissante organisation française de défense des droits de l’homme, a publié un communiqué, avertissant que le danger de voir l’extrême droite prendre le pouvoir en France est réel et ne doit pas être ignoré. Le 14 avril, un militant du groupe vert Collectif Ibiza a interrompu une conférence de presse de Le Pen, affichant une pancarte en forme de cœur avec les photos de Le Pen et de Poutine. Elle a été expulsée de force des lieux.

Une manifestation anti-Le Pen qui a eu lieu le 16 avril dans le centre de Paris reflétait exactement cela. Les organisateurs étaient pour la plupart des syndicats et des groupes d’extrême gauche. Aucune organisation du centre ou de droite n’était associée au rassemblement de Paris, ni à aucun des autres rassemblements similaires qui se sont tenus simultanément à travers le pays. Puis, quelque part au milieu de la marche entre la place de la Nation et la place de la République, le ton des mégaphones a changé, avec des chants contre Macron, contre sa politique économique et contre la police.

Des manifestants ont déclaré qu’ils ne voteraient pour personne – ni pour Le Pen ni pour Macron. Certains d’entre eux portaient des pancartes disant « Ni Macron, Ni Le Pen ».

Le leader d’extrême gauche Mélenchon a enregistré un score étonnamment élevé au premier tour, terminant troisième avec 22% des voix. Dans une lettre à ses partisans publiée le 12 avril, il présente Le Pen comme plus dangereux que Macron, mais ajoute que chacun doit tirer sa propre conclusion et voter selon sa propre conscience. Il n’a pas appelé explicitement à voter Macron.

En revanche, les anciens présidents Nicolas Sarkozy et François Hollande ont tous deux appelé à voter pour Macron, tout comme la candidate socialiste Anne Hidalgo, la candidate des Républicains Valérie Pécresse et le candidat des Verts français Yannick Jadot.

ÉLIE KORCHIA, président du Consistoire central israélite de France, a déclaré qu’aucun dirigeant juif n’a le droit de garder le silence en ce moment, car le pays risque de tomber entre les mains de l’extrême droite.

« Ce n’est pas seulement Marine Le Pen en personne qui nous inquiète, mais aussi le parti derrière elle, le gouvernement qu’elle formera si jamais elle est élue présidente. Ces préoccupations ne sont pas seulement d’ordre idéologique. On voit des exemples concrets, très inquiétants.

Korchia a expliqué qu’il n’y a pas si longtemps, Le Pen était contre le port de la kippa en public, demandant aux Juifs de faire ce « petit sacrifice » pour le bien du public. Elle aurait reculé devant cela et serait désormais « seulement » contre le foulard musulman. Pourtant, quand on est contre les signes religieux dans les espaces publics, on voit où cela mènerait, a-t-il noté.

« Le Pen est contre l’abattage casher, prétendant que nous ignorons la souffrance des animaux. Ce n’est pas vrai. La communauté juive française est la troisième au monde et la première en Europe. Pour de nombreux juifs français, la viande casher fait partie de la façon dont ils expriment leur judaïsme et leurs croyances au quotidien. Des solutions comme importer de la viande casher d’Israël ou d’Argentine les priveraient de cela.

Arié Bensemhoun, directeur exécutif de la branche France du European Leadership Network, regrette que certains juifs français, tant en France qu’en Israël, aient soutenu au premier tour le candidat d’extrême droite Zemmour. Il a dit que certains d’entre eux voyaient sans aucun doute Zemmour comme un sauveur de l’antisémitisme croissant en Europe, de l’islam extrême et du terrorisme, sans se rendre compte qu’il ouvrait en fait la voie à Marine Le Pen en la blanchissant.

« Quand on additionne tous ceux qui ont voté pour Mélenchon, Zemmour et Le Pen, on obtient plus de la moitié des électeurs qui ont choisi l’extrême. C’est très dangereux pour la société française, pour la démocratie. Je suis consterné par la crédulité de ceux qui adhèrent à « Tout sauf Macron », ou de ceux qui prônent « Ni Macron, Ni Le Pen », au risque de laisser gagner l’héritière de l’infâme [Jean-Marie] Le Pen. Ce faisant, ils permettent à l’extrême droite, la plus radicale, la plus anti-européenne, la plus xénophobe, raciste et antisémite [bloc politique], d’accéder à la position de pouvoir suprême en France », a noté Bensemhoun.

« Marine Le Pen veut nous faire croire qu’elle a changé. Mais nous connaissons la vérité. On se souvient des origines de son parti. Nous voyons les gens dans son mouvement.

« Si Le Pen gagne, on verra sur les marches de l’Élysée son père, des antisémites, des néonazis. C’est le risque auquel nous sommes confrontés dimanche.

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Pour les quelque 60 000 Français inscrits sur la liste électorale consulaire de Tel Aviv et Haïfa, 13 bureaux de vote seront ouverts dans 6 villes : Tel Aviv (5 bureaux), Haïfa (2 bureaux), Netanya (2 bureaux), Ashdod (2 bureaux), Beer Sheva (1 bureau) et Eilat (1 bureau).