Madame la Garde des Sceaux, qui ne m’a pas quitté depuis au moins huit jours, et que je retrouve avec bonheur ce soir, de retour de Guyane,

Monsieur le Ministre de l’Intérieur, qui revient d’Algérie,

Mesdames et Messieurs les Parlementaires et les Élus,

Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,

Monsieur le Président, cher Roger Cukierman,

Je salue aussi le Président du Consistoire et tant d’autres personnalités ici rassemblées.

Je tenais à vous accueillir pour le 70ème anniversaire du CRIF. Le 60ème anniversaire c’était Jacques Chirac, nous verrons bien qui sera là pour le 80ème anniversaire. C’est une bonne tradition que de pouvoir, ici à l’Élysée, renouveler le pacte de confiance qui existe entre la République et le CRIF.

Le CRIF, c’est une histoire. Une longue histoire, qui remonte à 1943, au plus profond de la Shoah. L’un de ses fondateurs, Adam Rayski, disparu il y a cinq ans, après avoir traversé près d’un siècle d’histoire du judaïsme français, disait que le CRIF était « né des profondeurs d’une souffrance exceptionnelle et d’une volonté farouche de survie ». Pour espérer il fallait s’unir, il faut toujours s’unir.

C’est dans cet esprit que fut constitué, en 1943, à peu près au même moment que le Conseil national de la Résistance, le Comité général de défense juive. Il regroupait tous les courants de pensée de la Résistance juive : communistes et gaullistes, sionistes et bundistes, de toutes origines, des Français mais aussi des immigrés de fraîche date.

Un peu plus d’un an après, à la suite d’un accord avec le Consistoire – dont le président, Jacques Helbronner, arrêté par la Gestapo, était mort en déportation – le CRIF tenait sa première réunion, dans Lyon libérée, le 5 septembre 1944.

C’était une réunion qui était encore marquée par la Shoah, par cette épreuve, par ce drame, par cette tragédie, qui n’était d’ailleurs pas encore achevée au moment où le CRIF se réunissait.

Une charte fut adoptée par l’ensemble des participants, qui fondait la reconstruction du judaïsme français sur les valeurs de solidarité et d’égalité, en fidélité avec les principes républicains et qui portait l’inaltérable patriotisme des juifs de France.

Je suis toujours frappé par ce parallèle entre le Conseil national de la Résistance et le CRIF.

Le CRIF est né de la Résistance mais aussi d’une espérance, celle de pouvoir vivre en France et de participer pleinement au débat public. C’est ce qui s’est produit. Depuis 70 ans, avec dix présidents successifs à sa tête, le CRIF s’est imposé comme une composante de la société française et comme une voix écoutée et respectée.

Le CRIF, c’est une institution originale. Ce n’est pas l’État qui a encouragé, ni décidé la naissance du CRIF. Ce sont les juifs qui se sont organisés eux-mêmes, qui ont choisi leurs représentants. C’est ce qui explique sans doute la liberté qui a toujours été la vôtre, encore aujourd’hui Monsieur le Président, car quand vous avez des choses à dire, vous les dites et vous les dites librement, franchement, sincèrement, et nous vous écoutons.

Le CRIF, c’est une fédération qui regroupe des associations de sensibilités très différentes, laïques comme religieuses.

Le CRIF, ce sont des valeurs, des valeurs qui sont communes à la République, mais qui forgent votre identité.

La première, c’est la transmission. Votre mission c’est que rien ne soit oublié, que rien ne soit occulté, pour rendre un nom aux martyrs, mais également pour assurer le passage de témoin, la compréhension. Cette mission est complémentaire de celle de l’État. Vous ne vous substituez pas à l’État, vous ajoutez, encore à travers ce que vous êtes, au travail de mémoire.

La deuxième valeur qui vous constitue et qui nous rassemble, c’est l’universalisme qui est exprimé à la fois par le judaïsme français et l’identité républicaine et qui a été porté par l’Alliance israélite universelle dont l’origine remonte à 1860 et dont plus tard René Cassin fut président pendant 30 ans avant un autre grand nom du judaïsme français : le professeur Ady Steg, que je salue. L’Alliance israélite universelle, c’est un réseau d’écoles, c’est une bibliothèque qui est la plus grande bibliothèque juive que nous puissions connaitre en Europe. L’Alliance permet à la fois de diffuser la culture juive et de promouvoir la francophonie.

Vous avez aussi une valeur, qui est également celle que nous portons, la solidarité. À travers l’Œuvre de secours aux enfants qui, je le rappelle, avait sauvé des enfants juifs pendant la seconde guerre mondiale, recueilli des orphelins à la Libération.

