Pour la plupart d’entre nous, il est une idée étrange et répugnante difficile à admettre : pour adorer Dieu et observer Ses lois, il faille amener des animaux au temple et les abattre sur un autel.

Si l’on me demandait comment définir, ou reconnaitre, la Foi ou même la religiosité, je dirais: principalement à travers une identité morale, des faits et gestes relevant de l’éthique, une aspiration à l’équilibre de notre monde. Mais certainement pas l’abattage d’animaux, la combustion de leurs cadavres sur l’autel et leur consommation…

Si l’on me demandait de caractériser le rôle du guide spirituel, je le décrirais ainsi: un Cohen fonctionnaire divin, transparent, un Rav chargé d’enseigner ce qui est Ecrit et non ses propres élucubrations, d’éveiller l’esprit critique, d’approfondir la connaissance sans conformisme, d’accompagner le peuple vers la pleine et entière réalisation du projet Divin sur Terre. Mais nul ne penserait à une caste de prêtres, de rabbins, destinés à régenter officiellement la parole Divine. Nul ne peut accepter le népotisme de ces gens ni même de vivre des deniers du peuple!
Les ancêtres de l’homme offraient tous des sacrifices à Dieu, de Caïn et Abel à Noa’h, d’Avraham notre Père à Moshe notre Maître.
Pratiquement tout le livre de « Vaykra-Lévitique », une grande partie du livre de « Bamidbar-Nombres » et quelques versets de « Devarim- Deutéronome » traite des détails des sacrifices: ce qui peut être sacrifié, ce qui devrait l’être, quand, dans quelles circonstances et comment?
Les livres historiques du Tana’h, la Bible, regorgent d’histoires de rois et de guerriers qui offrent divers sacrifices en temps de crise ou de joie.
Le Premier Temple, le Temple de Salomon, a été construit avec toute la splendeur et la grandeur désirées afin de devenir la « Maison de Dieu » celle où on Le servira grâce au bétail sacrifié sur Son autel, en l’honneur du grand et saint Créateur.
Au temps du Second Temple, construit après l’exil babylonien, un service sacrificiel régulier avait lieu, très documenté à travers une variété de sources de l’époque – juive, grecque et romaine. La religion biblique et le Judaïsme ancien étaient d’anciennes religions orientales et, comme toutes celles de leur époque, elles reposaient en grande partie sur des offrandes sacrificielles. C’était la voie du culte des dieux de la Mésopotamie à l’est, à l’Espagne à l’ouest. Les gens ordinaires ont exprimé à travers elle leur foi et leur piété, et les rois – leur richesse et leur droiture.

Comment tout cela a-t-il évolué ?
Comment les sacrifices sont-ils passés d’une signification quasi universelle, au culte du ou des dieux, à un culte fossilisé, hypocrite et caricatural?
Certes tout dépend qui l’on questionne.

Les pères de l’Église et divers penseurs chrétiens des premiers siècles de notre ère ont affirmé que Jésus, qui fut selon eux le sacrifice ultime, mit fin à de tels agissements. A sa mort, il expia tous les péchés et toutes les iniquités, en conséquence il n’était plus nécessaire de sacrifier des animaux pour servir Dieu: il fallait la foi et l’acceptation de Jésus comme Sauveur.
Avec la conversion de l’empire romain au 4e siècle, les sacrifices de toutes sortes furent finalement interdits dans tout l’empire. Ainsi, les chrétiens réussirent-ils à éliminer presque totalement ce culte primitif, exubérant, matériel, et à le convertir en une introspection, un culte silencieux et individuel, qui se trame principalement dans le domaine de la psyché.

En ce qui concerne divers écrivains chrétiens de l’Antiquité tardive, de Justin Martyr au 2e siècle à Jean Chrysostome au 4e siècle, seuls les chrétiens portent la foi de la nouvelle religion, ceux qui en avait assez de la fumée des brasiers et du sang qui coulait. Pour eux, les Juifs et les « païens » restaient toujours désireux des sacrifices et pensaient qu’il s’agissait là de l’ultime façon de servir Dieu.
Justin, Chrysostome et d’autres savaient, bien entendu, que le Temple de Jérusalem avait été détruit en 70 de notre ère et depuis lors, les Juifs n’avaient plus sacrifié. Mais ils supputaient, et non à tort, que les Juifs aspiraient toujours à la reconstruction de leur temple et au renouvellement des sacrifices.

