La paracha Nitsavim nous place dans une scène presque cosmique : tout le peuple se tient devant l’Éternel, des plus grands aux plus humbles, des hommes aux femmes et aux enfants, jusqu’au bûcheron et au puiseur d’eau. C’est l’image totale d’une société où nul n’a le droit de se retirer et où chaque individu porte une responsabilité collective. Déjà là se dessine une signification philosophique profonde, toujours pertinente dans notre monde contemporain.
Le texte proclame: « Vous êtes placés aujourd’hui, vous tous, devant l’Éternel ». Ce n’est plus un mythe pour quelques privilégiés, mais une communauté entière qui s’engage dans cette alliance. Cela évoque les conceptions modernes de responsabilité réciproque, comme celle de Levinas qui parle d’obligation infinie envers autrui. On y retrouve aussi l’idée que le sujet ne se construit pas seul, mais en présence d’autres personnes. Aujourd’hui, l’individualisme démocratique menace de dissoudre le sentiment d’appartenance. Cette lecture soulève un défi crucial : la liberté personnelle ne disparaît pas, elle s’inscrit dans un réseau d’engagements.
Le verset fameux « Les choses cachées appartiennent à l’Éternel, notre Dieu, et les choses révélées sont pour nous et pour nos enfants à jamais » trace une distinction philosophique entre le domaine de la raison humaine et celui du mystère divin. Dans une lecture moderne, on peut y voir un appel à l’humilité intellectuelle : l’homme n’est pas maître d’un savoir absolu, mais il n’est pas non plus autorisé à se soustraire à la responsabilité de ce qui est révélé. Dans la philosophie moderne, on retrouve une distinction analogue chez Kant, qui oppose le domaine « nouménal », inaccessible, au domaine « phénoménal », où s’exerce notre obligation morale.
Le sommet de la paracha est l’appel de Moïse : « J’ai mis devant toi la vie et la mort, la bénédiction et la malédiction ; choisis la vie« . Ce verset fonde une réflexion essentielle sur la liberté. Contrairement aux déterminismes modernes, psychologiques, technologiques ou biologiques, la Torah pose l’homme comme fondamentalement libre. L’appel de Viktor Frankl, selon lequel même dans l’univers concentrationnaire l’homme conserve la possibilité de choisir son attitude, fait écho directement aux paroles de Moïse : même entouré de forces écrasantes, il reste à l’homme une liberté morale.

La paracha souligne que l’alliance du Sinaï n’est pas un événement ponctuel mais un renouvellement perpétuel : « Ce n’est pas avec vous seuls que je conclus cette alliance… mais avec celui qui est ici présent… et avec celui qui n’est pas ici avec nous aujourd’hui ». Philosophiquement, on peut y voir une reconnaissance de la dimension pluristratifiée du temps: l’alliance concerne aussi les générations non encore nées et impose une responsabilité intergénérationnelle. Cela résonne fortement avec le discours écologique actuel, qui nous oblige moralement envers l’avenir, envers ceux qui ne sont pas encore là.
Sur le plan social et politique, la paracha Nitsavim pose un défi à l’État d’Israël comme aux sociétés occidentales: savons-nous nous tenir ensemble, au-delà des fractures et des polémiques? Reconnaissons-nous que la liberté individuelle repose sur une alliance collective? Dans un monde où la politique des identités fragmente le « vous tous » en unités séparées, le texte biblique offre une alternative : un peuple entier, où chaque individu est unique mais où nul n’est superflu.

Il nous faut proclamer avec discernement et certitude que le Tanakh hébraïque demeure l’unique source vive de notre existence nationale et le pivot indéfectible de notre devenir au sein de notre État d’Israël moderne. Nul projet, nul rêve, nulle souveraineté ne peuvent s’affirmer sans ce socle premier qui nous relie à nos origines et nous propulse vers l’avenir. C’est en y puisant notre force que nous demeurerons debout, fidèles à nous-mêmes et porteurs d’un horizon pour les générations à venir.
Ainsi, la signification philosophique contemporaine de Nitsavim se déploie sur trois axes: la responsabilité collective face à la tentation de l’individualisme, la liberté morale face aux forces déterministes, et l’alliance intergénérationnelle qui nous engage envers le devenir.

De même qu’hier, nous nous tenons aujourd’hui, dans un monde traversé de doutes et de crises, devant le même choix: vivre à partir d’une alliance, ou se disperser dans l’anarchie du moi cosmopolite.

Rony Akrich

Ashdodcafe.com
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