Aujourd’hui, l’OSE gère 28 établissements accueillant plus de 1.000 enfants sans famille ainsi que des personnes âgées ou handicapées.

Vous avez aussi le Fonds social juif unifié qui est la principale organisation juive dans le champ de l’éducation, mais aussi des médias et la première source de collecte.

Enfin, vous avez confiance dans la jeunesse. Le CRIF a toujours fait en sorte que les jeunes juifs puissent également porter les valeurs, celles qui sont issues aussi de la Résistance, et être vigilants par rapport à l’antisémitisme. C’est le rôle donné notamment à l’Union des étudiants juifs de France.

Le CRIF, 65 organisations – je ne sais pas comment vous faites, nous-mêmes à trois nous avons parfois du mal – 65 et 70 ans. En même temps vous avez préservé le caractère laïc. Cela peut paraitre étrange, paradoxal même, de le dire ici. Le CRIF est une institution laïque.

Les institutions religieuses ont bien sûr toute leur place pour l’organisation du culte. J’étais, au mois de juin, au Consistoire central et je sais le rôle qui est le sien dans notre pays depuis plus de deux cents ans. D’autres courants du judaïsme religieux sont aussi très présents en France, chacun selon ses conceptions et l’idée qu’il se fait de la tradition, de la religion juive mais toujours dans la Cité républicaine. Mais c’est bien que le CRIF puisse être l’interlocuteur politique des pouvoirs publics. Ce qui nous vaut l’occasion, quels que soient nos statuts, d’être au diner du CRIF. C’est toujours un grand moment, où l’opposition rêve d’être à la table centrale, et où la majorité sait que c’est forcément pour un temps précaire. Alors que vous, vous êtes permanents dans l’institution.

La communauté juive de France, vous l’avez rappelé Monsieur le Président, a connu aussi un certain nombre d’épreuves depuis 70 ans, que d’épreuves même ! Je ne parle pas simplement de celles de la Libération avec le constat, hélas, des disparitions.

Mais elle a su accueillir les juifs d’Afrique du nord, dont l’apport a profondément modifié la culture, les traditions, et qui, dans de nombreuses villes de France, ont réussi à recréer une vie juive, là où elle avait disparu. Je veux, ici, les en remercier. Les juifs du Maroc, d’Algérie, de Tunisie sont, non seulement pleinement intégrés dans la société française mais ont enrichi notre pays de leurs talents et de leur créativité dans tous les domaines.

Et il y l’antisémitisme, celui-là même que nous avions pensé disparu avec la Seconde guerre mondiale, avec hélas le spectacle terrible de la Shoah. Cet antisémitisme qui a ressurgi. D’abord au début des années 80 où il y a eu l’attentat de la synagogue de la rue Copernic, la fusillade de la rue des Rosiers en 1982, la profanation du carré juif du cimetière de Carpentras en 1990. Là encore, le CRIF a tenu bon, n’a pas cédé et a rappelé – et ce n’était pas facile – la confiance que vous portiez toujours dans la République pour qu’elle soit vigilante.

L’antisémitisme a continué, a redoublé même à partir du début des années 2000 avec des écoles juives, des synagogues, qui ont été attaquées, agressées, incendiées. Des enfants qui ont été molestés, qui sont encore molestés, parce qu’ils portent la kippa. L’antisémitisme qui a tué, oui qui a tué encore dans notre pays, en février 2006 – vous l’avez rappelé -, Ilan Halimi, 24 ans ; en mars 2012, à Toulouse, Jonathan Sandler, 30 ans ; Gabriel Sandler, 3 ans ; Arieh Sandler, 6 ans ; Myriam Monsonego, 7 ans. Je suis allé sur leurs tombes pour m’incliner devant leur mémoire, avec la délégation qui m’accompagnait lorsque j’étais en Israël.

Contre l’antisémitisme, la Garde des Sceaux, le ministre de l’Intérieur, sont entièrement mobilisés. Vous savez qu’ils ne laissent rien passer. L’antisémitisme, nous l’avons tous dit, ce n’est pas l’affaire de la communauté juive, c’est l’affaire de tous les Français. C’est pourquoi j’invite tous ceux qui sont victimes d’actes racistes, d’une manière générale, mais d’actes ou de propos antisémites, à ne rien tolérer et à s’adresser à la police, à la justice, parce que les coupables doivent répondre de ces actes et doivent être identifiés et sanctionnés.