Face à cette approche chrétienne, nous devons nous demander quelle était l’approche juive du sacrifice dans la période qui suivit la destruction du temple et la perte de souveraineté.
À cette fin, nous devons nous tourner vers les rabbins de l’époque, les Sages, qui, selon la croyance populaire, ont été fidèles au processus de réhabilitation post-catastrophe, ont dirigé la génération, guidé son chemin et innové un Judaïsme à une époque sans Temple, ni sacrifices. Les sages sont considérés comme les représentants authentiques de la tradition juive, et cette autorité se développera à travers divers courants au sein même du Judaïsme contemporain, les façons dont les perceptions des rabbins seront entendues et comprises auront, ainsi, une énorme signification historique et religieuse, sans laquelle le Judaïsme et son évolution ne peuvent pas être appréhendés.

Il est important de noter que nous ne savons pas vraiment dans quelle mesure les sages étaient en effet dans une position de leadership et d’influence, car leurs écrits étaient les seuls écrits juifs conservés après la destruction. Mais d’une manière ou d’une autre, ils ont pris une importance énorme par la suite et ils le sont encore de nos jours.
Selon l’opinion qui prévaut dans l’investigation littéraire et dans le discours public aujourd’hui, après la destruction du Temple, les rabbins ont réformé le Judaïsme presque du jour au lendemain, d’une religion « rituelle » primitive tournant autour du service au temple et du sacrifice en une religion spirituelle et intellectuelle traitant de textes et d’études.
Même si, au début de nos pérégrinations, l’abandon des sacrifices était inévitable, ils adoptèrent, rapidement, une attitude antagoniste envers les coutumes sacrificielles et le culte du Temple. Cette position est nettement spécifiée dans la littérature rabbinique, comme dans les livres de prières, officiellement, ils ont continué à aspirer et à prier pour le renouvellement du Temple et les coutumes des sacrifices.

Dès la destruction du Temple, ils ont été forcés de trouver immédiatement des substituts au travail sacrificiel sous la forme d’actions telles que la prière, la charité, le repentir, et surtout l’étude de la Torah.
Selon ce point de vue, les Rabbins et leurs fidèles ayant « découvert » les alternatives à la coutume du sacrifice – la religion mentale, intériorisée, basée sur la pensée et la croyance et non sur la chair, le sang et la fumée, il était impossible de revenir en arrière.
La Matrie terrestre déshonorée, le leitmotiv engagé par les rabbins et suivi partout avec opiniâtreté dut souvent affronter le martyre. L’essentiel restait néanmoins de sauver l’héritage spirituel des terrassés, mais jamais ruinés, les compositions qui préservaient l’attestation de la réalité du Verbe: la Bible, la Tradition orale, les enseignements des écoles et des docteurs qui consacraient la prédication de Moshe. L’ouvrage requit une énorme attention et un labeur incessant de la part des survivants, une œuvre de plus de cinq siècles. Grâce à l’adhésion populaire, les vestiges du passé furent systématiquement enregistrés par écrit et transmis de siècle en siècle dans la kyrielle de la mémoire humaine.

Après la dévastation romaine, chaque être en Israël devenait plus précieux que le Temple lui-même. En Galilée, en Babylonie, là où s’établirent les centres spirituels qui garantirent la survie d’Israël, les rabbins, comprenant à quel point les scissions avaient déchaîné la ruine, s’évertuèrent à opérer l’unité au sein du Judaïsme. Les moyens qui avaient défendu la transmission du Judaïsme dans de lointaines provinces de l’Empire et autorisaient de plus grandes perspectives n’existaient plus.

Israël, attaché au Verbe de l’éternité auquel il avait offert sa Foi, demeurerait donc le serviteur du projet Divin, dans la fragile obédience à Sa volonté et dans l’espoir de l’ultime Rédemption. Si assuré et si rassuré, ils réussirent tout simplement à se détourner du monde extérieur, à troquer les lieux d’exil en bastides de l’esprit où l’ensemble de leurs desseins furent assignés à sauvegarder l’antique patrimoine, à le cultiver et à vivre de son inspiration… En attendant le retour !!

Rony Akrich pour Ashdodcafe.com