De même, nous agissons, le gouvernement de Jean-Marc Ayrault, pour que sur internet – on en a parlé souvent – nous puissions là-encore éviter la tranquillité de l’anonymat qui permet de dire des choses innommables sans être retrouvé. J’ai demandé au gouvernement d’y veiller tout particulièrement et de lutter contre le sarcasme ou ceux qui se prétendent humoristes et qui ne sont que des antisémites patentés que nous devons également combattre.

Je sais la solidarité du CRIF avec l’État d’Israël. Et je veux y revenir, parce qu’elle ne pose pas problème. Parce que cette solidarité est légitime, et vous n’avez pas à vous en justifier. Israël est le pays refuge créé après la Shoah pour les juifs et qui partout sur la terre auraient à souffrir du fait qu’ils sont juifs. C’est pour cela qu’ils savent qu’en Israël il y a un pays qui est là. L’existence d’Israël est nécessaire aux juifs du monde entier.

C’est aussi une victoire sur la fatalité. Alors avec Israël, je le sais, les liens sont multiples, ils sont personnels, familiaux, ils sont humains, politiques, culturels et ces liens, je les respecte.

J’étais donc en Israël du 17 au 19 novembre, je sais aussi que les présidents des Assemblées s’y sont rendus et notamment le président du sénat.

J’ai été très sensible à l’accueil qui m’a été réservé et par le président Pérès et par le Premier ministre Benjamin Netanyahou. Je pense que ces accueils, cette hospitalité, n’étaient pas simplement de circonstance, qu’elles correspondaient à un lien qui dépassait les personnes, qui concernaient nos deux pays.

J’ai rappelé que la France était pleinement engagée pour la garantie de la sécurité d’Israël. Et notamment que nous ne laisserions pas l’Iran accéder à l’arme nucléaire. Les négociations qui ont pu aboutir à un accord intérimaire permettant de suspendre le programme iranien n’ont pas réglé définitivement cette question. Nous ne le saurons que dans quelques mois. Cet accord a correspondu à nos exigences, celles que j’avais posées avec Laurent Fabius, dans la négociation.

Ensuite, nous maintiendrons notre vigilance, parce que pour nous, il n’est pas question que l’Iran puisse accéder, d’une manière ou d’une autre, à l’arme nucléaire.

Je me suis aussi rendu en Palestine, j’ai rencontré le président Mahmoud Abbas à Ramallah et je lui ai confirmé ce que j’avais dit d’ailleurs aussi au premier ministre israélien, que la paix est forcément exigeante.

S’il n’y a pas de concessions, il n’y aura pas de paix.

S’il n’y a pas de pas fait, l’un vers l’autre, il n’y aura pas de rencontre.

Il y a une chance, une circonstance pour que nous en finissions avec ce conflit qui remonte à trop loin. Et donc, il faut la saisir cette chance. Et c’est le devoir de la France de faciliter, parce que nous avons cette facilité de pouvoir parler et aux Palestiniens et aux Israéliens et de leur tenir le même langage.

À toutes étapes de mon voyage, le CRIF était là : Monsieur le Président mais aussi une délégation. Vous étiez là en Israël mais aussi en Palestine. Je veux saluer ici l’ouverture d’esprit du CRIF. Et c’est très important que vous puissiez vous aussi contribuer à votre place, à la paix.

Plusieurs étaient donc à Ramallah, écoutant des jeunes Palestiniens nous interpeller, parfois avec des mots que nous n’aurions pas nous-mêmes endossés. Mais le fait même qu’ils puissent s’exprimer était important – je me souviens de ces deux jeunes qui étaient à Gaza – qui à la fois bien sûr nous exhortaient à tout faire pour lever un certain nombre de restrictions, et s’exprimaient en français. Parce que la France est aussi présente à Gaza. Nous avons une Alliance française qui permet justement à des jeunes Palestiniens de Gaza de pouvoir parler en français. Quand on parle en français, on commence déjà à parler avec les valeurs de la France, ce qui n’est pas automatique et qui au moins permet l’accès à la culture commune.

Voilà ce que j’étais venu vous exprimer pour ce 70ème anniversaire et au-delà de vous, c’est à tous les juifs de France que je tiens à m’adresser. Parce qu’entre les juifs de France et la République, nous partageons une longue histoire. Mais nous avons surtout un destin commun à travailler ensemble, à préparer ensemble. Les juifs de France doivent être pleinement en France et la France a besoin de tous ses citoyens et des juifs de France notamment. Merci./.

(Source : site Internet de la présidence de la République)

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